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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 29, septembre-octobre 2003

Une corporation en précarité permanente

Mis en ligne le 26 septembre 2003 Convergences Société

Le régime spécial d’assurance chômage des professionnels intermittents du cinéma, de l’audiovisuel, de la diffusion et du spectacle date dans sa forme actuelle de 1969. Le taux de chômage en France était de 2%. La précarité n’était pas aussi développée qu’aujourd’hui, et dans ce contexte, ce régime spécial apparaissait comme une solution pour un secteur où la « production » est par nature précaire. Il devait permettre aux salariés concernés de bénéficier de revenus stables, leurs salaires étant complétés par l’allocation chômage.

Une subvention déguisée

Pour pouvoir embaucher un intermittent, une entreprise doit pouvoir justifier d’une activité dans le secteur du spectacle ou de l’audiovisuel. L’emploi exercé doit correspondre aux quelques 500 professions répertoriées par les textes de loi.

Ces conditions requises permettent à l’employeur de déroger à la loi sur l’emploi des CDD : une entreprise du spectacle peut faire signer et re-signer le nombre de CDD qu’elle veut. Les contrats peuvent comporter des journées de travail disséminées sur une période plus ou moins longue. C’est à l’intermittent de gérer au mieux son calendrier, en fonction des propositions de ses différents employeurs.

Un intermittent du spectacle doit « pointer » régulièrement au chômage, c’est-à-dire remplir une « déclaration mensuelle de situation ». Ce formulaire est semblable à celui que reçoivent tous les chômeurs. Mais qu’il soit en période de travail ou non, l’intermittent ne déclarera jamais qu’il a « repris le travail », mais qu’il est toujours « toujours à la recherche d’un emploi » pour rester inscrit au chômage. Ce questionnaire apparaît absurde à beaucoup d’intermittents, car pour accéder à ce régime d’indemnisation et s’y maintenir, il faut évidemment travailler ou chercher du travail… en permanence.

Les intermittents reçoivent donc une partie de leurs revenus de l’Unedic. C’est aussi, sinon d’abord, un avantage pour les employeurs qui peuvent garder disponibles des salariés qui utilisent ce temps rémunéré par les allocations chômage pour se former et entretenir leur savoir-faire.

Un nombre de plus en plus grand

Les entreprises qui ont recours au travail des intermittents ont leur activité dans le spectacle vivant (théâtre, théâtre de rue, musique, danse, etc.…) ou dans l’audiovisuel (cinéma, vidéo et télévision).

Le spectacle vivant est le secteur le plus ancien. Une partie de ces salariés ont le statut de salarié permanent, notamment dans les théâtres nationaux. Mais les structures plus petites et plus précaires qui émergent et disparaissent en permanence ont naturellement recours aux intermittents. Le statut d’intermittent est fait pour elles.

Les salariés du cinéma qui travaillent pour des tournages épisodiques ont eux aussi pu bénéficier d’un statut dès 1936, quand a été mise en place une première ébauche du régime actuel. Par la suite l’audiovisuel a pris de plus en plus d’importance. Parmi les quelques 100 000 intermittents qui reçoivent actuellement une indemnité, un tiers d’entre eux travaillent dans ce secteur.

Si le nombre des intermittents du spectacle a doublé en dix ans, cela est dû en premier lieu au fait que les grandes entreprises ont su profiter de ce système pour augmenter leurs effectifs de précaires, quand bien même elles auraient largement les moyens d’embaucher en CDI. Ainsi parmi elles les très profitables parcs d’attractions comme Eurodisney. Ou encore l’Opéra de Paris où la CGT estime que le travail effectué par les intermittents représente l’équivalent de 500 emplois à plein temps.

L’augmentation du nombre d’intermittents est également dû au fait que certaines entreprises qui assurent la construction des décors pour le théâtre ou le cinéma, ou la sonorisation de certains spectacles s’orientent petit à petit vers « l’évènementiel » : des « conventions » de grandes entreprises, des salons ou des événements programmés par les mairies (comme « Paris Plage » cet été), pour peu qu’ils aient un côté festif.

Le Medef pour la précarité… au « juste » prix !

Tant que le statut d’intermittent ne concernait que le secteur limité de la création artistique, le Medef ne criait pas à la catastrophe. Les discours alarmistes sur l’augmentation du déficit (qui a atteint 828 millions d’euros en 2002) de la branche « spectacle » de l’Unedic se sont fait entendre au moment où il est apparu qu’une quantité toujours plus grande d’entreprises de ce secteur (ou qui pouvaient y prétendre) profitaient largement du système. Que celles-ci prospèrent sur une main d’œuvre précaire n’a évidemment rien pour gêner le Medef puisque c’est le cas de toutes les entreprises aujourd’hui. En revanche que cette main d’œuvre précaire soit dans ce secteur un peu moins précaire que dans d’autres, alors que les patrons entendent développer toujours plus la précarité partout, voilà qui était devenu intolérable.

Si des dérogations à la règle du CDI existent depuis longtemps pour les employeurs de travailleurs saisonniers, ces exceptions étaient restées un temps cantonnées à certains secteurs d’activité particuliers. Il est symptomatique qu’au début des négociations, le MEDEF ait affiché de manière provocante sa volonté de supprimer purement et simplement le régime spécial d’indemnisation des intermittents (annexes 8 et 10 de l’assurance chômage) pour les assimiler à celui - beaucoup moins favorable - des travailleurs saisonniers (annexe 4).

Au final, si le régime des intermittents du spectacle a été conservé, le protocole signé le 26 juin se présente comme un vaste plan de licenciement : les quelques 30000 intermittents qui vont perdre leur droits vont se retrouver au RMI ou avec l’allocation de solidarité spécifique (ASS).

Laurent VASSIER


Le régime actuel

Un candidat au régime spécial d’indemnisation des intermittents du spectacle doit d’abord s’inscrire à l’ANPE. Un an plus tard exactement, à la « date anniversaire », l’ASSEDIC additionne les heures travaillées sur l’année écoulée (les artistes bénéficient d’un système de forfait : on leur compte 12 heures de travail pour chaque spectacle, pour tenir compte du travail personnel de préparation). Si le total des heures travaillées est d’au moins 507 heures, l’artiste ou le technicien ouvre ses droits pour une année durant laquelle llui versera une indemnité chaque jour où il ne travaillera pas. Comme pour tous les chômeurs, le montant de ces indemnités est calculé sur la base du montant de ses salaires habituels. Une période de franchise proportionnelle aux montants des salaires peut bloquer de quelques semaines à plusieurs mois les indemnités de ceux qui sont le mieux payés.

Parmi les salariés travaillant sous contrat d’intermittent, nombreux sont ceux qui ne parviennent pas à totaliser les 507 heures. Pour les quelques 100 000 qui y parviennent, leur indemnité correspond en moyenne à environ 40% de leur revenu global ; 85 % d’entre eux touchent des ASSEDIC, en moyenne, la somme de 750 euros par mois.

Le nouveau projet

Suivant le protocole du 26 juin l’intermittent doit totaliser 507 heures de travail sur ses 10 derniers mois d’activité (10,5 mois pour les artistes) et non plus sur les 12 derniers mois. Le simple relèvement de ce seuil d’accès au statut éliminerait autour de 35% des intermittents actuellement indemnisés.

Autre changement important : un intermittent qui a totalisé ses 507 heures obtient le droit à 243 jours d’indemnisation (l’équivalent d’une durée de 8 mois). Ces jours d’indemnisations seront répartis petit à petit sur les périodes non travaillées. Tant que ce réservoir de jours indemnisés ne sera pas épuisé, la situation de l’intermittent ne sera pas réexaminée, la durée avant le réexamen de situation pouvant donc s’allonger, dans certains cas, bien au delà d’un an. Mais au moment de réexaminer la situation, on ne tiendra compte que du travail effectué les 10 derniers mois, avec le risque que les heures effectuées en début de période d’indemnisation ne soient pas comptées et donc qu’il soit plus difficile de totaliser les 507 heures.

Dans le mode de calcul précédent, l’intermittent avait droit à une indemnité chômage chaque jour non travaillé. Avec le nouveau mode de calcul, un intermittent qui a fait un cachet au montant exceptionnellement élevé (par rapport au montant moyen de ses cachets) verra ses indemnités bloquées pour plusieurs jours. Autre conséquence de cette « règle du décalage » : de deux intermittents touchant un jour le même gros cachet, celui pour qui ce genre de cachet est habituel touchera une indemnité de l’Assedic dès le lendemain, alors que celui pour qui ce cachet est exceptionnel devra attendre plusieurs jours avant de toucher une indemnité. Le décalage renforce donc les inégalités de traitement.

D’après les analyses effectuées par la Coordination des intermittents et précaires d’Ile-de-France, parmi ceux qui pourront garder le droit à l’indemnisation chômage, le nouveau protocole aura tendance à favoriser les intermittents qui travaillent le plus régulièrement. Soit précisément ceux qui devraient être embauchés fixes. Les grandes entreprises du spectacle pourront ainsi continuer à utiliser des précaires et bénéficier de ces subventions déguisées.

L.V.

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