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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 116, décembre 2017

Là-bas ils fuient la guerre, ici ils vivent à la rue

Jeunes migrants et étudiants solidaires, pour un monde sans frontières

Mis en ligne le 13 décembre 2017 Convergences Politique

On ne sait pas combien ils sont, peut être 25 000 sur le territoire en décembre 2017 selon les organisations humanitaires. Ce sont des jeunes migrants venus pour la plupart d’Afrique sub-sahélienne, que la poésie administrative avait dénommés Mineurs isolés étrangers (MIE) et désormais Mineurs non accompagnés (MNA). Depuis quinze jours, à Lyon, Lille, Toulouse et Nantes se sont constituées des équipes qui les soutiennent en rendant leur lutte visible via des occupations de salles de campus universitaires.

À Nantes : la douceur d’une municipalité de gauche

L’hiver arrivant, les militantes et militants soutenant ces jeunes migrants – déboutés du droit d’asile par la préfecture – ont décidé d’occuper l’ancienne école des Beaux-Arts située en plein centre-ville de Nantes. Aucune structure et aucune solution en effet n’avait été trouvée pour ces près de 64 jeunes à la rue. La réponse de la mairie socialiste fut ferme et rapide à l’issue d’une seule journée d’occupation : le 19 novembre, par un beau dimanche bien froid, elle déploie plus de 120 CRS qui évacuent à coups de matraque les occupants pacifiques. La disproportion de l’intervention en a surpris plus d’un mais c’était sans compter sur les calculs électoraux des prochaines municipales. On devine sans efforts les priorités de la Maire et on s’en souviendra.

Les militants prennent la décision d’une occupation pacifique du campus. La Censive, un des bâtiments situé au milieu du campus de sciences humaines, était le lieu le plus propice : central, facile à aménager, accessible et politiquement au cœur de plusieurs équipes qui se sont connues pendant le mouvement contre la loi Travail de 2016.

Un carrefour plus qu’une occupation

L’occupation se fit sans écueils. L’organisation fut le mot d’ordre central. D’abord il fallait loger les jeunes migrants, les nourrir, les aider à se reconstruire. Ensuite, il fallait être visibles et rompre l’isolement. Enfin, en les entourant des équipes militantes étudiantes, il était possible de concevoir une protection – dont tous les militants mesurent la fragilité – tout en créant une pression sur la présidence d’université.

Une fois les salles du sous-sol de la Censive aménagées, c’est une véritable petite Commune qui vit le jour. Un garde-manger propre et organisé pouvant nourrir des dizaines de personnes, des salles d’études avec les livres en libre disposition, sans oublier des commodités adaptées, des espaces de repos et un lieu de vie commun. Une fois la position consolidée, les jeunes sont venus plus nombreux chaque jour. La présidence d’université n’était pas enthousiaste mais ne voulait pas prendre la responsabilité d’une évacuation. Tout en demandant l’évacuation des locaux universitaires, elle a commencé à s’agiter auprès de la Mairie et du Département qui est légalement responsable de l’accueil des mineurs.

Un répit après parfois des années de périple

Ce type d’occupation est bien entendu précaire. Les risques d’évacuation sont réels et les fausses alertes n’ont pas manqué. Toutefois cette petite avancée a fait le tour des milieux de migrants sans-papiers à la rue. Ils s’estiment eux-mêmes à près de 350 à Nantes qui vivent cachés et dans un dénuement complet. La plupart viennent d’Afrique, Guinée, Côte d’Ivoire, Mali, mais aussi Soudan, Libye et même jusqu’au Yémen. Le français est une langue minoritaire, et l’on entend l’arabe, le nouchi, le peul, et bien d’autres langues dans les couloirs du campus occupé. Les itinéraires sont porteurs de toutes les souffrances des exils forcés, des trafics humains, des guerres oubliées (voir encadré) ; ces rescapés ne parlent pas facilement. Leurs parcours en moyenne pour arriver en France ont duré de deux à trois ans. Mais cette occupation vécue comme un repos par ces réfugiés ne souffre d’aucun temps mort. Des discussions et des cours sont organisés par des étudiants et des instituteurs bénévoles ; des médecins sont venus assurer les premiers soins et souvent constater les blessures invisibles et terribles sur les esprits. Et puis il faut penser à la suite.

La recherche de l’extension

Le succès de l’occupation a fait venir d’autres migrants, l’espace de Censive est vite devenu exigu. Une idée fut portée, celle d’occuper un château – plutôt une maison de maître – située sur le campus. Elle présentait le double avantage d’être une solution aux limites de places et d’avoir une portée symbolique, cette ancienne grande demeure ayant été celle d’un commerçant enrichi par le commerce triangulaire.

À l’initiative de doctorants en histoire et sociologie notamment, un appel de soutien en direction du milieu universitaire fut lancé. Non sans quelques petites tensions, l’appel fut très largement appuyé par toutes les organisations syndicales allant du Sgen-Cfdt à Solidaires en passant par le Snes-sup. L’appel se centrait sur le droit à l’éducation de ces jeunes et contre l’expulsion. Cela a suffi pour que la présidence fulmine de colère. La pression fut forte sur l’Unef – pourtant bien mal en point sur le plan militant et peu présente dans l’action – avec des menaces sur les subventions, le local, leur demandant même de donner les noms des « vrais responsables ». Ce qu’ils ont refusé de faire.

Des équipes visitent les cours pour présenter la lutte, avec souvent un bon accueil, malgré parfois l’hostilité de certains professeurs et certaines filières. Qu’importe ! Il faut œuvrer à faire connaître ce combat légitime. On évoque l’idée de parrainages, tout en gardant à l’esprit une défense collective unie. Des professeurs seraient volontaires, des lettres ont été envoyées à des élus municipaux que l’on sait sensibles à ces problèmes.

À ce jour, rien n’est gagné et tout reste à conquérir. Les obstacles juridiques et administratifs sont énormes mais la principale difficulté est politique. Il reste à accumuler des forces pour exercer la pression suffisante afin d’obtenir une simple justice. Une société qui traite de la sorte des enfants est une société bien malade, et nous sommes chaque jour de plus en plus nombreux à nous en rendre compte. 

Correspondants


Parcours de vies brisées

Peu importent leurs prénoms, peu importent les villes d’où ils viennent, leurs témoignages nous livrent la réalité du monde, où la responsabilité de la Françafrique n’est jamais loin.

À Nantes, la plupart sont des jeunes hommes, et on a pu y voir quatre jeunes filles. Un tiers d’entre eux sont mineurs, leurs parcours s’étalent sur deux ou trois ans souvent terribles. Deux voies de passages, deux voies vers l’horreur. La première passe par la Libye – avec un prix indicatif de 700 euros pour les passeurs par entrée – et tous les témoignages recueillis se répondent et se complètent. L’esclavage est une norme, la torture et les violences sont habituelles. Il est impossible de tout restituer et l’on devine derrière des silences lourds des atrocités demeurées jusqu’ici dans l’oubli. Certains d’entre eux ont pris des photos sur leurs portables dont le contenu dépasse ce que le reportage de CNN laisse deviner.

L’autre voie est celle du Maroc – 2000 euros pour le passage et donc moins utilisée – où la violence est différente. Elle n’est pas le fait de mafias, mais de l’armée : brutale, sanguinaire et sans pitié. Dans ce pays, les migrants survivent de mille ruses pour mendier, improviser des spectacles et parfois travailler. Selon leurs témoignages, la population semble moins hostile qu’en Libye ou en Algérie où les rassemblements sont parfois dispersés par des jets d’acide.

Ici, que veulent- ils ? Juste travailler. Ils sont chaudronniers, métallos, cuisiniers, travailleurs agricoles ; ce ne sont pas des inconnus, ce sont nos frères de classe.

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