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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 89, septembre-octobre 2013 > Tunisie

Tunisie

De la dictature au parlementarisme... et vice versa ?

Mis en ligne le 29 septembre 2013 Convergences Monde

L’assassinat le 25 juillet dernier de Mohamed Brahmi, dirigeant du Front Populaire, une coalition de gauche et d’extrême gauche, a plongé à nouveau la Tunisie dans la crise politique. Depuis, les travaux de l’Assemblée nationale constituante (ANC) sont suspendus et un «   front de salut national   » (FSN) réclame la démission du gouvernement dirigé par les islamistes d’Ennahdha.

La lutte des places contre la lutte des classes

Ce nouvel assassinat, après celui de Chokri Belaïd le 6 février dernier, est largement apparu comme un signal donné par les islamistes à tous ceux qui s’opposent à leur pouvoir. Bien loin de cette «  légitimité des urnes  » invoquée pourtant à tout bout de champ. Soufflant le chaud et le froid depuis leur élection le 23 octobre 2011, les islamistes au pouvoir alternent savamment entre une posture de dialogue avec l’opposition et la «  société civile  », et des coups de force réguliers, notamment à travers leurs hommes de main des milices dites «  ligues de protection de la révolution  » (LPR).

Leur tactique serait plus transparente si leurs adversaires proclamés n’étaient pas si conciliants. Depuis l’attaque de son siège le 4 décembre dernier par les nervis des LPR, la centrale syndicale UGTT s’est contentée de multiplier les « initiatives de dialogue national contre la violence  » réunissant autour d’une table tous les partis bourgeois, dont Ennahdha. Avec un résultat nul, puisque, malgré les pleurnicheries démocratiques des responsables syndicaux, les milices des LPR ne sont toujours pas dissoutes.

Le 26 juillet, au lendemain du meurtre de Brahmi, l’UGTT a appelé à une journée de grève générale, aussi encadrée que celle à laquelle elle avait appelé en février à la suite de l’assassinat de Belaïd, et en s’assurant au préalable de l’accord de l’Utica, le Medef tunisien. Le fait que cet appel ait été massivement suivi montre la combativité de la classe ouvrière tunisienne, bien décidée à ne pas se laisser voler sa révolution.

Autant pour juguler ce nouvel élan de contestation que pour des raisons carriéristes personnelles, l’opposition parlementaire bourgeoise a choisi d’occuper le devant de la scène en multipliant les invectives en apparence radicales contre le gouvernement islamiste. À sa tête, le vieux crocodile Beji Caïd Essebsi, 87 ans, ministre de Bourguiba, discret sous Ben Ali puis chef du gouvernement transitoire qui a précédé l’élection d’Ennahdha. Son parti, Nida Tounès (Appel de la Tunisie), est une machine à recycler les « foullouls », anciens dignitaires du RCD de Ben Ali. Muet sur toutes les questions économiques et sociales, et pour cause, il se pose en «  laïc  », en «  défenseur de la démocratie » et exige démagogiquement la démission du gouvernement et la dissolution de l’ANC.

Choisis ton camp, camarade !

Il n’en fallait pas plus pour que le Front Populaire, qui avait réussi ces derniers mois à gagner du crédit dans la classe ouvrière, ne décide de devenir la cinquième roue du carrosse de cette opposition bourgeoise. Dès la fin du mois de juillet, il a signé un accord avec Nida Tounès et ses satellites pour former un Front du Salut National (FSN) visant à nommer un «  gouvernement de salut national  » composé de «  technocrates  » qui dirigeraient le pays pour six mois dans l’attente... de nouvelles élections.

Alors que la bourgeoisie met en scène un affrontement factice entre deux «  camps  » politiciens des plus poreux, les seuls qui prétendaient représenter les intérêts politiques de la classe ouvrière rallient donc avec armes et bagages un des vieux politiciens de la dictature. Au risque de devenir les dindons de la farce entre ces deux camps prompts à marchander derrière leur dos.

Officiellement le gouvernement et l’opposition bourgeoise ne communiquent que par l’intermédiaire d’un «  quartet  » qui multiplie les réunions avec les deux camps. Un quartet qui réunit les bureaucrates de la direction de l’UGTT, les patrons de l’Utica, les petits-bourgeois de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et de l’Ordre des avocats, et se pose en garant d’un « intérêt national  » prétendument au-dessus des classes sociales. Mais, au-delà, après un mois de blocage parlementaire, il semble que des contacts discrets se multiplient, derrière leur dos, entre Rached Ghanouchi, chef de file d’Ennahdha, et Essebsi !

Derrière le rideau de fumée

La comédie politicienne a de quoi dégoûter la classe ouvrière et la jeunesse tunisiennes. Alors que la lutte des places est à son comble, l’UGTT vient d’accepter sans discussion de reporter d’un an les négociations salariales. Les coupures d’eau et d’électricité se multiplient. L’impôt sur les sociétés a baissé de 5 %. Les prix augmentent, même ceux des produits de première nécessité pourtant subventionnés. Le chômage et l’emploi dans le «  secteur informel  » explosent, tandis que les attaques du gouvernement contre les droits des femmes et la liberté de la presse continuent. Mais les grèves et les manifestations marquent momentanément le pas, comme si la population était étourdie par la mise en scène d’une crise politique à laquelle elle est tout à fait étrangère.

N’est-ce pas là l’avantage que la bourgeoisie peut tirer d’une démocratie parlementaire – même « transitionnelle » et vouée à l’échec – par rapport à la dictature ? Du moins tant que les ouvriers tunisiens ne se doteront pas d’une organisation communiste révolutionnaire, capable de faire émerger une perspective de classe dans la cacophonie politicienne.

Le 18 septembre 2013

Raphaël PRESTON


On prend les mêmes et on recommence !

Face à la montée en puissance de Nida Tounès, Ennahdha a fait voter en juin à l’ANC une « loi d’immunisation de la révolution » qui interdirait pendant sept ans aux anciens responsables benalistes et bourguibistes de se présenter aux élections. C’est bien sûr Essebsi et son parti de « foullouls » qui étaient principalement visés. Tollé dans l’opposition, y compris au front populaire, réduit à dénoncer une mesure « fasciste ».

Cette loi a finalement été annulée au cours des négociations entre le gouvernement et l’opposition : un geste de Ghannouchi envers Essebsi, qui l’en a vivement remercié !


L’impérialisme ne veut pas miser sur le mauvais cheval

Lors d’une visite d’État en Tunisie les 4 et 5 juillet derniers, François Hollande avait assuré le gouvernement islamiste de son franc soutien : «  La transition est aussi bien maîtrisée qu’organisée, et ne manquera pas de devenir un modèle dans la région ». Et d’ajouter : «  Islam et Démocratie ne sont pas incompatibles  ». Au lendemain de la chute de Morsi en Égypte, alors que des voix s’élevaient en Tunisie pour prendre exemple sur le mouvement «  Tamarrod  », le président français a tenu à rassurer ses partenaires : «  Ce qui se passe en Égypte est un échec et un processus qui s’est interrompu  » mais «  la situation dans ce pays diffère de celle en Tunisie ».

Dans la crise politique ouverte depuis par l’assassinat de Brahmi, l’Union Européenne a appelé les deux parties à «  la retenue  » et le président français a insisté sur «  l’organisation rapide d’élections aussi incontestables que celles de 2011 ». Que l’un des deux camps l’emporte ou qu’ils trouvent un compromis, l’impérialisme français vise surtout à toujours rester aux manettes, en étroite entente avec la bourgeoisie tunisienne représentée par l’Utica.


Ennahdha et ses « enfants »

Au lendemain de l’assassinat de Mohamed Brahmi, en pleine grève générale, le ministre islamiste de l’Intérieur annonçait que les coupables étaient déjà identifiés : un commando lié aux salafistes de l’organisation Ansar-Al-Charia, responsable aussi du meurtre de Chokri Belaïd cinq mois plus tôt. Une précipitation troublante, d’autant que l’enquête sur l’exécution de Belaïd était officiellement au point mort.

Le surlendemain, alors que des milliers de Tunisiens se rendaient à un sit-in devant l’ANC pour demander sa dissolution, huit soldats étaient tués sur le Mont Chaâmbi, près de la frontière algérienne. Cette action non revendiquée a été aussitôt attribuée par le gouvernement à Ansar-Al-Charia (interdite depuis et classée « organisation terroriste »). Une manière pour

Ennahdha de donner le change, alors que le gouvernement profite des assassinats politiques et des agissements des LPR pour instaurer un climat de terreur.

Mais rappelons que les liens entre Ennahdha et Ansar-Al-Charia ne sont mystère pour personne depuis la diffusion d’une vidéo où Ghannouchi conseillait aux salafistes de « patienter » et les présentait comme ses « enfants ». Des enfants un peu trop remuants pour l’instant mais qui pourraient bien servir dans l’avenir... 

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