Deuxième vague, les hôpitaux en détresse
Mis en ligne le 27 octobre 2020 Convergences Entreprises
12 000 flics sont mobilisés pour un couvre-feu dont l’efficacité sanitaire réelle reste à démontrer. À l’hôpital, on manque parfois de couvre-lits !
60 % des pharmacies du pays sont en rupture de stock de vaccins contre la grippe. Les embauches dans les hôpitaux et les formations nécessaires, particulièrement les formations professionnelles très demandées, sont inexistantes, mis à part une annonce sur une éventuelle possibilité de « formation » d’aide-soignante en quinze jours… Les rallonges budgétaires annoncées servent principalement à acheter du matériel et, dixit Véran, à « compenser financièrement [les] activités non réalisées », c’est-à-dire les soins annulés durant l’épidémie qui ont constitué un manque à gagner. Pire, le but du budget 2021 de l’assurance-maladie est encore de rechercher à faire quatre milliards d’économie. En 2021, l’épidémie sera-t-elle terminée ? Et qu’en sera-t-il des millions de personnes écartées des soins ?
De la maintenance aux soins, manque de personnel à tous les niveaux
En haut, ils le promettent : on a fait des efforts depuis six mois. Les choses vont s’améliorer… un jour peut-être… Entretemps, les collègues en CDD nombreux sur des postes vacants, et parfois depuis des années, ne sont pas embauchés. Les travailleurs de la santé saluent les autorités pour leur participation active dans les matinales radio ! Ils auraient préféré que gouvernement et exécutifs régionaux anticipent en débloquant des budgets pour recruter massivement les collègues qui manquent dans toutes les professions !
La charge de travail des hospitaliers est déjà trop lourde au quotidien, et pas seulement aux urgences et en réanimation. De la maintenance aux soins, le personnel manque à tous les niveaux et dans tous les services. Ces politiciens devraient venir voir les services de soins de suite gériatrique où les travailleurs – pris dans un étau de souffrances, infligé par une organisation du travail qui n’est pensée que pour « faire des économies » – se tuent à la tâche sans parvenir à prodiguer des soins dignes.
Exaspération et mobilisations
L’agitation constante dans les hôpitaux ces dernières années persiste. Malgré une faible préparation syndicale, des manifestations ont eu lieu le 15 octobre. Mille personnes en manifestation à Nantes, un nombre équivalent à Paris avec des groupes montés de province, plus de monde à Toulouse et des rassemblements devant des hôpitaux dans différentes villes. L’attribution des augmentations et autres primes ponctuelles suscitent de l’énervement. Accompagnées d’attaques sur le temps de travail, elles distinguent les différentes catégories de personnel. Ceux qui bossent dans le public ou le privé. À travail égal, salaire égal !
Dans le secteur médico-social écarté arbitrairement des primes et augmentations de salaire par décret gouvernemental, des mobilisations existent [1]. Des structures privées sont également en bagarre. À Nantes, les grévistes de la clinique psychiatrique du Parc ont tenu tête à leur direction durant 35 jours de grève à la fin desquels elles ont, la semaine dernière, obtenu des augmentations de salaire et des primes [2]. Malgré l’épidémie, les aides-soignants, infirmiers et anesthésistes du bloc opératoire du CHU de Toulouse se sont mis en grève reconductible le 1er octobre. Même chose pour les services de réanimation des Hospices civils de Lyon trois semaines plus tard. Et d’anciens grévistes des urgences mobilisées en 2019 refont parler d’eux.
Toujours en cause, le sous-effectif
Toujours en cause dans les conflits : les conditions de travail et de soin liées au sous-effectif. Les directions hospitalières ne parlent que de « réorganisations ». Sans moyens supplémentaires ? Face à la situation déplorable des hôpitaux publics plus que jamais exposée par la pandémie, une réorganisation ne peut s’envisager qu’avec des moyens massifs de l’ensemble du système de soin. Les soins doivent répondre aux besoins de la population. Pour ce faire, c’est embaucher et former qui semble urgent et nécessaire. La santé doit sortir des eaux glacées du calcul égoïste et de toute logique financière. Bref, il faut faire tout l’inverse de la politique actuelle qui vise à écarter les pauvres des soins. Un projet créant un « forfait » de 18 euros à faire payer aux patients venus aux urgences sans que leur pathologie soit jugée suffisamment grave pour entrainer une « vraie » hospitalisation a été voté par l’Assemblée nationale le 22 octobre. Ah oui, tout de même, femmes enceintes et nourrissons seraient exonérés. Belle promesse d’avenir à ces derniers.
26 octobre 2020, Correspondant(e)s
Au fil de la journée, dans une unité Covid de l’AP-HP (région parisienne)
Dans un petit service l’unité Covid a réouvert. Pas le service entier, contrairement à la première vague. Seul un tiers du service accueille des patients Covid. Une menace pèse sur l’équipe : encore plus de patients Covid vont arriver. Cela impliquera de nouvelles déprogrammations de patients. La cellule de crise montée par la direction prend des décisions sans en parler à personne. On saura le matin ce qu’il en sera dans la journée.
L’aide-soignante a mal au dos. Elle doit faire la toilette des patients Covid âgés. Ceux dont l’entrée en réa a été refusée et qui ont été envoyés dans le service. Puis elle galère, car il y a pénurie de savon dans l’hôpital. Faire des toilettes, ça devient tout de suite plus compliqué. Comme il n’y a plus de surblouse, elle a bricolé un truc avec une blouse. Pour les draps, elle se débrouille car c’est aussi la dèche.
L’infirmière épuisée s’énerve contre la cheffe. Elle ne veut pas aller travailler en unité Covid. Les infirmières tournent un jour Covid et le lendemain elles vont voir les patients classiques. Comme il n’y a pas assez de personnel, on lui fait faire une journée de 12 heures. Pendant la première vague, elle s’occupait « seulement » de six patients. Pour la seconde vague, les petits malins de la direction ont fait passer à huit patients chacune.
La médecin, pourtant une dure à cuire, court les larmes aux yeux dans tout le service. Elle est à la recherche d’un lit. Impossible de prendre une patiente dans un état grave. Elle est déprimée, car elle a dû déprogrammer les cures de certains. Cures déjà retardées pendant la première vague. Certains patients vont le payer dans quelques années et elle le sait : dans deux-trois ans, ils seront dialysés à vie.
L’assistante sociale est dépitée. Elle a passé une journée à téléphoner pour chercher une place pour un patient grabataire. Que des refus. Pas de place. Telle unité est fermée faute de médecins. Sa pathologie trop lourde l’empêche de marcher. C’est pour ça qu’on l’envoie en rééducation. Le patient est résistant aux antibiotiques, donc il faut l’isoler en chambre seule : c’est une demande médicale donc impossible de facturer la chambre simple à 100 euros la nuit. Refus.
La secrétaire craque. Elle se fait engueuler par tout le monde. Les médecins qui cherchent des lits. Les patients qu’elle appelle pour déprogrammer. Ils sont inquiets, ont peur de ne pas avoir leur traitement. Elle s’est fait traiter de meurtrière par une famille après avoir annulé les examens d’un patient.
« Vous avez attrapé le Covid confinées à la maison (pas à l’hôpital) »
C’est ce que prétendent certains comiques des directions hospitalières. Une bonne illustration du mépris, du déni et de l’idiotie de ceux qui prétendent gérer la crise sanitaire. De Macron au chef un peu prétentieux, ça parade devant et dans les hôpitaux, dans les réunions de service, sur les plateaux télés. Derrière leur fausseté, la réalité, telle que la résument les collègues : « tout baigne… on sera saturé très bientôt, les congés walou et advienne que pourra ! Vous êtes « cas » contact ? Positif (ah, plutôt asymptomatique) ? On manque de monde, venez bosser ! »
À Strasbourg, avoir le Covid à la chaîne…
On passe le poste entier avec des collègues malades, et, avec surprise, une semaine après on apprend que c’est nous qui sommes contaminés. La découverte des cas est décalée dans le temps. Tant mieux ? Une fois qu’un agent est testé positif il est, quand tout va bien, arrêté sept jours… période durant laquelle il n’y a parfois personne pour remplacer. Donc si on est arrêté en même temps ça coince.
Comme dans les rêves des chefs, on pourrait bien sûr n’ôter le masque que pour manger en cinq minutes, écourter nos pauses, ne pas les prendre avec les collègues, devenir des robots et le chopper quand même.
Dans nos bulletins
Au Centre hospitalier spécialisé de Novillars (Doubs), « nous ne sommes pas des soignants low cost »
C’est ainsi que nos collègues de la maison d’accueil spécialisée ont exprimé leur colère jeudi 8 octobre devant les grilles du centre hospitalier. Une centaine de personnes étaient donc présentes à l’appel de la CGT et de Sud. En effet, nos camarades de la maison spécialisée travaillent dans des conditions difficiles, accueillant des personnes lourdement handicapées sans personnel suffisant. Les nombreux arrêts de travail démontrent leur épuisement. Alors qu’ils font partie intégrante de l’établissement, ils ont eu la mauvaise surprise d’apprendre que la Maison d’accueil étant classée dans le médico-social, ils ne bénéficieront pas des 183 euros d’augmentation. Ils ont donc organisé une manifestation où banderoles et chants ont mis une belle ambiance.
Strasbourg : La « vocation » infirmière à l’épreuve du Covid
La presse s’est enjaillée sur la nouvelle cote de popularité dont bénéficient les travailleurs hospitaliers, en imaginant que la crise sanitaire pourrait susciter de nouvelles vocations pour le métier d’infirmier. Mais la réalité est toute autre : l’Institut de formation en soins infirmiers des Hôpitaux universitaires de Strasbourg est loin de faire le plein cette rentrée, avec seulement 160 nouveaux étudiants au lieu de 180 les dernières années. Sans compter tous ceux qui abandonneront la formation en cours de route, dégoutés par les conditions de travail entraperçues pendant leurs stages… Le compte n’est pas bon et le calcul est vite fait : les 150 postes d’infirmières vacants ne seront pas comblés de sitôt.
Saint-Denis (93) : Catastrophe annoncée
La deuxième ligne de Smur (service médical d’urgence et de réanimation) a été fermée les 5 et 6 octobre. Les collègues du Smur se chargent des interventions d’urgence et de transférer les patients. À la suite de restructurations subies, de nombreux collègues investis depuis des années ont fini par partir et n’ont pas été remplacés. Depuis des mois, les heures sup’ s’accumulent. Fatigue et dégoût. Le résultat de réorganisations bulldozer qui nous traitent comme des pions.
[1] Lire sur notre site Même travail, même salaire ! à propos d’une lutte dans le Doubs.
[2] Lire sur notre site « On a inversé le rapport de forces, ils ont intérêt à dialoguer maintenant ».