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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 95, septembre-octobre 2014

Editorial

Irak : Obama et Hollande promettent de faire la guerre à la barbarie qu’ils ont eux-mêmes créée

Mis en ligne le 24 septembre 2014 Convergences Monde

C’est avec des M-16 américains à la main et au volant de ces « humvee », véhicules blindés symboles de l’invasion de l’Irak en 2003 dont les troupes US ont laissé sur place de sacrés stocks, que les djihadistes de « l’État islamique » (EI) ont envahi un territoire grand comme le Portugal à cheval entre la Syrie et l’Irak. Ils y ont annoncé la fondation d’un « califat ». Leur communication à coup de décapitations en direct sur Internet a de quoi faire peur... Aussi moyenâgeuse et barbare que la pendaison en 2006 de Saddam Hussein, sur ordre des USA, en boucle sur toutes les télévisions du monde. Youtube contre mondiovision : même sur ce terrain, les armes sont inégales.

Mais une barbarie ne justifie pas l’autre. Le problème, c’est que l’une est en grande partie le fruit de l’autre. Et elle n’alerte nos chers gouvernants occidentaux que lorsqu’ils craignent qu’elle menace leurs intérêts.

Trois ans de répression et de guerre en Syrie ne les troublaient pas outre mesure. Mieux même, pour eux, la transformation de la révolte de mars 2011 en Syrie, dans la foulée des révolutions d’Égypte et de Tunisie, en une guerre entre le pouvoir et diverses bandes rivales sur le dos de la population, avait permis de noyer les aspirations sociales des populations pauvres de Syrie sous la guerre et les rivalités religieuses ou régionales savamment entretenues, financées et armées notamment par les grands amis de l’Occident que sont l’Arabie saoudite et le Qatar. 200 000 morts, trois millions de Syriens exilés et plus de six millions déplacés à l’intérieur du pays, c’était certes du désordre, mais qui protège de la révolte ! Comme le chaos aujourd’hui en Libye est le fruit de la guerre qu’y ont menée France, États-Unis et Grande-Bretagne pour mettre un coup d’arrêt aux révolutions du monde arabe.

Mais voilà que cette guerre de Syrie est soudain sortie de ses frontières. Ces derniers trois mois, les djihadistes de l’État Islamique ont envahi le nord de l’Irak, d’où venaient en fait une partie d’entre eux chassés vers la Syrie par l’occupation américaine. Ils ont commencé à y rallier des notables sunnites locaux, car c’est du ralliement de ces potentats qui lâchent le régime de Bagdad (dont ils ont toujours été très indépendants de fait) qu’il faut parler plus que d’un supposé ralliement des populations. Ils ont réussi à prendre le contrôle d’une ville de plus de deux millions d’habitants comme Mossoul et menacé d’avancer vers Bagdad.

Les larmes hypocrites de Hollande

La seule chose qui inquiète vraiment nos gouvernants dans cette affaire, c’est que l’avancée des bandes armées de l’EI ne finisse de déstabiliser totalement, voire fasse éclater l’Irak. Un Irak qui, depuis la guerre américaine de 2003 et l’occupation qui a suivi, est déjà émietté en communautés, sunnites ou chiites, Arabes ou Kurdes, et entre des chefs régionaux sur lesquels le gouvernement de coalition mis en place par les États-Unis à Bagdad (et qui vient d’être remanié) n’a qu’une autorité limitée. Car ne parlons pas des larmes hypocrites versées sur ces petites minorités chrétiennes d’Irak menacées pas les djihadistes qu’Hollande s’est juré de sauver (il lui faut bien à lui aussi sa guerre sainte) ; nos gouvernants en avaient tout simplement oublié l’existence quand leurs bombes s’abattaient sur l’Irak lors de la guerre de 1991, écrasant très « laïquement » la population irakienne, toutes religions confondues ; ou quand dix ans d’embargos ruinaient le pays, causant maladies et malnutrition (500 000 enfants morts) ; ou encore quand les bombes occidentales, à nouveau, et le débarquement massif de troupes le détruisaient dans la guerre de 2003.

Le sort du pétrole les inquiète plus que celui des Chrétiens, des Yezidis ou du peuple irakien en général. Et les inquiète, toujours pour les royalties tirées du pétrole, l’équilibre précaire des divers États dits « nationaux », en réalité découpés à la serpe par les grandes puissances au lendemain de la guerre de 1914. Un découpage grâce auquel elles ont continué à contrôler la région bon an mal an, malgré de multiples changements de régime et quelques revers.

La sainte alliance contre les peuples

Alors, depuis l’avancée en Irak des troupes de l’EI, les États-Unis, qui avaient, sous Obama, retiré leurs troupes de ce pays (sauf les conseillers et instructeurs militaires, sauf leurs mercenaires des sociétés américaines privées recrutant en grande partie leurs soldats en Afrique où ils coûtent moins cher), ont repris leurs bombardements sur le Nord de l’Irak. Pour compléter, l’armée américaine lançait mi-août un appel d’offres aux sociétés de mercenaires pour une nouvelle mission de guerre en Irak de douze mois, renouvelable trois ans. L’Iran, qui passait volontiers pour ennemi des États-Unis, y a envoyé des conseillers militaires. La Russie a livré des avions de chasse au gouvernement de Bagdad. L’Arabie saoudite et la Jordanie ont déployé des troupes aux frontières irakiennes. Même le régime d’Assad en Syrie a engagé, depuis la fin du mois d’août, des combats contre l’EI, lui qui, jusque-là, avait une sorte de pacte de non-agression avec ces djihadistes sur son territoire, tant qu’ils ne faisaient que contribuer au contrôle de la population et au harcèlement des groupes armés rivaux. Et le petit soldat Hollande de commencer à livrer des armes aux soldats du gouvernement régional kurde, et de faire, en ce début septembre, un pèlerinage à Bagdad.

Obama s’efforce aujourd’hui de mettre sur pieds une large coalition pour reprendre la guerre en Irak. Sous une autre forme, a-t-il promis à la télévision le 10 septembre dernier : les États-Unis se réserveraient le ciel ; l’enfer de la guerre au sol serait pour les troupes envoyées ou entraînées par les dictateurs des pays arabes voisins. « Cela prendra peut-être un an, peut-être deux, peut-être trois », précise le secrétaire d’État, John Kerry. Si ce n’est plus. Car la guerre d’Afghanistan, lancée pour, paraît-il, en finir avec le terrorisme, dure depuis treize ans. L’occupation militaire de l’Irak a duré huit ans, mais la guerre n’y a jamais vraiment cessé et est en train d’y reprendre de plus belle. Car, loin de mettre fin à la multiplication des bandes armées, c’est l’exploitation forcenée des richesses du Moyen-Orient par les trusts, et les guerres que les grandes puissances y mènent qui engendrent le terrorisme, fabriquent les recrues pour toutes les bandes qui postulent au pouvoir.

Le Moyen-Orient ne sortira du chaos dans lequel on le plonge aujourd’hui que par la révolte des opprimés. Les révolutions arabes de 2011, qu’on a baignées dans le sang (par la répression au Bahrein, par la guerre de Libye et en Syrie) ou qu’on s’efforce d’étouffer en Tunisie et en Égypte, n’en sont, espérons-le, qu’une avant-première.

Le 13 septembre 2014


D’où vient « l’État Islamique » ?

Un imprévisible sous-produit de la guerre de Syrie serait-il en train de déstabiliser l’Irak si bien pacifié ? Non. L’entrée en Irak des troupes de l’EI n’est qu’un come-back. Se réclamant au début d’Al-Qaïda, cette mouvance djihadiste s’était formée en Irak même, recrutant parmi les écœurés de l’occupation américaine, de ses répressions et exactions : ce massacre de Fallouja en 2004 notamment, où l’armée américaine, après avoir réprimé une manifestation, avait assiégé la ville et bombardé avec des bombes incendiaires et des munitions à l’uranium appauvri. Une grande partie de la population avait dû s’exiler. Dans les années qui ont suivi la bataille, le nombre de malformations congénitales graves et de cancers a augmenté de façon très importante : « Chaque famille de Fallouja a son bébé monstre », affirmait dans son enquête la journaliste Angélique Férat [1]. Sous le gouvernement Maliki, en 2012 et 2013, des manifestations sunnites à Fallouja (installant en ville un camp sur le modèle de celui de la place Tahrir lors du printemps arabe, mais avec pour leaders des forces politiques réactionnaires) étaient réprimées par l’armée irakienne. Quoi d’étonnant que Fallouja ait été, dès le 4 janvier 2014, la première ville occupée sans peine par les troupes de l’IE, avec l’appui des chefs tribaux locaux ?

C’est après leur échec dans la guerre entre bandes régionales, et entre milices sunnites et chiites, qui a sévi de 2006 à 2008 dans l’Irak occupé par l’armée américaine faisant 3 000 morts par mois et provoquant le déplacement de 4 millions d’Irakiens (sur une population de 25 millions), que ce qui restait de cette troupe de djihadistes avait trouvé refuge en Syrie. Elle s’y est étoffée en contrôlant une petite région de Syrie, sous l’œil bienveillant de Bachar Al-Assad, avec l’aide financière de l’Arabie Saoudite et d’autres pays du Golfe, avant d’afficher ses ambitions régionales en prenant le nom d’État Islamique d’Irak et de Syrie (ou du Levant). Et la voilà de retour au pays.


Les retombées de l’occupation américaine

Captant la colère croissante contre l’occupation américaine, divers groupes armés sunnites, dirigés par des islamistes, des ex-Baasistes ou des chefs tribaux d’un côté, des milices islamistes chiites de l’autre, se sont développés, et les groupes armés nationalistes kurdes se sont senti les coudées franches.

La colère de la population s’est aussi exprimée, sous la forme de manifestations pour des revendications populaires ou de grèves. Notamment une grève dans le port de Bassorah en 2004, où les dockers s’opposèrent à la privatisation proposée par Bremer, ou de nombreuses grèves dans l’industrie du pétrole. Cela montre tout de même qu’une autre voie aurait été possible que celle qui a conduit au chaos d’aujourd’hui.

À toutes réactions ou manifestations la réponse de l’occupant a été d’une rare violence. Les photos de torture prises dans la prison d’Abu Ghraib ont fait le tour du monde. Les exactions généralisées ciblant toutes les factions armées de manière indifférenciée mais, surtout, les populations civiles auraient pu souder un large front de la population irakienne contre l’occupation.


Qui suscite les haines religieuses et communautaires ?

Une haine ancestrale empêcherait-elle kurdes ou arabes de vivre ensemble ? La querelle pour la succession du prophète qui a créé, il y a 1 350 ans, le premier schisme de la religion musulmane entre sunnites et chiites dont les intégristes respectifs se font aujourd’hui la guerre, aurait-elle rendu les croyants de ces deux branches à tout jamais inconciliables ? Non. Pendant cinquante ans, toute la moitié du xxe siècle au moins, ils ont bien vécu dans ces mêmes frontières sans qu’il y ait ces affrontements communautaires ou guerres de clan incessantes. Différences de langues ou de religions ne sont que les prétextes sur lesquels s’appuient gouvernements en place, potentats locaux ou démagogues pour se tailler leur part de pouvoir, pour provoquer les affrontements qui, à coups de morts, regroupent derrière eux leur communauté. Avant eux, les puissances impérialistes elles-mêmes s’en sont largement servies, notamment au lendemain de la guerre de 1914-1918, au moment du démantèlement de l’empire ottoman, quand elles s’en sont partagé les dépouilles. Les gouvernements qui ont suivi, après les indépendances, ont souvent fait de même contre leurs minorités (voire les majorités quand le pouvoir appartenait à une communauté minoritaire). Mais, en Irak, l’occupation américaine de 2003 à 2008, jouant d’une communauté contre l’autre, a largement créé la situation actuelle.



F. le guerrier

« Il a dû faire toutes les guerres
Pour être si fort aujourd’hui
Il a dû faire toutes les guerres
De l’Afrique
Et l’Orient aussi… »

(d’après Je l’aime à mourir, de Francis Cabrel)

Comme les Français n’en sont pas encore à « l’aimer à mourir » (entre 13 et 20 % d’opinions favorables selon les divers instituts de sondage ce mois-ci), notre petit François ne veut pas louper une occasion de prendre du galon. L’entente d’Obama et Poutine l’a déjà frustré, il y a un an, d’une guerre en Syrie. Il n’allait pas laisser une intervention en Irak lui passer sous le nez !

Alors Hollande a été le premier à promettre de livrer des armes aux Kurdes d’Irak. Humanisme socialiste oblige, il a promis aux chrétiens de là-bas un asile en France. Patatras ! Pour un rendez-vous au consulat français d’Erbil, il fallait verser un pot de vin de 3 000 euros, pour un visa d’affaire entre 4 000 et 10 000 euros. Avec un ministre qui ne paye pas ses impôts et un consulat vérolé par la corruption, comment voulez-vous gouverner ?

Qu’à cela ne tienne. Le 12 septembre, Hollande a fait le voyage inverse, sans visa. Et c’est par la coulée verte, une route vidée de toute circulation, encadrée de blindés et de miradors, que notre valeureux guerrier a fait le trajet de l’aéroport au palais présidentiel de Bagdad. Puis, il a repris l’avion pour Erbil, confier au chef de parti kurde, Mahmoud Barzani, que le quatrième envoi d’armes était bien en route. Et de rentrer dare-dare à Paris pour y recevoir, lundi 15 septembre, ses invités d’une future coalition en Irak.

Quelques jours plus tôt, la France avait signé un contrat de livraison d’armes au Liban, dont la facture devrait être payée par l’Arabie saoudite. Voilà qui va relancer l’industrie française. Si, avec cela, le nombre de chômeurs continue à augmenter en France, c’est sûrement qu’ils ne veulent pas travailler. Le ministre du Travail Rebsamen leur fera la guerre. 

O.B.


[1« À Fallouja, les « bébés monstres » soulèvent des questions sur les armes américaines utilisées en 2004 », Le Monde du 10 juin 2011.

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