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DOSSIER : Avril, mai, juin 2003. Renouveau des luttes, début de la contre-offensive des salariés

SNCF : le secteur qu’il fallait empêcher de bouger

Mis en ligne le 11 juillet 2003 Convergences Entreprises

Depuis des mois les cheminots se préparaient à un choc sur les retraites. Ceux qui ont connu la grève de 1995 savent que tôt ou tard les régimes spéciaux seront à nouveau attaqués. Certains se risquaient même à des pronostics sur la date d’un conflit inévitable.

Les syndicats avaient d’ailleurs pu tâter le terrain lors de différentes journées pour la défense des retraites. Les cheminots s’y sont révélés nombreux, parfois même sans préavis de grève, alors qu’on continuait à les dire pas concernés. C’est une des caractéristiques de ce mouvement : à la SNCF non plus les travailleurs ne sont pas tombés dans le piège du corporatisme.

L’après 13 mai saboté

Lorsque la journée du 13 mai fut annoncée, il est apparu à beaucoup de cheminots du rang comme de militants syndicaux que ce pourrait être l’occasion de rejoindre le mouvement enseignant. Seules Sud-Rail et FO déposèrent un préavis reconductible.

Pourtant cette journée aura été la plus suivie depuis 20 ou 30 ans : plus de 72 % de cheminots grévistes. Cette démonstration à la fois de la force et de la volonté des cheminots donnait aux syndicats une base solide pour appeler à la reconduction, préavis ou pas. C’est ce qu’attendaient de nombreux cheminots, d’autant que le 14 commençaient de nouvelles négociations avec le gouvernement, sur lesquelles les syndicats disaient vouloir peser de tout leur poids. Mais la seule perspective donnée par la CGT, de loin la plus influente et sur qui s’alignèrent tous les autres, était de préparer la manifestation du 25 mai, près de deux semaines plus tard.

Les grèves du 14 mai se déroulèrent donc à l’impulsion de militants syndicalistes de base, de toute obédience, et de militants d’extrême gauche. Sans doute une raison pour laquelle quelques comités de grève, avec pour objectif de permettre aux grévistes de diriger eux-mêmes leur mouvement, purent dès ce jour se mettre en place comme à Paris-Nord ou Paris-Austerlitz.

Fait notable aussi : bien des assemblées générales qui ont décidé le 13 au soir ou le 14 au matin de démarrer une grève reconductible étaient interservices (vendeurs, agents de manœuvre, conducteurs, contrôleurs, administratifs, agents d’entretien des voies, des ateliers…). Comme en 1995. Les cheminots présents se croyaient bien au début du grand mouvement attendu.

Mais les dirigeants CGT s’y opposèrent de toutes leurs forces. Quand ils ont accompagné le mouvement le 14, ce fut pour s’en retirer le 15. Le prétexte avancé pour faire voter la reprise du travail était le trop petit nombre de grévistes. Le 14 pourtant, la grève était réelle dans des dizaines de secteurs, la région parisienne (Paris-Austerlitz, Juvisy, Brétigny, Paris-Nord, Paris-Saint-Lazare, Paris-Sud-Est…) comme la province (Sotteville, Rouen, Marseille, Tarbes, Nîmes, Amiens, Belfort…). Et le 15 encore, elle était reconduite dans la majorité de ces secteurs, malgré les oppositions de la CGT.

Dans les jours qui suivirent, l’offensive de la CGT a redoublé d’intensité, le plus souvent avec l’aide, d’autant plus hypocrite qu’elle était passive, d’autres syndicats. A l’AG de Paris-Austerlitz, le responsable CGT, tremblant comme la feuille qu’il tenait des deux mains, vint lire une déclaration et sans participer au débat se retira sous les sifflets en entraînant une partie de ses troupes, une centaine sur les trois cents grévistes présents. Comme cette scène s’est produite dans bien des AG, le même jour et presque à la même heure, difficile de ne pas voir une politique centralisée de la fédération et même de la confédération.

A noter que l’approbation honteuse de Chérèque à la réforme gouvernementale est passée sans que la plupart des cheminots y prêtent attention. La fédération CFDT des transports a tout de suite dit son opposition. Et beaucoup sentaient que le mouvement aurait eu largement les forces de passer par-dessus la trahison de la confédération CFDT.

Une deuxième tentative liquidée

Tout en faisant reprendre le travail, et pour donner le change à tous ceux qu’ils avaient déçus ou courroucés, les syndicats annonçaient le dépôt d’un préavis de grève, reconductible cette fois, pour le 2 juin au soir. Trois semaines plus tard ! En clair ils laissaient consciemment le temps au gouvernement d’enrayer le mouvement des enseignants.

Cela signifiait aussi pas de grève pour la manifestation du 25 mai. Prétexte : pas question d’empêcher les manifestants de monter à Paris. En fait, au vu de la manifestation imposante et du nombre de cheminots qui y ont participé, il s’agissait de dissuader un redémarrage de la grève interrompue la semaine précédente.

Malgré tous ces atermoiements, et malgré le lâchage de la FGAAC, syndicat corporatiste qui représente 30 % des conducteurs (ceux-ci ne seraient pas concernés par les projets gouvernementaux… c’est le PDG Gallois, qui leur a dit, alors !) bon nombre de cheminots se préparaient de nouveau pour la grève, encouragés par la poursuite du mouvement dans l’Education nationale et la multiplication des manifestations, des actions interprofessionnelles et des contacts avec enseignants ou même parents d’élèves.

Le 3 juin, la grève était effectivement très suivie sur l’ensemble de la SNCF. Les AG étaient nombreuses mais elles étaient dispersées par catégorie ou secteur, même les plus restreints (on a vu une AG dans une gare où travaille au maximum une cinquantaine de cheminots !), toutes à la même heure : meilleure organisation du mouvement ? Il s’agissait plutôt pour les syndicats de le maîtriser en l’éclatant afin de préparer la reprise quand ils le décideraient. Pour tenter de faire face à ces manœuvres syndicales grossières, des militants proposèrent des comités de grève avec un certain succès : Paris-Nord, Paris-Austerlitz, Sotteville, Quatre-Mares…

La grève semblait donc s’installer : piquets de grève allant débrayer les secteurs moins dynamiques ; contacts pris avec d’autres grévistes, La Poste, la RATP, les hospitaliers et bien sûr les enseignants ; visite réciproque des AG des uns et des autres ; organisation commune des actions, manifestations, distributions de tracts. Beaucoup de cheminots se prenaient à espérer que cette fois-ci on irait jusqu’au bout. La CGT elle-même faisait jouer ses réseaux interprofessionnels pour favoriser les rencontres, occasion de constater en passant que pour la région parisienne en tout cas, c’est bien la seule organisation qui a maintenu des unions locales et des liens interprofessionnels qui prennent tout leur sens dans ce type de mouvement.

La grève sera plutôt bien suivie jusqu’à la fin : entre 15 et 70 % selon les chantiers, les régions, les catégories. La différence avec 1995, c’est que les trains ne furent pas complètement arrêtés. La SNCF a mis le paquet pour les faire rouler avec notamment des cadres, de jeunes embauchés futurs cadres et sans doute l’aide de la FGAAC. Ce fut sa première façon de contre-attaquer. La seconde étant la menace de porter plainte pour occupation des voies et entraves à la circulation des trains. Le recours à la police, qui ne chercha cependant pas réellement l’affrontement, fut vite systématique, avec les huissiers notant consciencieusement les noms des grévistes et les policiers contrôlant les accès de postes d’aiguillages stratégiques.

C’est la veille de la Pentecôte qu’une première manœuvre syndicale s’est dessinée avec un appel déguisé à « suspendre » la grève le temps du week-end, au prétexte qu’un autre préavis avait été déposé pour… le 10 juin. Un appel diversement apprécié et suivi. Les usagers ont pu apprécier la valeur de la campagne de presse qui annonçait depuis plusieurs jours que le mouvement s’essoufflait !

En tout cas, le week-end passé, la grève reprenait de plus belle sans même avoir été interrompue dans bien des secteurs. Le sentiment des grévistes était qu’il fallait tenir. Aussi lorsque les syndicats sont revenus à la charge le 12 juin, en même temps dans toutes les AG, cette fois-ci pour redemander sans ambiguïté possible d’arrêter la grève, il y eut bien des explosions de colère, des cris, voire des larmes. Des cartes syndicales ont volé. Pour se prémunir, un peu partout, la CGT avait réuni préventivement ses seuls syndiqués pour leur faire voter la reprise et pouvoir présenter ensuite ce vote en AG comme une décision définitive. Malgré tout, ici ou là, surmontant l’écœurement face à ce nouveau lâchage, des grévistes ont quand même reconduit. Mais la confiance était envolée. C’était le but.

Nouvelle expérience, vieilles leçons

Ecœurement ne veut pas dire découragement. Les cheminots sont loin d’avoir épuisé leur combativité. Beaucoup savent et disent qu’il faudra remettre ça. Le régime cheminots n’est pas concerné, disaient le gouvernement et la SNCF qui ont cependant cru bon, en pleine grève, discrètement, de préciser qu’ils repoussaient à plus tard les négociations prévues dans la loi... Qui peut être dupe ?

Encore une fois cette grève a montré l’importance de l’existence au sein des grandes entreprises, comme la SNCF, de courants et de militants organisés sur d’autres bases que celles des bureaucraties syndicales, toutes à des degrés divers plus ou moins complices du patronat et du gouvernement, même celles capables à certains moments de se montrer radicales et d’accompagner un temps les mouvements, comme la CGT le fit en 1995. Car il est vital que les grévistes se donnent des formes démocratiques d’organisation, AG mais aussi comités de grève, qui leur permettent de contrôler et surtout d’organiser, rassembler et utiliser au mieux leurs forces, et pour commencer de pouvoir s’opposer à la centralisation patronale et syndicale de l’information (en fait plutôt l’intox) et des décisions.

Cela a parfois été réalisé dans cette grève, mais à une échelle bien trop petite. Parce que les militants révolutionnaires susceptibles de le faire sont encore peu nombreux. Sans doute. Mais peut-être aussi parce qu’ils sont encore parfois trop hésitants à rassembler leurs forces, même dans des situations qui l’exigeraient.

3 juillet 2003

Bertrand LEPAGE


Pression et répression

La SNCF s’apprêterait à déposer des plaintes contre les cheminots qui ont occupé des voies et des postes. Dans quelques secteurs, elle a entamé des procédures qu’elle se réserve sans doute de poursuivre sélectivement ou d’arrêter (à Paris-Nord, par exemple, elle a envoyé de nombreuses demandes d’explication et a mis de nombreux travailleurs en absence irrégulière au mépris du droit de grève).

Plus grave sans doute, le 10 juin, après la manifestation à Paris qui fut suivie d’arrestations et d’inculpations, des policiers tombaient sur deux jeunes cheminots de la gare Saint-Lazare. Ceux-ci rentraient par le RER lorsqu’ils ont été interpellés à la station Auber. Reproche : avoir mis le feu à des poubelles boulevard Haussmann. Les preuves ? Ils avaient des drapeaux de Sud pliés dans leur poche et l’un d’eux trois briquets ! Les accusés ont établi avec témoins qu’il n’y avait pas de poubelle brûlée à cet endroit. Qu’importe ! Il a été demandé contre eux 6 mois de prison dont trois fermes. Le procureur s’est estimé clément car il y a « association de malfaiteurs, du fait qu’ils sont deux » et « incendie volontaire » ce qui pourrait faire 10 à 15 ans de prison. Jugement le 10 juillet. A ne pas laisser passer sans réaction.

L.P.

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Numéro 28, juillet-août 2003

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