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DOSSIER : Le harcèlement des migrants, ça suffit !

« Humanité » ? Mon œil !

Mis en ligne le 8 février 2018 Convergences Politique

Durant les cinq ans de sa présidence, Hollande n’a pas fait le moindre geste en faveur des migrants. Obnubilés par la progression de l’extrême-droite dans les urnes, lui et ses ministres ont verrouillé les frontières autant qu’il leur était possible, comme l’ont illustré les interventions policières contre le campement de la « jungle » de Calais ou le refoulement en Italie des migrants tentant de passer la frontière à Vintimille. À peine élu, Macron s’empresse de reconduire et d’aggraver la même politique xénophobe.

Cachez ces migrants que l’extrême-droite ne veut pas voir

Et pourtant, les migrants passent. Au péril de leur vie parfois, en prenant des risques supplémentaires toujours. Cet automne, des guides de haute montagne ont secouru des jeunes partis à l’assaut des cols alpins en sandalettes et veste en toile. L’État français n’a honoré à peu près aucun des engagements d’accueillir une partie des centaines de milliers de réfugiés exilés en Europe ces dernières années. Désormais, c’est un faux-semblant de politique d’accueil. Depuis deux ans, les Centres d’Accueil et d’Orientation ouvrent, le plus souvent dans de petites, voire très petites villes. La logique est double : isoler les migrants de la population afin de les rendre invisibles, et les disperser afin de briser toute organisation collective. Ainsi, dans la « jungle », la police n’a pas seulement détruit au bulldozer les premiers véritables foyers que s’étaient construit les migrants. Elle a aussi soigneusement disloqué des groupes qui se soutenaient en envoyant les uns à Vierzon et les autres à Vesoul. Rien n’est plus dangereux, n’est-ce pas, que des gens qui se sentent la force de contester et défendre leurs droits ? Du reste, l’appareil d’État n’invente rien : en 1937-1939, les réfugiés espagnols – du moins ceux que l’État français autorisait à sortir des véritables camps de concentration dans lesquels il les avait d’abord parqués – ont été éparpillés de la même manière sur tout le territoire.

Pourquoi une nouvelle loi ?

La loi que le gouvernement devrait discuter à partir du 21 février vise d’abord à adapter le droit d’asile à cette situation. « Avec humanité et fermeté », promet Macron. Elle s’annonce pourtant d’ores et déjà « plus dure que [celles de] Nicolas Sarkozy », selon un spécialiste en droit interviewé par Le Monde [1].

Officiellement, il s’agit de « mieux accueillir les réfugiés » et en même temps – comme dirait Macron… – de « mieux les renvoyer ». À en croire les artisans de la loi, ces deux objectifs ne seraient pas contradictoires, mais au contraire complémentaires. L’État améliorerait d’autant plus les conditions dans lesquels certains seraient autorisés à rester en France que les autres seraient expulsés vers leur pays d’origine. La loi s’inscrit en effet dans l’« immigration choisie » chère à Sarkozy, c’est-à-dire que la France s’arroge le droit de trier les migrants en fonction de critères visant à renforcer sa position dans la compétition économique mondiale…

Pas de carottes...

En réalité, une bonne partie des mesures prétendues favorables aux migrants visent d’abord à restreindre leurs possibilités d’être régularisés. Le traitement des demandes d’asile est devenu ces vingt dernières années un long parcours du combattant. Son seul avantage est d’offrir un répit aux demandeurs. Ce laps de temps leur suffit parfois à s’intégrer suffisamment pour demander un titre de séjour pour un autre motif. La loi prévoit donc d’instruire parallèlement plusieurs demandes, afin de débouter plus rapidement les migrants non seulement de l’asile, mais aussi des autres demandes de titre de séjour.

Sous couvert d’accélération, il s’agit de restreindre la période durant laquelle un migrant peut faire valoir ses droits. À compter de son entrée en France, il n’a plus que 90 jours au lieu de 120 pour déposer une demande d’asile s’il s’agit d’une procédure accélérée, c’est-à-dire pour tout migrant venant d’un pays jugé « sûr ». À comparer au temps d’attente moyen pour décrocher un rendez-vous en préfecture, qui est de 30 jours ouvrés… Le recours contre les refus d’asile devant la CNDA (voir encadré) devra être formulé en 15 jours au lieu d’un mois aujourd’hui ! En outre, il perdra son caractère suspensif.

L’accélération du traitement des demandes d’asile n’a par ailleurs en soi rien d’un cadeau. Elle n’est pas synonyme d’agents supplémentaires dans les services des préfectures ou de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (Ofpra) qui instruisent les dossiers, mais plutôt du bâclage de ces derniers, faute de temps pour rassembler les preuves de persécution. Les 150 agents supplémentaires prévus en 2018 seront affectés en majorité au renvoi des « dublinés » (voir encadré) dans le premier pays de l’Union Européenne par lequel ils sont passés. Ceux-ci représentent la moitié des demandeurs d’asile… et les principales cibles du ministre de l’Intérieur.

… mais force coups de bâton !

La loi assimile en revanche de plus en plus les migrants à des délinquants. La durée maximale de la « retenue administrative » – une garde à vue pour vérifier l’identité d’un potentiel sans-papiers – passe de 16 à 24 heures. Celle du placement en Centre de Rétention Administrative (CRA) passe de 45 à 90 jours, voire 105 jours pour celui qui s’oppose à son expulsion. S’agit-il de les faciliter ? C’est tout sauf sûr : aujourd’hui la plupart des reconduites à la frontière ont lieu après au maximum 12 jours de CRA. Ce véritable emprisonnement sert d’abord à pourrir la vie des migrants. « 45 jours, c’est difficile, mais après 90 jours, on ne sait pas dans quel état les personnes vont sortir », estime un militant de la Cimade cité par Libération [2].

La riposte s’organise

À trop pousser le bouchon, il est revenu en pleine figure du gouvernement. Bien des associations ont vu rouge lorsque celui-ci a évoqué une coopération imposée entre les différents acteurs de l’aide aux migrants et la police, et ont claqué la porte de la prétendue concertation lancée par le ministre de l’Intérieur Collomb. Il s’agirait par exemple de tenir à la disposition des flics des listes de demandeurs d’asile déboutés de leurs droits afin de faciliter leur localisation et leur expulsion. À l’automne, plusieurs centaines d’entre elles se sont réunies pour bâtir une riposte commune. Leur lobbying n’est sans doute pas étranger au malaise d’une partie des députés macronistes. Depuis décembre, un aspect particulièrement abject du projet de loi est déjà enterré : celui qui aurait autorisé les flics à renvoyer des migrants venant de pays en guerre dans un « pays tiers sûr », c’est-à-dire n’importe où du moment que le coin n’est pas à feu et à sang.

Néanmoins, les dirigeants de la Cimade, Emmaüs (dont les communautés accueillent de plus en plus de migrants) ou France Terre d’Asile ont tenu à l’écart de leurs débats les militants plus « politiques », en particulier ceux d’extrême-gauche, afin de ne pas avoir à se positionner sur la liberté de circulation, la régularisation de tous les sans-papiers ou l’ouverture des frontières. Face à la montée des idées souverainistes aussi bien à gauche qu’à l’extrême-droite, face au racisme, il est pourtant vital de faire entendre ces revendications, ne serait-ce que pour sortir de l’aide au cas par cas, pour faire jouer à plein la solidarité entre migrants et entre collectifs de soutien.

Mathieu PARANT


[1Maryline Baumard, « Que contient le projet de loi asile-immigration ? », Le Monde, 11 janvier 2018.

[2Kim Hullot-Guiot, « Migrants : de plus en plus dur », Libération, 17 décembre 2017.

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