Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 78, novembre-décembre 2011 > DOSSIER : Dix ans apès la catastrophe d’AZF, la sécurité en question dans (...)

DOSSIER : Dix ans apès la catastrophe d’AZF, la sécurité en question dans l’industrie chimique

De la chimie ancienne à la chimie moderne

Mis en ligne le 24 novembre 2011 Convergences Entreprises

À partir des années 1970, l’automatisation a commencé à s’implanter dans les grandes usines de la Chimie. Cette révolution technologique s’est accentuée les décennies suivantes avec l’essor de l’informatique et de l’électronique. Elle a profondément transformé les conditions de travail et aussi de sécurité des ouvriers de production. Cependant, le développement de l’automatisation dans les industries chimiques en France reste inégal. Il varie selon l’entreprise, sa taille, le type de fabrication, la nature des produits chimiques utilisés et, surtout, des choix politiques d’investissement du patronat. Il a créé ainsi deux grandes familles d’ateliers : les anciens et les modernes. Dans notre jargon de travailleur des industries chimiques, nous parlons de « chimie à l’ancienne » pour désigner des installations très vétustes et peu automatisées. La « chimie moderne », quant à elle, rassemble les unités de fabrication qui sont dans l’ultra-automatisation.

De l’ère manuelle à l’ère informatique

Cet essor technologique a permis une amélioration réelle des conditions de travail et de sécurité des ouvriers. Au départ, les conducteurs d’appareil d’industrie chimique, désignation actuelle des opérateurs de fabrication, étaient présents en continu dans l’atelier pour surveiller leurs paramètres de marche. Ils devaient regarder, par exemple, le niveau de remplissage des réservoirs sur place. Puis, certains paramètres de marche ont commencé à être retranscrits sur des « tableaux » dans une salle de contrôle. Aujourd’hui, les « tableaux » ont été remplacés par le SNCC (Système numérique de contrôle-commande) au moyen duquel l’opérateur conduit et surveille sur écran informatique les différents appareils de son atelier.

Peu à peu, avec l’automatisation croissante des machines, les opérations les plus pénibles ont disparu. Les ouvriers sont moins exposés aux produits et les opérations manuelles ont diminué. La sécurité individuelle a augmenté mais au prix de la diminution spectaculaire des effectifs. En effet, dans des grands ateliers, surtout dans l’industrie chimique lourde, les équipes par poste de 8 heures étaient de 15 à 20 personnes. Aujourd’hui, elles sont trois à quatre fois moins importantes. Par exemple, à Francolor à Saint-Clair-du-Rhône, de 1976 à 1992, l’usine est passée de 700 personnes à 200 personnes pour la même production.

Ces énormes gains de productivité ont surtout bénéficié aux patrons de la Chimie. Les ouvriers, en terme de réduction de travail, n’en ont pas vu la couleur. Pour gagner encore en productivité, le patronat joue sur un faible taux de recouvrement des équipes en poste et pousse aux heures supplémentaires. Les horaires postés en 3×8, 4×8 ou 5×8, les plus pénibles, engendrent une accumulation de la fatigue, une baisse de la vigilance et renforce le sentiment de lassitude.

C’est pour cela que la sécurité collective est indispensable et représente le principal rideau contre les accidents graves.

Ce que permet l’automatisation des systèmes de sécurité

La modernisation des installations a donné la possibilité d’étoffer les systèmes de sécurité à plusieurs niveaux. Prenons l’exemple d’une montée en pression anormale dans un réacteur : auparavant, le conducteur devait surveiller régulièrement la valeur de sa pression et la sécurité physique ultime du réacteur était une soupape (elle permet de décomprimer le trop plein de pression pour éviter l’explosion du réacteur). Il fallait en urgence qu’il fasse tout un tas de manœuvres d’arrêt. Aujourd’hui, il existe plusieurs seuils d’alarmes retransmis en salle de contrôle. Un premier « pression haute » qui alerte l’opérateur de la dérive dans son réacteur, lui laissant le temps d’intervenir. Un deuxième « pression très haute » arrêtant automatiquement l’arrivée des matières premières dans son réacteur.

L’automatisation des systèmes de sécurité est là donc pour suppléer à toute « erreur humaine ». Quand les patrons, suite à un accident grave, se déresponsabilisent en jetant la faute sur un travailleur qui n’aurait pas bien fait son travail, c’est donc un mensonge. Des incidents peuvent arriver, mais de graves accidents sont toujours la conséquence d’enchaînements de négligences ou de dysfonctionnements dans le maillage du système de sécurité collective.

Quand Total fait l’impasse sur la modernisation de la sécurité

Cependant, des systèmes de sécurité modernes ne sont pas présents dans toutes les entreprises, dans tous les ateliers, voire même dans des parties d’atelier. Tout dépend des choix économiques des patrons.

Même Total, une multinationale, qui a largement les moyens financiers, ne modernise pas toutes ses installations. L’exemple de l’explosion en juillet 2009, sur le site pétrochimique de Total à Carling dans la Moselle, qui a fait deux morts et six blessés, est édifiant. L’explosion a eu lieu sur un surchauffeur d’un four du vapocraqueur. Non équipé d’un dispositif de redémarrage automatique, il a dû être redémarré manuellement, obligeant les opérateurs à s’approcher au plus près de l’équipement. Les deux victimes rallumaient à la main le surchauffeur lorsqu’une poche de gaz s’est enflammée et a provoqué la déflagration. L’accident aurait pu être évité avec un équipement plus moderne ou, en tout cas, n’aurait pas eu cette conséquence funeste.

Des coups de marteaux sur les tuyaux

Aujourd’hui, l’état d’automatisation des installations est donc bien différente selon les entreprises et voire même à l’intérieur de celles-ci. L’exemple de l’atelier Rhodine, ex-Rhodia, est significatif. À côté d’un système de conduite entièrement automatisé, les conducteurs sont obligés de taper aux marteaux sur les tuyaux pour que le produit puisse s’écouler, ce qui provoque une déformation des tuyauteries. Le patron de Rhodia s’en est rendu compte seulement lorsque les travailleurs ont fait la grève du zèle du marteau lors de la vente de leur atelier. Alors, si dans des grands groupes de Chimie, nous retrouvons des parties d’ateliers « de chimie à l’ancienne », dans beaucoup d’entreprises plus petites, c’est très répandu. Dans ces usines, les travailleurs effectuent de nombreuses manutentions, ont plus de contact direct avec les produits et la sécurité collective est rudimentaire.

La modernisation des installations chimiques éviterait un bon nombre d’accidents ou, en tout cas, en limiterait sensiblement les conséquences. Elle éliminerait des tâches fastidieuses et rendrait le travail moins pénible. Mais la plus grande automatisation des installations ne réglera pas tout. Les ateliers demandent un entretien constant contre l’usure du temps, des effectifs suffisants pour son suivi. Et cela, c’est le même problème que les choix d’investir pour automatiser les installations : ce sont les patrons qui décident aujourd’hui et qui le font selon un seul critère, la rentabilité.

Maya PALENKE


Un exemple de chimie « à l’ancienne », SNF-Andrézieux (Loire)

Dans cette usine qui fabrique des polymères pour le traitement de l’eau, la cohabitation d’atelier très anciens (construits à la fin des années 1970, et déménagés tels quels depuis Saint-Étienne jusqu’à Andrézieux, une quinzaine de kilomètres plus loin) et d’ateliers plus moderne est la règle, avec une nette prédominance des premiers.

Même lorsqu’on trouve des salles de contrôle avec tableaux et gestion informatique, celles-ci sont au cœur des ateliers et ne protègent les ouvriers ni de l’exposition aux produits ni d’un éventuel accident (fuites, projections, voire explosion). D’ailleurs, le 23 novembre 2009, deux explosions ont eu lieu sur ce site classé Seveso, quatre salariés étant brûlés, dont deux gravement.

Aujourd’hui encore, dans l’atelier des Poudres, toutes les cuves ne sont pas équipées de préhenseurs (qui soulèvent et suspendent les sacs de poudre au-dessus de la cuve avant que l’opérateur ne les éventre). Ainsi, l’ouvrier doit porter le sac de 25 kilogrammes, l’ouvrir et renverser la poudre depuis une passerelle qui surplombe la cuve. Il vaut alors mieux que le système d’aspiration des résidus fonctionne parfaitement pour limiter l’exposition.

P.C.

Mots-clés :

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 78, novembre-décembre 2011

Mots-clés