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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 78, novembre-décembre 2011

TUNISIE : poussée électorale conservatrice, mais les luttes restent à l’ordre du jour

Mis en ligne le 24 novembre 2011 Convergences Monde

Les islamistes d’Ennahda forment donc le premier parti représenté à l’Assemblée constituante tunisienne, avec 41,5 % des suffrages exprimés et 90 sièges sur 217. À noter d’entrée que le chiffre triomphaliste de 90 % de participation annoncé relève de la manipulation comptable, car sur 7 500 000 électeurs potentiels, seuls 3 700 000 ont voté. Un peu moins de 50 % donc.

Cela dit, de Ghannouchi, chef d’Ennahda, à Alain Juppé, on a droit à la version rassurante : les islamistes vainqueurs seraient modérés, démocrates. Le chef du CNT libyen, allié de l’OTAN, favorable au rétablissement de la Charia, a eu droit aux mêmes éloges. Version défendue en France aussi bien à gauche qu’à droite, puisque l’actuel ministre des armées Gérard Longuet et l’ancien ministre socialiste des affaires étrangères Hubert Védrine nous l’ont servie en chœur à l’émission Mots croisés de France 2. Sans parler du Nouvel Observateur qui, dans son éditorial du 3 novembre, résume : « C’est le coup d’arrêt donné légalement par le peuple lui-même à la révolution qu’il s’était inventée… ».

Dès leur succès électoral, les dirigeants d’Ennahda ont multiplié les rencontres avec le patronat et les investisseurs pour rappeler qu’ils sont « ouverts aux capitaux nationaux et étrangers ». Du moment que ces intégristes religieux sont favorables à l’économie de marché, les démocrates leur donnent le bon dieu sans confession !

La Turquie ou l’Iran ?

Les islamistes tunisiens sont-ils de l’engeance de ceux qui gouvernent en Turquie, dont ils se disent proches et que les puissances impérialistes qualifient de démocrates ? Ou visent-ils à établir une dictature comme en Iran ? Pratiquent-ils un double discours ? Ni plus ni moins que tous les partis bourgeois qui ne se prétendent démocrates dans des pays pauvres en révolte que pour mieux arrêter la révolution. Par des moyens légaux, tant que c’est possible, tant qu’ils peuvent tromper les travailleurs et les pauvres, étouffer leurs revendications et reprendre leur liberté si chèrement gagnée. Mais en se préparant à revenir sur toutes les libertés de parole, de presse et d’organisation arrachées, par la force s’ils l’estiment nécessaire. L’armée au pouvoir applique cette stratégie en Égypte, sans même attendre le succès annoncé des Frères musulmans aux prochaines élections.

Le jeu des élections bourgeoises

La victoire d’Ennahda n’est pas vraiment une surprise. Le scrutin tunisien a montré une fois de plus que les élections bourgeoises ne sont jamais à l’avantage des classes populaires, et encore moins en période de révolution. Pour l’heure, Ennahda a certes bénéficié de l’aura du parti longtemps interdit. Mais surtout, à part le RCD anciennement au pouvoir puis dissout (et dont nombre de notables se sont recyclés sur diverses listes), il était le seul parti organisé de longue date et disposant de moyens considérables, notamment d’œuvres de charité. Il a acheté le vote de pauvres, de jeunes, de marginaux, les a emmenés aux urnes. Il a brandi la promesse de la viande à 4 dinars le kilo au lieu de 13 dinars, ou du pain deux fois moins cher qu’aujourd’hui. Les prêches des mosquées ont fait sa campagne et stigmatisé toutes les listes des « mécréants »… Au point que des jeunes de Kasserine, une ville déshéritée du centre de la Tunisie où la répression en janvier avait été l’une des plus violentes, le tournaient à la rigolade : « On va boire de la bière avec l’argent des islamistes ».

L’un des autres faits marquants du scrutin a été l’arrivée en bonne position (9 % et 19 sièges) des listes « Pétition populaire » qui ne se sont fait connaître que grâce à la chaîne de télévision commerciale privée de son dirigeant, le millionnaire londonien Hamdi. Tour à tour islamiste puis benaliste, il a pu profiter du scrutin malgré ce lourd passé, à moins que celui-ci ne lui ait permis de rassembler largement sur ses listes ; certaines d’entre elles ont été rattrapées par les instances de surveillance des élections et invalidées car des anciens du RCD trop notoires en faisaient partie.

Les autres partis ayant engrangé un nombre relativement important de députés sont : la gauche « républicaine » représentée par Moncef Marzouki (30 députés) ; Ettakatol qui a pris la place du parti de Ben Ali comme membre tunisien de l’Internationale socialiste (21) ; le PDP (Parti démocrate progressiste) qui n’a pas hésité à servir de « machine à laver » pour les anciens du RCD (17). Les uns et les autres sont à la recherche d’alliances pour être au gouvernement, y compris Marzouki, grand laïc devant l’éternel.

Quant au PCOT (Parti communiste des ouvriers de Tunisie, jadis maoïsant), il obtient 50 000 voix soit 1,38 % et trois députés. La petite LGO, trotskyste, ne s’est pas présentée.

Un coup d’arrêt à la révolution ?

Dans le pays, depuis des mois, bien des travailleurs et des jeunes nourrissaient quelques illusions sur ces élections toutes neuves – illusions non réfutées par le PCOT ou les syndicats combatifs, qui encourageaient à subordonner leurs luttes à une future Constituante, censée permettre de changer la situation politique. Il ne pouvait en aller ainsi. Du temps a été gaspillé à cause de ces illusions dans le jeu démocratique qui ont contribué à calmer provisoirement le climat social. Mais rien n’est perdu si les jeunes et les ouvriers en colère qui ont été la force de la révolution de janvier et les militants eux-mêmes ne sont pas démoralisés par le résultat électoral. S’ils ne tombent pas maintenant dans le piège de ceux qui, face à l’ampleur du raz-de-marée conservateur, en appellent à un Front de Gauche, essentiellement pour faire contrepoids aux islamistes et à leurs alliés à l’assemblée.

Ce n’est pas sur ce terrain d’alliances politiciennes qu’est l’issue favorable aux travailleurs et aux jeunes qui ont fait cette première révolution de janvier. Soit la classe ouvrière, entraînant et regroupant derrière elles toutes les classes pauvres, continue de se mobiliser et s’organise jusqu’à renverser réellement le pouvoir des classes possédantes, avec ses propres organes de démocratie prolétarienne, soit les possédants reprendront la main, sans lésiner sur aucun moyen.

5 novembre 2011

Raphaël PRESTON


Après les élections

Retour aux choses sérieuses


Aujourd’hui, bien que l’assemblée nouvellement élue soit chargée d’écrire une Constitution et, du côté des partis dits de gauche, de débattre de toutes les vieilles lunes républicaines, de la laïcité au mode de scrutin, c’est la situation économique et sociale qui est au centre de toutes les discussions. Dans les classes populaires, écrasées par le chômage bien sûr, mais aussi du côté de la bourgeoisie, qui espère utiliser son avantage temporaire pour reprendre la main. Le FMI de Christine Lagarde n’a pas perdu de temps en annonçant illico presto que : « Les dépenses extra opérées dans l’objectif d’apaiser la rue tout au long du printemps arabe pourraient avoir des effets assez négatifs » . Bref, il faudrait une politique d’austérité !

La bourgeoisie tunisienne a remporté une victoire symbolique, certes importante, mais qui n’enlève pas encore aux travailleurs tunisiens le principal acquis de leur révolution : la possibilité de discuter librement, de s’organiser pour lutter.

La contestation ouvrière à l’ordre du jour

L’intermède électoral étant passé, la classe ouvrière tunisienne reprend déjà le chemin de la lutte. Grève à la poste pour l’application d’accords salariaux arrachés au lendemain de la Révolution de janvier, grève dans les universités pour protester contre les agressions d’enseignantes non voilées, grève dans l’hôtellerie et les agences de voyage, grève de deux jours des cheminots de la région de Sfax, grève des agents du Centre national de l’informatique, sit-in sur la route GP1 près de Gabès, mise à sac du bâtiment de la Garde nationale par des jeunes en colère à Sidi Bouzid, le berceau de la révolution, etc.

La semaine post-électorale, la presse tunisienne fait à nouveau état de nombreux mouvements de contestation de toutes sortes. Le quotidien bourgeois Le Temps titrait d’ailleurs « Overdose de grèves » et exigeait que « les contestataires cessent de faire le forcing au nom de la Révolution et de la Liberté ». La plus ancienne entreprise privée de Tunisie, le groupe étranger Lemetal implanté depuis 1929, vient de fermer provisoirement ses portes pour des raisons de sécurité. Son gérant explique : « Pour un oui, pour un non, ces représentants syndicaux se mobilisent pour bloquer le travail et pour semer le trouble (…) nous avons d’ailleurs fait appel à l’armée tunisienne et aux autorités compétentes. Nous avons eu des discussions sans fin avec l’UGTT et on nous raconte que des mensonges. Ils nous ont même empêchés de communiquer avec les ouvriers. À priori l’UGTT, lance une guerre sans merci. De notre côté, les propriétaires du groupe ont fait appel aux ambassades de France et des États-Unis en Tunisie et nous risquons d’internationaliser le débat. Résultat des courses, nous accusons une perte de 60 % de notre chiffre d’affaires (CA) et une perte de production estimée à 1 million 248 mille dinars. »

C’est sur cette base des luttes sociales que les révolutionnaires tunisiens pourraient rattraper le temps perdu pendant la campagne, temps que la bourgeoisie a mis à profit pour réorganiser ses forces de répression et ses partis politiques. Car c’est avec les grévistes, les « sit-ineurs », les jeunes qui se sentent floués après leurs combats héroïques de janvier, que se formera le parti ouvrier révolutionnaire capable de déjouer les pièges du jeu « démocratique » bourgeois et de proposer des perspectives de lutte à toute la population pauvre de Tunisie.

R. P.

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Numéro 78, novembre-décembre 2011