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Egypte

Un gouvernement en trompe l’œil, pour une politique qui ne trompe pas

Mis en ligne le 29 septembre 2013 Convergences Monde

L’état d’urgence dans le pays, proclamé le 14 août au moment de la répression sanglante contre les partisans de Morsi, vient d’être reconduit pour deux mois. Cette loi d’exception appelée État d’urgence donne droit à la police et à l’armée de procéder à des arrestations sans mandat, de maintenir les suspects en détention pour une période non déterminée, de les juger devant des tribunaux militaires. Depuis le renversement de Moubarak, les régimes du maréchal Tantaoui, puis de Morsi, en ont fait large usage. Le nouveau en place, le général Sissi, ne déroge pas : envoi de l’armée, début août, contre les grévistes de l’usine sidérurgique de Suez.

Sous cautions démocratique et syndicale

Pour mener à bien leur politique et après s’être débarrassés de leurs alliés islamistes, les chefs de l’armée sont allés recruter dans le camp d’en face où il se trouve des politiciens pour entretenir l’illusion d’une armée au service du peuple.

Le chef de file des « démocrates », Mohamed Baradei, figurait aux côtés du général Sissi lors de la déclaration de destitution du président Morsi. Cette récupération-là semble avoir tourné court : quelques jours plus tard, Baradei démissionnait de son nouveau poste de ministre, en désapprobation de la répression sanglante menée contre les partisans de Morsi.

Par contre le nouveau ministre du travail, Abou Eita (jusque-là président de la fédération des syndicats indépendants EFITU, initiales anglaises de la Fédération égyptienne des syndicats indépendants), n’a pas démissionné lorsque l’armée s’en est prise aux grévistes de Suez. Ce syndicaliste qui s’est prétendu indépendant, a retourné sa veste et déclaré : « Les travailleurs qui étaient champions de la grève sous l’ancien régime doivent maintenant devenir des champions de la production. » Chez les avocats du monde du travail, le nouveau gouvernement a trouvé son ministre de la Solidarité sociale, Hasan Al-Bur’i, spécialiste de droit du travail à la faculté du Caire, conseiller des syndicats indépendants.

Manœuvres pour contrôler le monde du travail

Début septembre le nouveau gouvernement a destitué les dirigeants de la confédération syndicale officielle, l’ancien syndicat unique ETUF (Fédération syndicale égyptienne), désignant lui-même leurs remplaçants. Morsi avait fait de même un an plus tôt, plaçant à la tête du syndicat gouvernemental ses hommes à lui, ceux qu’on déboulonne aujourd’hui. Les travailleurs n’ont pas eu leur mot à dire : les nouveaux chefs syndicaux ont été nommés par le pouvoir, et sont venus prendre leurs fonctions encadrés par des forces de police, décrit le journal El Ahram. Dans la bonne tradition du syndicalisme de l’ère Moubarak.

Le développement de syndicats indépendants (un événement dans un pays où seule la centrale officielle était légale), a marqué les deux ans et demi qui ont suivi la chute de Moubarak. Abu Eita lui-même en était un pionnier, puisqu’il avait créé le syndicat des collecteurs d’impôts, premier syndicat indépendant, avant même la fin de l’ère Moubarak.

C’est un signe de faiblesse politique du mouvement ouvrier égyptien que la majorité du bureau de la Fédération indépendante EFITU ait approuvé la décision de son chef, Abu Eita, de quitter son poste de président du syndicat pour le poste de ministre. La direction syndicale a même voté une motion de soutien à la « feuille de route » que l’armée s’est donnée, au nom de la « transition » à assurer. Ces chefs syndicalistes nouveaux sont bien semblables aux anciens, et à ceux de tous les pays, toujours en quête du moindre mal et de la reconnaissance par les gouvernements !

Les luttes se poursuivent néanmoins

Heureusement que d’autres militants sont lucides, même s’ils sont minoritaires. Membre de la direction de cette même fédération indépendante EFITU, Fatma Ramadan, proche de l’extrême gauche, a déclaré publiquement : « En tant que fédération syndicale notre rôle doit être de défendre tous les droits des travailleurs, y compris le droit de grève. (…) Nous ne pouvons pas faire appel aux travailleurs pour protéger les intérêts des hommes d’affaires en abandonnant les droits du travail, sous prétexte de renforcer l’économie nationale. » [1] Et elle a appelé les travailleurs à ne pas se laisser duper par l’armée.

Même position défendue par le petit groupe de militants trotskystes des Socialistes révolutionnaires, qui déclaraient au soir de la répression sanglante des rassemblements pro-Morsi à la mi-août : « La sanglante dispersion des sit-ins du parc Al-Nahada et de Raba’a al-Adawiyya n’est rien d’autre qu’un massacre ; préparé à l’avance. Son objectif est de liquider les Frères musulmans. Elle fait aussi partie d’un plan pour détruire la révolution égyptienne et restaurer l’État militaro-policier du régime Moubarak. Les Socialistes révolutionnaires n’ont à aucun moment défendu le régime de Mohamed Morsi et des Frères musulmans [2]. Nous avons toujours été aux premiers rangs de l’opposition contre ce régime criminel. (…) Nous avons participé de toutes nos forces à la vague révolutionnaire du 30 juin 2013. (…)Il faut cependant replacer les événements d’aujourd’hui dans leur contexte, c’est-à-dire leur utilisation par les militaires pour briser les grèves ouvrières. Nous avons également assisté à la nomination de nouveaux gouverneurs provinciaux, largement issus des rangs des restes de l’ancien régime, de la police et des généraux de l’armée. Puis, enfin, il y a les politiques menées par le gouvernement du général Abdel Fatah Al-Sissi. Celui-ci a adopté une feuille de route clairement hostile aux objectifs et aux revendications de la révolution égyptienne, c’est-à-dire : liberté, dignité et justice sociale. » [3]

La preuve : l’un des militants des Socialistes révolutionnaires, avocat assurant la défense de militants ouvriers, était arrêté début septembre à l’un des multiples points de contrôle mis en place par l’armée, alors qu’il allait rencontrer des travailleurs à Suez. Il a été relâché à la suite de protestations, mais reste sur la sellette.

Le départ des islamistes a laissé un paquet d’illusions : le rêve que l’armée soit cette fois un « moindre mal » au regard de la dictature des Frères subie pendant un an. La tâche est rude pour y faire face et le deviendra probablement davantage si l’exclusion de la confrérie du pouvoir engendre une guerre entre armée et groupes islamistes, comme celle qu’avait connue l’Algérie des années 1990. Des assassinats ciblés contre la gauche et l’extrême gauche, des syndicalistes et des féministes, mais aussi et surtout une guerre pour terroriser la classe ouvrière et lui imposer tous les sacrifices.

Pour le moment, la grève qui a éclaté dans la sidérurgie de Suez en juillet, juste après la reprise des pleins pouvoirs par l’armée, comme la grève fin août dans l’usine textile de Mahalla pour une prime impayée équivalente à 45 jours de salaire, montre que la classe ouvrière est moins dupe du rôle possible de l’armée que ses prétendus leaders.

O.B.


[1Cité, dans un article en anglais, par Joël Beinin, universitaire qui a beaucoup écrit sur le mouvement ouvrier égyptien. On trouvera des déclarations plus récentes de Fatma Ramadan sur le site d’Alencontre, comme sa déclaration fin juillet « Ne laissez pas l’armée vous duper ». Réf. alencontre.org/moyenorient/egypte/egypte-ne-laissez-pas-larmee-vous-duper.html

[2Ces camarades avaient néanmoins appelé à voter Morsi contre le candidat de l’armée au second tour de la présidentielle, au nom du « moindre mal ». Ce qui avait suscité bien des critiques dans leurs rangs.

[3On peut lire cette déclaration sur le site du NPA : http://www.npa2009.org/node/38484

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