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DOSSIER : Gaz de schiste : dollars et dégâts

Un produit dopant pour la pétrochimie

Mis en ligne le 24 septembre 2014 Convergences Société

L’exploitation massive des gaz de schiste aux États-Unis a considérablement fait baisser le prix de l’énergie et de certaines matières premières (éthane, butane, propane) pour la pétrochimie, industrie énergivore. De 2008 à 2012, le prix du gaz a été divisé par trois. L’éthane, issu des liquides de gaz naturel contenus dans les gaz de schiste et utilisé par la pétrochimie américaine comme matière première pour la fabrication de l’éthylène, a vu son prix chuter de 55 %. En sachant que, dans la production de l’éthylène, l’énergie et la matière première, l’éthane, représentent 70 % du coût, il est clair que les bénéfices des entreprises pétrochimiques sur le sol américain se sont envolés.

En 2009, le troisième chimiste américain, LyondellBasell, se déclarait en faillite. Quatre ans plus tard, il annonce un profit avoisinant les 4 milliards de dollars pour l’année 2013, en augmentation de 36 %, ainsi qu’un projet d’extension de trois sites pour augmenter sa capacité de production d’éthylène pour un montant d’1,3 milliard de dollars. Selon le pointage de la fédération américaine de la chimie, l’ACC, 135 projets ont été recensés fin décembre 2013, d’une valeur globale de 90 milliards de dollars. Avec les projets déjà lancés, les capacités de fabrication d’éthylène et de polyéthylène (polymère le plus utilisé pour la production de plastiques) sur le sol américain augmenteraient de 10 millions de tonnes, soit 40 %. Tous les grands groupes américains, pétroliers (ExxonMobil, Chevron, etc.) et chimiques (Dow Chemical, Dupont et autres LyondellBasel) investissent massivement, soit en dégoulottant [1] leurs unités déjà existantes, soit en construisant de nouvelles unités. Les entreprises américaines ne sont pas les seules à vouloir et pouvoir bénéficier de la situation : la moitié des projets annoncés sur le sol états-unien sont l’œuvre de groupes étrangers.

Exacerbation des contradictions

Les capitalistes mobilisent de grandes sommes d’argent car ils s’attendent à un retour très rapide sur leurs investissements. Les premiers seront les mieux servis. À l’heure actuelle, tous les projets de développement de nouvelles usines ou d’extension reposent sur le faible prix de l’énergie et des matières premières. Mais le prix du gaz fluctue et, après avoir atteint son plus bas cours en 2012, il remonte progressivement. Et cette tendance risque de s’accentuer, car, petit à petit, la demande va rattraper l’offre.

D’autre part l’opposition entre les intérêts des différents groupes capitalistes les conduit déjà à s’affronter. D’un côté, les groupes qui ont uniquement l’extraction du gaz de schiste comme activité ont intérêt à une hausse des prix du gaz pour augmenter leurs bénéfices. Ils espèrent pouvoir l’exporter sur d’autres continents pour rééquilibrer l’offre avec la demande sur le marché intérieur américain. De l’autre côté, les groupes chimiques n’ont, eux, aucun intérêt à la remontée des cours. Ils militent auprès du gouvernement pour qu’il maintienne la loi datant des années 1970 interdisant l’exportation de gaz et pétrole brut produits aux États-Unis.

Au détriment de la pétrochimie européenne ?

La pétrochimie européenne, selon le rapport de l’Ifri [2], serait confrontée à une demande européenne atone liée à la crise économique (bâtiment, automobile), à des coûts en énergie en hausse et à un outil de production en surcapacité et vieillissant. Cette étude en déduit que la pétrochimie européenne devra subir une nécessaire restructuration et adaptation de son outil de production. L’éthylène est produit en Europe à partir du naphta, distillation du pétrole brut acheté sur le marché mondial, et qui coûte donc aujourd’hui plus cher que l’éthylène produit aux États-Unis. Natixis [3] estime que l’impact de la baisse du prix du gaz entre 2008 et 2012 est l’équivalent pour les patrons du secteur de la chimie d’une chute de 17 % de leur masse salariale. Les capitalistes tirent bien sûr des bénéfices de leur activité en Europe, mais celle-ci n’est pas assez « compétitive » à leur goût.

Par ailleurs, la plupart des grands groupes pétroliers et chimiques européens sont présents aux États-Unis et comptent bien tirer profit de l’effet gaz de schiste en y investissant eux aussi massivement dans la production des produits bases de la pétrochimie. L’allemand BASF, premier chimiste mondial, se lancerait dans la construction d’un site de production de propylène aux États-Unis en investissant un milliard d’euros. Le groupe belge Solvay a racheté en octobre 2013 Chemlogics, spécialisé dans les produits chimiques pour la fracturation hydraulique. Thierry le Hénaff, le patron d’Arkema qui réalise aux États-Unis le tiers de son chiffre d’affaires, a déclaré quant à lui : « Ce qui est bon pour l’économie américaine est bon pour Arkema ». Il n’y a aucun doute, les affaires vont tout de même très bien pour les chimistes européens et français.

Beaucoup de journaux français ont pourtant écrit que la pétrochimie européenne était en danger et que les produits chimiques made in USA allaient déferler sur l’Europe à partir de 2017-2018.

Les Échos du 10 juillet, se faisant celui des revendications patronales, titraient : « Le gaz de schiste américain menace 10 000 emplois en France dans la chimie ». S’appuyant sur le rapport du cabinet Carbone 4, l’UIC (Union des industries chimiques) réclame de nouvelles mesures du gouvernement en faveur des patrons du secteur comme des exonérations de charges, l’attribution de recettes de taxes et des conditions d’accès plus privilégiées à l’électricité d’origine nucléaire et hydraulique. L’organisation patronale compte bien aussi utiliser le chantage à l’emploi pour faire pression sur le gouvernement pour qu’il autorise l’exploitation du gaz de schiste en France.

Mais, surtout, les patrons de la chimie européenne aimeraient bien faire accepter aux travailleurs du secteur de nouveaux plans sociaux et réorganisations en prétextant la concurrence du continent américain. Les travailleurs ne devront donc pas se laisser abuser par cette propagande et il leur faudra se préparer aux futurs mauvais coups du patronat.

Maya PALENQUE


[1Dégoulotter : modifier une installation déjà existante pour augmenter sa capacité de production en supprimant les parties limitantes.

[2Institut français des relations internationales. Rapport d’octobre 2013 conduit par Sylvie Cornot-Gandolphe.

[3Natixis : banque de financement, de gestion et de services financiers du groupe BPCE (fusion entre la Banque populaire et la Caisse d’épargne)

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