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DOSSIER : L’Allemagne, un super modèle ?

L’Allemagne, un super modèle ?

Mis en ligne le 5 octobre 2017 Convergences Monde

Ces temps-ci, patrons et gouvernement français vantent à qui mieux mieux le « modèle allemand ». Voyez cette économie florissante ! Voyez ce pays où il y aurait si peu de chômage ! Voyez cet État capitaliste champion d’Europe. Mais quoi ? Foin des petits boulots qu’il faut enfiler pour se faire un smic ? Foin de la tyrannie des pôles emploi et de leurs règlements scélérats qui poussent les chômeurs à accepter n’importe quel travail, même du nettoyage dans un sex-shop, depuis qu’un social-démocrate nommé Schröder a fait légiférer dans ce sens au milieu des années 2000 ? En cette période de campagne électorale en Allemagne, les médias français – télé, quotidiens, revues – publient des reportages éloquents sur la misère et la précarité ouvrières dans ce pays prétendu le plus riche d’Europe [1]. Un pays qui n’a jamais connu aussi peu de demandeurs d’emploi, c’est un fait, mais n’a jamais connu non plus autant de précaires… D’où le modèle qu’il représente pour le patronat français.

Macron est bien sûr également avide de s’inspirer du modèle allemand pour ses réformes du droit du travail. Et le chef de la CFDT, dans une interview citée par Le Monde début septembre, regrette que la nouvelle équipe au pouvoir n’aille pas assez loin dans ce sens : « Le gouvernement dit qu’il veut s’inspirer du modèle allemand, mais il ne prend de ce modèle que ce qui l’intéresse ».

Dans ces quelques articles venus d’Allemagne, ce n’est pas sur la précarité et les bas salaires que nous allons nous focaliser, mais sur un autre volet du « modèle » d’outre-Rhin : l’arsenal légal bien huilé que le patronat allemand et son État se sont forgé dès la fin de la Seconde Guerre mondiale pour encadrer une classe ouvrière qui n’est pas qu’embourgeoisée et qu’ils ont toujours crainte. Ce modèle est fait d’une alliance entre d’un côté le pouvoir quasi politique, en dehors de l’entreprise, d’une puissante bureaucratie syndicale, et de l’autre, au niveau de l’entreprise, celui de conseils d’entreprise qui peuvent tout négocier… et beaucoup concéder aux patrons ! Ce que Macron, Philippe et le Medef ne détesteraient pas ! Palabres au sommet entre chefs syndicaux, patrons et ministres, pour accoucher d’ordonnances anti-ouvrières ; représentation des salariés dévitalisée à la base, par la fusion des divers délégués en une représentation unique, un conseil d’entreprise à l’allemande, prompt à s’aligner.

On n’en est pas encore tout à fait là, mais c’est la direction !

Ces particularités de la « cogestion » ou « codétermination » [2] à l’allemande méritent donc d’être éclairées. Il s’agit d’un genre de triptyque – ou sainte trinité bourgeoise – formé primo d’une machinerie syndicale puissante, avec un taux de syndicalisation plutôt élevé comparé à la France mais pratiquant le partenariat social avec le patronat dans des rituels de négociations et concessions ; secundo d’un droit de grève étroitement circonscrit, et de grèves à la seule diligence d’une bureaucratie syndicale qui en use chichement, sans possibilité légale d’en décider au niveau de l’entreprise ; et tertio enfin des conseils d’entreprise assez influents, avec un droit de regard sur les licenciements, les embauches ou les réorganisations du travail, mais toujours dans une paix sociale érigée en commandement divin. Directions syndicales et conseils d’entreprise se font bien souvent les champions de la défense de « leurs branches » voire de « leurs sites », la plupart du temps partenaires des patrons. On se souvient de la présentation récente du plan de suppression de 23 000 emplois chez Volkswagen, conjointement annoncé à la presse, et en parfaite harmonie, par le management de l’entreprise, le chef du conseil d’entreprise et un chef syndical.

Tout est fait pour museler au maximum la combativité ouvrière. Mais cela ne marche pas à tous les coups. Il y a bien des exemples de débrayages ou même de grèves importantes qui se sont déroulées en explosant ce carcan juridique. Le dernier exemple en date, certes petit et bien insolite, est celui de ces pilotes de la ligne aérienne Air Berlin (entreprise qui a déposé son bilan et où des négociations pour une reprise éventuelle par Lufthansa sont en cours), qui se sont mis massivement en arrêt de travail pour maladie, à partir du 11 septembre dernier, pour protester contre le fait que la sécurité des emplois était le dernier souci des négociateurs. Résultat : plus de cent vols annulés...

Car qui dit sévère carcan juridique et réglementaire... dit aussi échappatoires et à l’occasion grèves sauvages et inattendues ! Un modèle aussi !

20 septembre 2017, Toni ROBERT


[1À noter, en particulier, un long reportage de deux pages du numéro de septembre 2017 du Monde diplomatique, intitulé L’enfer du miracle allemand, sur un « job center » du quartier de Pankow à Berlin. Le reportage est fait par Olivier Cyran – journaliste et co-auteur avec Julien Brygo d’un ouvrage récent, Boulots de merde ! dont notre revue a recommandé la lecture dans un numéro précédent.

[2On trouve ces deux traductions pour ce concept si cher à la bourgeoisie allemande de « Mitbestimmung ».

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Numéro 114, septembre-octobre 2017

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