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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 100, juin-juillet-août 2015

Allemagne : grèves notables et loi antigrève

Mis en ligne le 27 juin 2015 Convergences

« L’Allemagne est perçue désormais comme un pays gréviste. » Dixit le président du syndicat patronal Ingo Kramer le 10 juin dernier. Il est vrai que dans le passé le patronat allemand a pu se féliciter d’un bas niveau de luttes ouvrières et de grèves. C’est en train de changer, il y a actuellement quantité de conflits : le recours à l’arme de la grève fait son come-back dans les esprits et dans les médias.

Provocations… réactions !

Ce sont surtout dans les services que les mouvements se multiplient ces derniers mois et notamment dans les anciennes entreprises d’État comme la Deutsche Bahn, la Poste ou encore l’hôpital universitaire de Berlin ; mais aussi chez les employés des crèches ou chez Amazon. Les raisons de la colère sont les mêmes : trop lourdes charges de travail et bas salaires, souvent liés à la précarité.

  • Amazon recourt systématiquement à la précarité, en espère une main-d’œuvre corvéable et docile. Certains sites comptent 80 % de salariés en CDD, auxquels Amazon refuse d’appliquer une convention collective. Pour la docilité, c’est quand même raté : depuis deux ans, ce sont des luttes pour la transformation des CDD en CDI et pour l’application de la convention collective du commerce. Dernière grève en date : du 4 au 6 juin, à Leipzig. Le syndicat poursuit malheureusement une stratégie de « piqûres d’épingle », c’est-à-dire de journées de grèves éparpillées dans le temps et l’espace.
  • La Poste, qui se propose de faire trois milliards d’euros de bénéfices cette année (et dont Amazon est un client important), veut précisément baisser les salaires du secteur « colis », jusque-là de 17,80 € de l’heure. À cette fin, elle a créé de nombreuses filiales régionales « Delivery » où les salaires peuvent n’être que de 12,80 € (dépendant de la région). 4 500 facteurs « colis » qui n’avaient qu’un CDD à la Poste ont été embauchés en CDI… chez Delivery, avec perte de salaire correspondante ! Le syndicat Ver.di (grand syndicat des services publics) réclame que les filiales Delivery appliquent la convention de la Poste, que donc le syndicat garde le privilège de négocier pour ces travailleurs – même s’il est prêt à négocier des baisses importantes de salaire. Or la Poste a rejeté sèchement ce compromis pourri. Son porte-parole a revendiqué le « droit des actionnaires à faire des profits ». Du coup Ver.di a lancé une grève reconductible à partir du 8 juin.
  • Dans les crèches, les employés ont fait grève du 8 mai au 5 juin (avec une interruption le week-end de la Pentecôte). Ils sont 240 000 dans ces établissements [1] et réclament la révision de leurs classifications, à la hausse évidemment, ce qui reviendrait à une augmentation de salaire d’environ 10 %. Ils revendiquent aussi une limitation du nombre d’enfants par groupe, donc des embauches.
  • À l’hôpital universitaire de Berlin (La Charité) le personnel soignant prépare aussi une grève reconductible à partir du 22 juin prochain, essentiellement pour des embauches : obtenir qu’il soit garanti d’avoir une infirmière ou aide-soignante pour cinq malades (une pour deux en soins intensifs) et pour être au moins deux la nuit dans les services.

Le conflit à la Deutsche Bahn, sur rails ou sur voie de garage ?

Enfin à la Deutsche Bahn (DB), les grèves appelées par le syndicat de conducteurs GDL se sont poursuivies au mois de mai [2]. Les cheminots revendiquent une réduction du temps de travail (de 39 heures à 37 heures) – et surtout une limitation des heures supplémentaires –, de même qu’une augmentation de salaire. Le syndicat GDL avait appelé à une huitième tranche de grève du 5 au 10 mai – six jours de grève, un record historique pour les chemins de fer allemands depuis la deuxième guerre mondiale ! Cette grève avait permis aux cheminots, à Berlin par exemple, de prendre confiance en eux-mêmes, d’organiser leurs journées de grèves, des cortèges autour des gares et des débats collectifs sur les suites à donner à leur mouvement. Bien que la grève ait été bien suivie à l’échelle nationale, la DB n’a pas reculé d’un pouce. D’où l’annonce d’une nouvelle grève à partir du mercredi 20 mai… sans précision de durée, pour la première fois. Cette pression économique est apparemment assez importante pour que la DB lâche quelque chose, non pas aux cheminots mais au syndicat auquel est donc reconnu (ce qu’il demandait) le privilège de négocier y compris pour les catégories de personnel roulant qui ne sont pas conducteurs : contrôleurs, personnels de restauration à bord, etc. Pas la moindre promesse quant aux revendications des cheminots, mais le GDL a néanmoins arrêté la grève le jeudi 21 mai et promis de renoncer à y recourir pour la durée d’une médiation s’étalant jusqu’au 17 juin voire 24 juin – ce qui en dit long sur les priorités de l’appareil syndical dans cette lutte. Depuis le début de cette médiation, silence radio complet sur ce qui est marchandé. Les grévistes ne sont mis au courant de rien.

Loi anti-grève

La réaction du gouvernement, notamment de la ministre du Travail social-démocrate Nahles face à cette effervescence gréviste, a été de faire passer une loi pour décourager les grèves appelées par de petits syndicats – souvent d’une corporation – comme le GDL. Cette loi dite d’« unité syndicale » stipule en gros qu’en cas de concurrence syndicale, seule la convention collective ratifiée par le syndicat majoritaire dans l’entreprise est applicable. Comme le droit de grève en Allemagne est strictement réduit à un moyen de pression sur les négociations ou renégociations de conventions collectives, cette loi n’est ni plus ni moins qu’une attaque contre le droit de grève (ces dernières années, ce sont des « petits » syndicats qui ont pu faire de la surenchère gréviste pour défendre autant leurs propres privilèges que les intérêts des salariés). Cela dit, les conséquences immédiates de la loi sont loin d’être claires : il reviendra aux tribunaux de la mettre en application – et en fin de compte c’est le rapport de force, et pas la jurisprudence, qui restera décisif. Pour le moment ce sont les grèves des petits syndicats que le gouvernement veut enrayer, mais il a d’autres projets de limitation du droit de grève dans les transports et les hôpitaux.

Force est de reconnaître que grâce à ces conflits en cours dans les services publics mais pas seulement, le spectre de la grève hante à nouveau la bourgeoisie allemande. Ce qui fait plaisir !

9 juin 2015, Toni ROBERT


[1Qui sont entre les crèches et les écoles maternelles françaises.

[2Pour plus d’informations sur la situation à la Deutsche Bahn et sur les premières étapes de ce combat, cf. Convergences Révolutionnaires no 96 : « Allemagne : grève des conducteurs de train ».

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