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De la Ghouta à Afrin, le peuple syrien pris en étau

La Turquie en guerre contre les Kurdes de Syrie

Mis en ligne le 23 mars 2018 Convergences Monde

Le nord de la Syrie est aujourd’hui un territoire pratiquement autonome, géré par le PYD (Parti de l’union démocratique) parti frère du parti autonomiste kurde PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) de Turquie, auquel Erdogan mène aussi sa guerre, en même temps qu’il fait, dans l’ensemble de la Turquie, la chasse aux opposants, emprisonne les journalistes et les militants syndicaux et interdit les grèves. Le canton d’Afrin qui est la cible, depuis la mi-janvier, de l’attaque de l’armée turque, est la partie ouest de cette zone autonome kurde.

Un sacré imbroglio où chaque puissance joue sa partition

Pour engager son attaque, la Turquie, alliée des occidentaux en tant que membre de l’Otan, a bénéficié de la mansuétude américaine qui ne l’a appelée qu’à la « retenue ». Mais elle a tout autant bénéficié de la complicité de la Russie, qui a subitement retiré ses troupes d’Afrin la veille de l’attaque de l’armée turque et laissé cette dernière opérer en toute tranquillité ses bombardements aériens. Au sol, l’offensive de la Turquie est en grande partie « sous-traitée » à ses alliés du jour : de la piétaille labellisée « ASL » ou appartenant à un énième front islamiste, le Hayat Tahrir al-Cham (HTC). L’ASL est composée de divers groupes armés islamistes ou de dissidents de l’armée syrienne, et fut, un temps, l’une des cartes militaires des USA. Quant au HTC (en français Mouvement de libération du Cham), il est le recyclage d’une partie du Front Al-Nosra se réclamant, il n’y a pas si longtemps encore, d’Al Quaida. Un sacré micmac d’alliances et de retournements au travers desquels les diverses puissances intervenant en Syrie ont financé le développement des bandes armées rivales grâce auxquelles elles mènent chacune leurs guerres pour promouvoir dès aujourd’hui leurs intérêts dans la Syrie de demain.

La politique nationaliste des dirigeants kurdes

En 2011, en pleines révolutions arabes, le PYD, se réclamant des mêmes idées « révolutionnaires » que le Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) de Turquie, s’était déclaré neutre et ne participait guère aux manifestations contre Bachar al-Assad. Alors peu connu hors des milieux kurdes, ce PYD s’est surtout affirmé à partir de 2012, lorsqu’une partie des forces du régime d’Assad se sont retirées du nord de la Syrie, pour se déployer ailleurs. Le régime confiant ainsi de fait au PYD le contrôle de trois cantons dans le nord du pays, peuplés en majorité de Kurdes : Afrin, Kobané et Djézireh, dont Damas continuait à payer les fonctionnaires. Assad laissait en prime au PYD la tâche d’empêcher toute progression dans cette région des diverses milices d’opposition à son régime.

Le prétendu « confédéralisme démocratique » mis en place par le PYD dans cette région, devenue autonome, appelée Rojava, cache mal le fait que toute force politique autre que lui est exclue du jeu. Et le seul objectif du PYD de construire l’embryon d’un État kurde, le Rojava, sous sa domination, ne se souciant guère du sort des populations non kurdes de la région, donne toutes les limites d’une politique qui une fois de plus dans l’histoire met le peuple kurde à la merci du jeu des diverses puissances.

Le tournant de la bataille de Kobané

En pleine période d’expansion de l’État islamique, les combattants du PYD furent les premiers à se montrer capables de freiner l’avancée des djihadistes, au cours du siège de Kobané, du 13 septembre 2014 au 14 juin 2015. L’armée d’Assad était en recul, et les USA étaient aux prises avec l’État islamique. Celui-ci avait envahi le nord de l’Irak, dont la région pétrolière de Mossoul, et mis en difficulté le gouvernement installé à Bagdad par les USA. La résistance des troupes du PYD à Kobané lui a valu d’obtenir le soutien militaire de la France, mais aussi de la Russie et des États-Unis qui lui livrèrent armes modernes et conseillers (certains membres des forces spéciales américaines présents sur place arborent d’ailleurs l’étoile rouge sur fond jaune, symbole du mouvement kurde, en guise d’insigne…).

Plus récemment, à la demande de Washington, une « coalition large » s’est structurée autour des YPG (les troupes du PYD) : les Forces démocratiques de Syrie (FDS) censées regrouper aussi quelques milices arabes non kurdes, mais dont l’essentiel reste celles du PYD. Ce sont notamment ces FDS, largement aidées par l’aviation américaine, qui ont repris en 2017 la ville de Raqqa, la « capitale de l’État islamique ».

Le peuple kurde à la merci du jeu des grandes puissances

Mais ni les États-Unis, ni les autres puissances ne sont mariées avec le PYD. Leur bénédiction à la répression d’Erdogan dans le Kurdistan turc et à son offensive sur Afrin en est la preuve dramatique. Macron s’est empressé de justifier l’offensive des armées d’Erdogan contre les Kurdes en déclarant : « Ce qui nous a été présenté [par la Turquie], c’est que cette intervention était limitée dans le temps et avait pour objectif de sécuriser la frontière et de lutter contre tout risque terroriste […] Il est clair que cette frontière est à risque […] Nous prenons en considération les intérêts sécuritaires de la Turquie qui est un allié. »

Le PYD est donc allé de nouveau chercher l’alliance contre la Turquie du côté du dictateur Assad, lequel n’a pas envie de voir la Turquie empiéter sur son territoire. Erdogan, quant à lui, avait affirmé qu’il était prêt à affronter les troupes d’Assad si celles-ci s’opposaient à son intervention. C’est vite arrivé : au milieu du mois de février des troupes de l’armée syrienne sont entrées à Afrin. Elles combattent désormais côte à côte avec les guérilleros kurdes.

L’impasse nationaliste

Le PYD balance ainsi d’une alliance militaire à l’autre avec des ennemis jurés du peuple de Syrie, qu’il soit kurde ou arabe. Ce Kurdistan « indépendant », « autonome » ou « confédéraliste démocratique », objectif affiché du PYD, ne pourra se maintenir qu’avec l’accord et le soutien, fort hypothétiques, de Damas et des puissances impérialistes. Pour combien de temps ? La politique du PYD depuis 2011, comme celle de tout mouvement nationaliste, s’est limitée à bâtir un groupe armé afin de tenter de défendre un territoire réservé aux Kurdes, qu’il contrôlerait, sans proposer quoi que soit à l’ensemble des pauvres, des travailleurs et des opprimés du régime d’Assad. Si les dictateurs comme Assad ou les gouvernants des grandes puissances savent diviser pour régner, les dirigeants nationalistes savent diviser aussi les pauvres entre eux, ou le tenter, pour inévitablement les faire perdre. 

8 mars 2018, Dom HAMMAREN

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