La laïcité, valeur fondatrice et spécifique de la République française ?
Mis en ligne le 21 octobre 2020 Convergences Politique
Régulièrement la laïcité (relégation des religions à la sphère privée, s’accompagnant de la neutralité de l’État en matière religieuse) revient au centre du débat en France, présentée comme la valeur qui permettrait le « vivre ensemble » et la tolérance, fondamentale dans la société républicaine. Le concept – et la réalité – de laïcité ont une histoire, liée à celle de la République bourgeoise, sur laquelle il est intéressant de revenir afin de comprendre les enjeux qui lui sont liés et qui, eux aussi, ont une histoire !
Des lois fondatrices sous la IIIe République : radicales mais mâtinées de compromis
La IIIe République, établie sur le massacre de la Commune de Paris, mit en place des lois sur l’éducation en 1881 et 1882 (lois Jules Ferry) afin de généraliser l’accès à l’école qui était rendue obligatoire, gratuite et laïque. Laïque, c’est-à-dire sans signe religieux, sans éducation religieuse… mais avec néanmoins un jour libéré dans la semaine (le jeudi à l’époque puis le mercredi) afin que les enfants puissent aller au catéchisme.
Les écoles privées catholiques, tenues par des congrégations (des ordres religieux, comme les Jésuites) continuaient d’exister mais avec une autorisation préalable de l’État. État au sein duquel le radical (au sens de centriste, à l’époque) Émile Combes mena une politique anticléricale : suppression entre 1900 et 1904 de plus de 2 500 écoles religieuses, puis interdiction par une loi de l’enseignement à toutes les congrégations. Ce qui entraîna l’hostilité encore plus forte des catholiques envers le régime, avec des manifestations nombreuses et parfois violentes, mais aussi une rupture des relations diplomatiques avec le Vatican.
C’est dans ce contexte que fut votée en 1905 la loi dite de séparation de l’Église et de l’État. Elle proclamait que la République n’avait pas de religion officielle, ne salariait ni ne finançait aucun culte, mais était propriétaire des biens du clergé et à ce titre mettait à la charge de la collectivité (croyants comme non-croyants) l’entretien des lieux de culte. Les manifestations redoublèrent et les catholiques s’opposèrent, violemment parfois, aux inventaires des biens de l’Église prévus par la loi… jusqu’à la mort d’un manifestant catholique le 6 mars 1906, lors de l’inventaire d’une église du Nord (Boeschène), qui entraîna la chute du gouvernement puis la fin des inventaires.
À partir de ce moment, les différentes lois sur la laïcité n’ont cessé d’ouvrir des brèches permettant les financements des religions via les bâtiments et surtout via les écoles privées (voir notre article : Les chantres de la laïcité… banquiers de l’école privée !).
Une laïcité au service de desseins politiques
La lutte contre l’influence de l’Église catholique, soutien traditionnel de la monarchie, est bien au cœur de la mise en place du concept de laïcité dans la France bourgeoise républicaine. Il ne s’agit pas de faire disparaître la religion, à part pour quelques anticléricaux, mais bien de lui donner une place « raisonnable », en limitant son pouvoir politique. Les bourgeois radicaux qui prônent la laïcité veulent éloigner le peuple, en commençant par les enfants, du christianisme et pour cela mettent en avant une doxa républicaine, fondée sur les valeurs de « liberté, égalité, fraternité » que la laïcité est supposée incarner et permettre. Cette « catéchèse républicaine » – si on ose dire ! – s’appuie sur les instituteurs, dits « hussards noirs » de la République (à cause de leur costume à l’époque) qui sont formés-endoctrinés sur cette République censée apporter les « lumières » de la raison, en opposition à l’obscurantisme de la monarchie. L’amour de la patrie et sa défense (les garçons sont formés aux exercices militaires !), la formation des citoyens sont centraux dans l’enseignement civique et moral fondamental alors. Un des buts de l’école conçue par Jules Ferry est bien de préparer les jeunes générations à la nécessité de la « revanche » sur l’Allemagne après la défaite de 1870. Soit une école entièrement conçue dans le but d’unir le peuple dans une défense de la République, de ses frontières et de ses valeurs… pourtant bien malmenées au quotidien !
Car à cette époque comme aujourd’hui, les inégalités de classes sont fortes et fondent la société ; la liberté est celle que veulent les possédants et la répression s’abat sur la classe ouvrière dès qu’elle revendique plus de droits, comme le 1er mai 1891 à Fourmies où la fusillade contre une manifestation de grévistes a fait dix morts… Quant à la fraternité, elle n’a jamais existé dans cette société capitaliste, si ce n’est dans les organisations ouvrières. Et hypocrisie suprême de l’époque, la religion catholique redevient une alliée quand il s’agit de poursuivre et renforcer la colonisation en Afrique et en Asie. L’alliance du sabre et du goupillon est incarnée par la présence des missionnaires, en charge « d’éduquer et évangéliser » les indigènes !
La laïcité, à l’école notamment, a donné une identité spécifique à la France comparée à bon nombre d’autres pays, car il n’y est pas question de prière ou salut au drapeau. Les chefs d’État n’y prêtent serment sur aucune Bible… Mais depuis quelques décennies en France, tiennent néanmoins à se montrer à des messes, à s’afficher catholiques, y compris de prétendus socialistes comme Mitterrand et Cie. La laïcité a donc bien représenté une volonté de couper avec l’influence des religions, mais qui n’a jamais complètement abouti. Et surtout, elle a toujours été instrumentalisée par l’État bourgeois pour servir ses intérêts, en unifiant le peuple autour de valeurs supposées universelles alors qu’elles sont piétinées par les politiques menées et leurs conséquences.
Liliane Lafargue
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