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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 89, septembre-octobre 2013

Élections primaires en Argentine : Effondrement de Kirchner et percée de l’extrême-gauche

Mis en ligne le 29 septembre 2013 Convergences Monde

Les élections « primaires obligatoires » – qui ont eu lieu le 11 août en Argentine pour sélectionner les candidats qui pourront se présenter le 27 octobre [1] aux élections définitives de 127 députés et 24 sénateurs – sont marquées par un véritable effondrement des partisans de la présidente Kirchner et par une percée du FIT (Front de la Gauche et des Travailleurs) qui réunit trois partis trotskystes : le Parti ouvrier, le Parti des travailleurs socialistes et la Gauche socialiste.

Alors que Cristina Kirchner avait obtenu 54 % des suffrages à la Présidentielle de 2011, son parti, le Front pour la victoire, n’a recueilli le 11 août que moins de 30 % des voix, et encore en tenant compte de diverses coalitions locales. Elle perd ainsi près de 4 millions de voix, certes en majorité au profit de la droite, mais aussi de l’extrême gauche qui recueille près d’un million de voix et 5 % des suffrages, entre le FIT (900 000 voix) et le Nouveau MAS, autre parti trotskyste qui s’était présenté seul, et en obtient 100 000. Aux primaires d’août 2011, le FIT n’avait obtenu que 520 000 voix et le Nouveau MAS 16 000.

Un contexte de crise et de révolte sociale

Le grand vainqueur de l’élection semble cependant être Sergio Massa, ex-chef de Cabinet de Kirchner, dont le Front Rénovateur (scission de droite du parti justicialiste péroniste au pouvoir) obtient 35 % des voix dans la province de Buenos Aires contre 30 % au parti de la présidente. Celui-ci vise la présidence et a senti le vent tourner.

Ces élections se sont en effet déroulées dans un contexte de crise sociale, de dégradation de la situation économique et d’attaques contre la population laborieuse. Depuis la crise de 2001, qui avait vu l’effondrement de l’économie argentine, la situation s’était sensiblement redressée et l’amélioration relative qui en avait résulté pour une partie de la population avait apporté une grande popularité au Président Nestor Kirchner et à son épouse Cristina qui lui a succédé. Ceux-ci appartiennent au Parti Justicialiste, qui se revendique de l’héritage de Juan Perón qui a régné sur l’Argentine de 1946 à 1955, puis brièvement en 1973-1974, à une époque de prospérité économique. Mais, depuis deux ans environ, la crise économique a rattrapé l’Argentine où l’inflation atteint 30 % par an, alors que les salaires n’ont été revalorisés que de 20 %. Le gouvernement a adopté des mesures d’austérité, dont l’une des plus impopulaires est un nouvel impôt sur les salaires qui frappe plusieurs millions de travailleurs. À cette dégradation du pouvoir d’achat, s’ajoutent une série de scandales dont certains concernent l’entourage direct de Kirchner (elle-même accusée d’un enrichissement personnel considérable), plusieurs catastrophes liées aux économies d’entretien, telles que l’accident ferroviaire de la station 11 de Buenos Aires, il y a un an et demi, qui a fait 51 morts et 500 blessés, et, plus récemment, une explosion de gaz à Rosario, troisième ville d’Argentine, qui a détruit ou endommagé plusieurs dizaines d’immeubles, a coûté la vie à une vingtaine de personnes et fait des centaines de blessés. [2] Cristina Kirchner, qui s’était rendue sur les lieux, fut copieusement huée par la population. L’exaspération des défavorisés s’est traduite aussi par la vague de pillages de grandes surfaces en décembre 2012.

Face au mécontentement des travailleurs, Kirchner n’a pas hésité à employer la répression brutale. La police de Santa Cruz tirait ainsi à balles en caoutchouc le 10 mai 2013 sur une manifestation d’employés et de fonctionnaires qui revendiquaient des hausses de salaire.

La démagogie de la droite et des bureaucrates syndicaux

Les politiciens qui ont rompu avec Kirchner sur sa droite, comme Massa, qui se réclame toujours du péronisme, n’ont pas hésité à critiquer la politique sociale de la présidente pour tenter d’obtenir des suffrages populaires. De même, la puissante CGT, traditionnellement liée au mouvement péroniste et à l’État, a connu une scission dirigée par son ancien secrétaire général Hugo Moyano qui, tout en s’alliant à la droite [3], a néanmoins participé à divers mouvements aux côtés de la CTA, née d’une précédente scission de 1991, laquelle représente la gauche syndicale, en particulier contre l’impôt sur les salaires. Alors que ce qui reste de la CGT « officielle » continuait à soutenir Kirchner, qui lui accorde toutes sortes de prébendes dont elle a privé la clique de Moyano. [4]

En dépit de cette confusion, un million d’électeurs qui appartiennent très majoritairement aux classes populaires, ont donc voté pour l’extrême-gauche. Dans certaines régions comme Santa Cruz, Mendoza ou Jujuy, le FIT a même obtenu entre 7 % et 11 % des suffrages. Il convient évidemment d’attendre les résultats « définitifs » du 27 octobre pour en avoir confirmation.

Bien sûr, les péronistes, dans leurs différentes variantes, continuent à capter l’essentiel du vote populaire. Mais on peut espérer qu’une fraction significative de travailleurs s’est ainsi prononcée pour une alternative de classe, dans la mesure où le FIT a présenté nombre de militants ouvriers, dont certains ont joué un rôle dans des luttes ces dernières années et mis en avant des revendications ouvrières dans sa campagne.

Au-delà de la percée électorale

Mise à part l’Argentine, ce n’est pas la première fois que l’extrême gauche trotskyste parvient à obtenir une certaine audience électorale. En France, entre 1995 et 2007, LO puis la LCR avaient pu obtenir des résultats électoraux significatifs (5,3 % pour Arlette Laguiller aux présidentielles de 1995, un total de près de 10 % pour les candidatures d’Arlette Laguiller et d’Olivier Besancenot à celles de 2002, 4,08 % de Besancenot en 2007). Des scores qui se sont effondrés depuis. Manifestement, une telle percée au cours de la décennie précédente traduisait une attente du côté de l’électorat populaire et une véritable opportunité pour l’extrême gauche. Mais nous avons également pu vérifier l’énorme décalage entre un score électoral (qui se révèle souvent très volatil) et l’implantation réelle d’une organisation comme ses capacités d’intervention (ce qui vaut aussi dans les deux sens, un rôle effectif dans les luttes ne se traduisant pas toujours électoralement !). Certes, il s’agissait en France de scores aux présidentielles, un scrutin qui personnalise l’élection au niveau national (et dans une moindre mesure aux européennes), jamais atteints aux législatives. En Argentine, les scores du FIT ont été obtenus en mettant en avant des militants et leaders locaux reconnus par une partie des travailleurs. Mais la prudence d’appréciation reste de mise.

Néanmoins, ces résultats électoraux en Argentine sont encourageants, voire prometteurs, pour les groupes, les femmes et hommes qui militent pour faire vivre les idées révolutionnaires dans la classe ouvrière. Car le fait qu’une fraction de travailleurs, même petite, marque son soutien à des organisations qui se placent clairement sur le terrain de la lutte de classes est un important point d’appui. Pour poursuivre les efforts systématiques d’implantation et d’intervention dans la classe ouvrière, bien sûr, mais aussi pour saisir toutes les occasions de proposer une politique révolutionnaire à l’échelle du pays, susceptible d’ailleurs de surmonter les divisions actuelles entre les courants, au sein du FIT comme avec les organisations qui, comme le Nouveau MAS, ne l’ont pas rejoint. L’apparition d’un courant ouvrier et populaire radical pourrait signifier la fin de toute une époque marquée par la capacité du péronisme et de ses appareils syndicaux à contrôler étroitement le mouvement ouvrier, y compris en employant des méthodes de gangsters. Aux organisations révolutionnaires argentines de relever le défi.

Le 15 septembre 2013

George RIVIERE


[1Il faut obtenir au moins 1,5 % des suffrages pour pouvoir se présenter à cette seconde élection.

[2La compagnie qui gère le réseau de gaz est Litoral Gas, filiale de… GDF Suez.

[3Moyano était lui même candidat sur une liste péroniste de droite.

[4Le rapport de forces entre ces confédérations rivales est d’autant plus difficile à évaluer que, si des Fédérations syndicales entières ont théoriquement suivi leurs dirigeants, ce n’est pas nécessairement le cas de la base. Ce qui laisse une marge de manœuvre beaucoup plus grande aux organisations locales souvent dirigés par des militants combatifs.

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Numéro 89, septembre-octobre 2013