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DOSSIER : Gaz de schiste : dollars et dégâts

Les nouveaux rois du pétrole

Mis en ligne le 24 septembre 2014 Convergences Monde

En un temps record, les États-Unis sont redevenus l’eldorado des hydrocarbures. La production nationale de gaz naturel, de 511 milliards de mètres cubes en 2005, a bondi à 687 milliards en 2013, tandis que la production de pétrole brut est passée de 302 à 395 millions de tonnes par an entre 2008 et 2012. Une évolution entièrement due aux hydrocarbures non conventionnels, dont la part dans la production nationale n’a cessé d’augmenter : aujourd’hui, le gaz de schiste représente plus du tiers de la production de gaz naturel des États-Unis.

Ces résultats ne doivent rien au hasard. En Europe et aux États-Unis, la dépendance aux pays de l’Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) a poussé les multinationales, dès les chocs pétroliers des années 1970, à chercher des alternatives aux gisements conventionnels : forages offshore en eau profonde, gaz et pétroles de schiste, gaz de houille (le « grisou » des mines de charbon), pétrole et gaz de réservoirs compacts [1] ou encore pétroles lourds et sables bitumineux… Les progrès technologiques et le « troisième choc pétrolier » des années 2000 (le prix du brut, de 20 dollars en 2000, a dépassé les 140 dollars en 2008 !), lié notamment à la demande croissante des pays émergents, ont permis de rendre rentables ces hydrocarbures dont les coûts de production sont largement supérieurs à ceux des forages conventionnels.

Aux États-Unis, l’essor considérable de la production d’hydrocarbures de schiste est surtout le résultat d’une politique concertée de l’État fédéral et des industriels. Dick Cheney, Vice-Président entre 2001 et 2009, a d’abord été PDG de Halliburton, multinationale spécialiste des forages en grande profondeur. Après avoir poussé son gouvernement à intervenir en Irak pour « sécuriser » l’approvisionnement en pétrole des États-Unis, Cheney a fait adopter une série de lois favorables à l’industrie pétrolière nationale. Le point d’orgue de cette politique a été la Loi sur l’Énergie de 2005, qui exempte la fracturation hydraulique des réglementations sur l’eau potable, la qualité de l’air et la qualité de l’eau : un permis de polluer auquel s’ajoutent de multiples réductions d’impôts. À partir de cette date, la production de gaz de schiste a commencé à décoller, bientôt suivie à partir de 2008 par celle de pétrole de schiste, dopée par les hauts prix du pétrole.

Miracle économique ou désastre écologique ?

Le boom des gaz et huiles de schiste a eu des conséquences considérables sur l’économie américaine. Du fait de la multiplication des forages (en 2012 il y en avait déjà 500 000 sur tout le territoire !) les prix du gaz ont fortement baissé : de plus de 13 dollars par MBTU (million de British Thermal Unit) en juillet 2008, le prix du gaz est passé en dessous de 2 dollars en 2012 avant de remonter entre 4 et 5 dollars à l’heure actuelle. Les bas prix de l’énergie font les beaux jours de la pétrochimie américaine et poussent les capitalistes du monde entier à investir aux États-Unis, devenus la région du monde la moins chère en termes d’énergie et de matières premières pétrochimiques après le Moyen-Orient. Désormais moins cher que le charbon, le gaz tend à le remplacer dans les centrales thermiques américaines. Ainsi, au printemps dernier, la compagnie d’électricité Energy Future Holdings, qui avait préféré parier sur le charbon et le nucléaire, a connu une faillite retentissante.

Tous les capitalistes n’ont pas les mêmes intérêts dans cette « révolution » énergétique. Une partie du patronat (notamment certaines compagnies d’extraction) souhaite la hausse des prix du gaz notamment en exportant le gaz de schiste pour faire baisser l’offre intérieure − alors que ceux qui achètent le gaz à ces compagnies ont intérêt à maintenir les prix au plus bas. D’autres capitalistes encore s’alarment des menues arnaques de leurs congénères, notamment la surestimation des gisements, et de pratiques spéculatives, entre autres sur les droits miniers, sésame indispensable pour exploiter le sous-sol. Ces inquiétudes ont pu faire douter du caractère durable de l’impact économique des gaz et huiles de schiste. Reste que, dans l’immédiat, les profits des capitalistes, eux, sont indiscutables, comme le sont les effets sur l’économie américaine.

Les hydrocarbures de schiste sont aussi devenus une arme pour l’impérialisme américain, pour qui l’horizon de « l’indépendance énergétique » tant recherchée depuis les années 1970 semble plus proche. Il peut maintenant user de sa capacité à exporter son gaz, son pétrole et ses technologies de fracturation pour faire pression sur d’autres puissances de l’énergie comme la Russie. Et se porter candidat pour l’exploitation des immenses gisements non conventionnels d’Amérique du Sud, d’Europe, de Russie, de Chine, d’Algérie, d’Australie, etc.

Mais, s’il y a bien contradiction dans le boom du fracking américain, c’est entre les profits considérables empochés par certains capitalistes du monde entier – il n’y pas que les Américains qui font des affaires aux États-Unis – et les ravages causés par la fracturation hydraulique sur la société elle-même. Campagnes entières transformées en champs de derricks ; villes naguère sinistrées qui attirent une classe ouvrière nouvelle, travaillant au rythme effréné exigé par les nouveaux rois du pétrole ; pollution massive de la terre, de l’air et de l’eau. Surexploitation des travailleurs et mépris des populations et de leur environnement : la recette n’est pas neuve, mais elle est suffisamment assaisonnée de profits pour mettre en appétit bien des capitalistes de par le monde.

Aldino BATTAGLIA


[1En anglais tight gas ou tight oil. Hydrocarbures qui ont quitté la roche-mère, mais qui sont situés dans des réservoirs très difficiles d’accès parce que peu perméables et de grande profondeur.

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Numéro 95, septembre-octobre 2014