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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 67, janvier-février 2010 > DOSSIER : SNCF : du monopole d’État au trust multinational

DOSSIER : SNCF : du monopole d’État au trust multinational

Réforme du Fret ou monopoly capitaliste

Mis en ligne le 16 février 2010 Convergences Entreprises

Une bataille du rail et de la route est engagée à l’échelle mondiale pour le marché du transport de marchandises. Fini le temps où les grandes compagnies nationales – Deutsche Bahn et SNCF – n’avaient aucune concurrence sur les territoires nationaux respectifs, en dehors de celle du transport routier, et où les États comblaient les déficits ou empochaient les bénéfices, en s’efforçant de maintenir un équilibre budgétaire mais sans rechercher la rentabilité par tous les moyens.

A partir des années 1980, ces monopoles deviennent de grands groupes capitalistes classiques sur le modèle d’entreprises dont l’État est le principal actionnaire, comme Air France ou Renault. Puis nouvelle accélération du processus au début des années 1990 avec l’adoption en 1991 d’une directive de l’Union Européenne édictant le principe de l’accès des entreprises privées au réseau ferroviaire.

La faute à « L’Europe de Bruxelles » ? Que non : ces directives répondaient précisément à l’objectif, pour les grands groupes capitalistes de transport, de mettre fin aux barrières nationales freinant leur expansion.

L’Allemagne, pionnier en Europe

Le premier pays à mettre en œuvre ces réformes fut l’Allemagne, qui libéralisa dès 1994 le transport du Fret. L’avance de ce pays sur ses concurrents européens s’explique d’une part par les traditions de transport ferroviaire privé qui subsistaient dans ce pays (de grands trusts, comme Siemens ou BASF, possédaient déjà leurs propres compagnies), d’autre part par l’absorption de la RDA par la RFA et l’orchestration générale de privatisations. Pourquoi pas du rail ? L’Angleterre a suivi assez rapidement. La France avec un net retard, puisque ce n’est qu’en 2003 que la partie française du réseau fret européen a été ouverte à la concurrence. La grève de 1995 et la réputation d’épiderme sensible des cheminots avaient probablement rendus prudents les gouvernants et les patrons. Malgré le décalage dans le temps, la part du privé dans le fret est comparable en France et en Allemagne : 14 % contre 20 à 25 %.

Libre concurrence ? Il n’est pourtant pas facile pour un nouvel opérateur d’attaquer le marché. La SNCF comme la Deutsche Bahn s’appliquent à gêner leurs concurrents, par exemple en leur refusant les informations indispensables pour circuler sur leur territoire. Et passons sur les coups tordus entre SNCF et DB : cette dernière accusant la première d’espionner son système informatique, et la SNCF se faisant un plaisir, par l’intermédiaire de La Vie du Rail, de dénoncer la dangerosité du matériel allemand…

Ces guéguerres retardent quelque peu l’instauration du marché européen du rail. Mais la SNCF est déjà n°2 du Fret en Allemagne et la DB n°2 en France. Et il est probable que la part des opérateurs privés augmente dans les prochaines années – mais davantage par la filialisation de certaines branches, et leur privatisation, que par l’arrivée de nouveaux capitalistes sur le marché. La SNCF elle-même est amenée à créer ses propres concurrents privés, comme « Voies ferrées locales et industrielles » (VFLI), dédiée aux transports de fret sur petites distances, ou à jouer sur la concurrence rail-route par sa filiale Géodis.

Bientôt planétaire ?

« Notre objectif est de créer un groupe de dimensions mondiales », déclarait Guillaume Pépy, le 18 juin 2008, au cours d’un show organisé pour 4 500 cadres de la SNCF à la porte de Versailles. Ce jour-là, le PdG annonçait la reprise complète par la SNCF de Géodis, premier transporteur routier de France, qui opère dans près de quarante pays, et dont la SNCF possèdait déjà 42 % des actions. La SNCF, après avoir séparé le Fret du transport voyageurs, entend en effet réunir dans un même pôle les différents moyens de transport : rail, route, bateau, ainsi que diverses activités qui se rattachent au transport, comme la logistique, les containers, etc.

L’objectif est de ne conserver que les transports sur longue distance, les plus rentables, notamment des autoroutes ferroviaires traversant l’Europe, avec des plates-formes pour charger des camions. Les gestionnaires qui président à l’avenir de la SNCF estiment que le marché national est bien étroit et que c’est dans le centre de l’Europe que se joue leur gigantesque partie de monopoly, là où transitent les plus gros volumes de marchandises venues du monde entier et débarquées à Hambourg, Rotterdam ou Anvers.

Georges RIVIERE


Le spectre de la grève de 1995

L’exaspération de la concurrence signifie la course à la réduction des coûts, donc des menées diverses pour durcir les conditions de travail des cheminots.

La direction de la SNCF procède par étapes. Elle a commencé par isoler l’activité Fret, pour introduire une division entre les cheminots. Puis avec l’arrivée des premiers transporteurs privés sur les rails de l’hexagone, elle a fait un chantage aux roulants : si vous refusez de faire quelques concessions, vous laisserez la voie à des concurrents moins chers, vous perdrez, sinon vos emplois, du moins les primes correspondant aux kilomètres parcourus (qui représentent une part importante des salaires). L’encadrement met aussi la pression pour convaincre des cheminots du Fret de quitter la SNCF pour des filiales privées, où ils perdront leur statut en échange de quelques avantages en salaire… du moins au début. Dans certains secteurs, des récalcitrants sont mis au placard, privés de trains et des primes qui vont avec.

Pourtant, la SNCF a dû reculer à deux reprises, face à des grèves ou des menaces. Une première fois sur le RH0077, le règlement intérieur qui fixe la longueur des journées de travail, les pauses, les récupérations, qu’elle voulait tourner. Une seconde fois sur un projet de filialisation qui diviserait le secteur Fret en une demi douzaine d’entreprises distinctes dédiées à des activités particulières comme les matières dangereuses, l’alimentation.


Orient Express ?

Le quart du trafic ferroviaire de l’Union Européenne s’effectue en Allemagne. Mais les patrons de la SNCF ne négligent pas pour autant les pays situés à l’autre extrémité du globe, comme le Canada, l’Australie, les États-Unis et la Chine où la SNCF emploie déjà plus de 2000 salariés de sa filiale Géodis.

Inversement, des concurrents qui semblaient trop lointains pour être dangereux s’apprêtent à débarquer, tel le milliardaire américain Warren Buffet qui vient de s’offrir le groupe de fret ferroviaire Burlington Northern Santa Fe (BNSF) pour la bagatelle de 44 milliards de dollars et ne dissimule pas son ambition de s’attaquer aussi au marché européen.


Fret : auto concurrence !

Quand la libéralisation du Fret est entrée en vigueur en France en 2006, de nombreuses entreprises, alléchées par les perspectives de profit, se sont présentées. Cinq ont été retenues, dont les deux plus importantes sont Euro Cargo Rail (ECR), filiale de la Deutsche Bahn, et Véolia, groupe multinational qui tire profits de la gestion de l’eau comme du transport routier et ferroviaire. Les résultats n’ont toutefois pas été à la hauteur des espérances. Véolia aurait perdu près de 345 millions d’euros dans son activité Fret. Tandis qu’ECR y aurait déjà investi plus de 600 millions sans faire de bénéfices.

Véolia jetait donc l’éponge en décembre 2009 en revendant sa branche Fret française à Eurotunnel. Quant à ECR, elle vivrait sous perfusion de la DB qui y voit un moyen de prendre pied sur le réseau, en vue de l’exacerbation de la concurrence entre géants français et allemand.

La branche Fret de la SNCF, est pour sa part la plus déficitaire de l’entreprise : des centaines de millions d’euros de pertes chaque année. La crise est passée par là : les volumes transportés ont diminué d’un quart dans toute l’Europe en 2009. Mais, au-delà de cet effondrement conjoncturel, la part du fret ferroviaire dans le transport de marchandises a chuté de 19 % en 1988 à 10 % en 2008. Tandis que celle de la route a largement augmenté, de 67 % en 1988 à 81 % en 2008.

Pauvre SNCF ? Pas du tout ! Car c’est le résultat de politiques publiques menées en faveur du transport routier, comme de choix de la SNCF elle-même. Dernier en date de ces choix, l’abandon du « wagon isolé » : ne seront plus affrétés que des trains complets, les entreprises souhaitant confier au trafic ferroviaire quelques wagons seulement étant renvoyées à la route – et vivent les camions ! Et donc à la SNCF qui, par sa filiale Géodis, est le n°2 mondial du transport par route de marchandises (Calberson, BM, etc).

Les cheminots concurrents des routiers ? Pas plus que la SNCF d’elle-même. Travailleurs de tous les transports, unissez-vous !

G.R.

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Numéro 67, janvier-février 2010

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