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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 100, juin-juillet-août 2015 > Espagne

Espagne

Élections du 24 mai : Après la Puerta del Sol, les « indignés » occupent-ils les mairies ?

Mis en ligne le 27 juin 2015 Convergences Monde

Le samedi 13 juin, Ada Colau est devenue la nouvelle maire de Barcelone. Ada Colau était connue dans tout le pays comme porte-parole du mouvement PAH (Plateforme des personnes affectées par les hypothèques). La PAH a dénoncé vigoureusement ces dernières années les banques qui mettent hors de leur logement des milliers de personnes pour non-paiement des traites, et le gouvernement et les politiciens au service de ces banquiers. Surtout, la PAH a empêché, en organisant concrètement la résistance, de nombreuses expulsions.

L’investiture d’Ada Colau a été applaudie par des milliers de personnes sur la place Sant Jaume de Barcelone, où a retenti le slogan « Sí, se puede » (Oui, on peut) qui a marqué les manifestations en Espagne ces dernières années.

Ada Colau a annoncé qu’elle baisserait le salaire de maire à 2 200 euros mensuels. Les moyens de la mairie seraient destinés d’abord pour la situation sociale des classes populaires de la ville, en particulier sur la question des expulsions.

La liste de Ada Colau, Barcelona en comú (Barcelone en commun), regroupait des militants issus de la mouvance des indignés, de la PAH, ainsi que des représentants locaux de IU (Gauche unie, la coalition autour du PCE) et du nouveau parti Podemos (voir notre article). Cette liste a obtenu 25 % des voix, et 11 des 41 conseillers municipaux. Sans majorité absolue, Ada Colau doit son élection au vote favorable de la coalition hétéroclite des conseillers municipaux des différentes listes de gauche [1].

À Madrid aussi…

La nouvelle maire s’appelle Manuela Carmena. Sa liste « Ahora Madrid » (Maintenant Madrid) dite aussi « citoyenne » et « d’unité populaire », a obtenu 31 % des voix.

Pour le PP (Partido popular, le parti de droite actuellement au gouvernement), qui dirigeait la mairie depuis 1991, la défaite aux élections municipales du 24 mai est de taille.

Bien sûr, quand la droite hurle contre la victoire du « communisme » et de la gauche radicale, affirme que la liberté, la propriété, la vie et les valeurs chrétiennes sont à défendre, quand la candidate perdante du PP, Esperanza Aguirre, dénonce la future formation de « soviets » qui seraient dans le programme de « Ahora Madrid », il y a une bonne part d’hystérie et de mise en scène. Dans la même veine, Ana Palacio, du PP, a fait le parallèle entre la victoire d’Ada Colau à Barcelone… et la progression de l’État islamique en Syrie ! Quitte à vouloir faire peur…

Manuela Carmena, avait milité au Parti communiste espagnol (PCE) pendant le franquisme [2]. Au début des années 1980, elle est devenue juge, une juge ne masquant pas des convictions de gauche certes, mais qui n’est au fond qu’une social-démocrate humaniste, aujourd’hui membre d’aucun parti. Son élection comme maire tient d’abord au soutien du PSOE (le Parti socialiste ouvrier espagnol), arrivé troisième. Le programme de « Ahora Madrid » était uniquement constitué de questions municipales et limité à ce qu’offrent les possibilités légales d’une mairie, et il n’a rien de bien radical. Parmi ses premiers gestes, Manuela Carmena a rencontré José Ignacio Goirigolzarri, le président de la banque Bankia, responsable de milliers d’expulsions. Carmena a estimé que cette réunion était positive : d’après elle, le banquier a fait preuve d’écoute.

Bien sûr, le PP perd un de ses bastions et tout ce que cela peut représenter : l’ancienne équipe a fait tourner à plein régime les déchiqueteuses pour faire disparaître des tonnes et des tonnes de papiers en quelques jours.

À Barcelone, ce n’est pas le PP qui est délogé de la mairie, mais CiU (Convergence et union), le parti nationaliste catalan de droite. Banquiers et milieux d’affaires ont exprimé leur inquiétude. Même si le geste de Colau de signer un engagement que la mairie continuerait à soutenir le Mobile world congress (le salon mondial de l’industrie du téléphone portable qui se tient chaque année à Barcelone) a un peu rassuré.

À Saragosse, à La Corogne, à Cadix et dans d’autres villes, des listes d’unité populaire semblables à celles de Barcelone ou de Madrid ont remporté la mairie. À Valence, la troisième ville du pays, le PP est battu par les régionalistes de gauche de Compromís, avec le soutien de Podemos.

Bientôt de nouvelles élections

Le même jour que les municipales, se tenaient aussi les élections régionales dans 13 des 17 « communautés autonomes » [3]. Podemos, qui s’y présentait sous son étiquette propre et non dans des alliances, a obtenu des résultats importants (entre 10 % et 20 % suivant les régions), mais n’est nulle part en tête.

La droite gouvernementale subit une défaite à ces élections, même si le PP semble conserver un socle d’électeurs assez solide, et demeure le parti avec le plus de voix.

Le PSOE recule et obtient son plus mauvais résultat aux municipales en pourcentage depuis 1979. Mais comme il a conquis certaines régions et villes, il peut prétendre à rester le principal parti d’opposition et se présente comme le seul vainqueur possible contre le PP aux prochaines élections « générales ».

Car les législatives, qui décideront de la couleur du futur gouvernement, vont venir très rapidement, probablement en novembre.

Podemos s’affirme comme troisième force politique du pays, talonnant de près le PSOE. Il dépasse nettement Izquierda unida (IU, Gauche unie), la coalition autour du PCE, qui n’a pourtant pas complètement disparu de la scène. À droite, c’est Ciudadanos (Citoyens), un parti assez récent [4] et qui fait campagne essentiellement contre la corruption qui a mordu sur l’électorat d’un PP englué dans de multiples affaires. Parfois qualifié de Podemos de droite, puisque c’est un parti jeune bénéficiant d’une ascension rapide sur la base du discrédit des deux grands partis, il a été clairement mis en avant par certains médias ces derniers mois pour tenter de contrer la montée de Podemos.

Le temps des alliances

Ces élections ont sacrément bousculé le paysage politique [5]. Podemos et les listes municipales d’unité populaire qu’il soutenait ont bel et bien marqué des points. C’est que le mécontentement social est profond face à un gouvernement qui prétend que la crise est de l’histoire ancienne et que les statistiques de croissance sont très favorables, alors qu’il y a toujours 23 % de chômage, que les statistiques sur la pauvreté sont toutes alarmantes, que les expulsions continuent, que les services publics subissent coupe budgétaire après coupe budgétaire.

Après ces élections, s’est ouvert une période de tractations entre partis pour constituer des majorités pour les mairies et les communautés autonomes dans un paysage politique souvent très éclaté.

Du côté de Podemos, on ne se refuse pas à envisager et à conclure des accords avec le PSOE. C’est dans ce contexte que s’est tenue la première rencontre, autour d’un dîner dans un hôtel, entre Pablo Iglesias et Pedro Sánchez, les secrétaires de Podemos et du PSOE. Une nette inflexion par rapport au moment où Pablo Iglesias construisait sa popularité en dénonçant avec brio le PP et le PSOE, les partis de la « caste ».

13 juin 2015, Michel CHARVET


[1Outre les onze élus de Barcelona en comú, ont voté en faveur de Colau les quatre du PSC (la branche locale du Parti socialiste), les cinq d’ERC (la Gauche républicaine de Catalogne, indépendantistes catalans) et un des trois élus de la CUP (Candidature d’unité populaire, ‘gauche de la gauche’ indépendantiste).

[2Manuela Carmena avait été une des fondatrices du cabinet d’avocats lié au syndicat Commissions ouvrières qui fut attaqué par un commando d’extrême droite en 1977 (l’attentat avait fait cinq morts).

[3Sauf en Andalousie, Pays Basque, Catalogne et Galice. Les élections andalouses ont eu lieu en mars 2015, et les catalanes doivent se tenir le 27 septembre 2015. Le Pays Basque et la Galice voteront en 2016.

[4Ciudadanos s’était initialement construit en Catalogne, et son principal axe était le combat contre le catalanisme, au nom du nationalisme espagnol.

[5Il faudrait, pour être complet, aussi évoquer les mouvements particuliers à certaines régions, comme l’émergence de Compromís, un parti régionaliste de gauche à Valence, ou la défaite en Navarre du parti de droite UPN (Union du peuple navarrais).

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