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Les « migrants climatiques », victimes de la gestion capitaliste des ressources et de l’archaïsme des frontières étatiques

20 juillet 2022 Article Monde

Chaque année, ils sont quelques dizaines de millions sur Terre à quitter leur domicile, poussés à l’exil par des catastrophes environnementales. La situation va en s’aggravant, principalement à cause de la gestion capitaliste des ressources et de la fermeture des frontières pour les populations pauvres par les principaux États.

Les impacts du dérèglement climatique

Il y a quatre ans, le journal The Guardian révélait que de nombreux paysans qui dépendent de petites exploitations, venus du Mexique, du Honduras et du Nicaragua, fuyaient leurs terres à cause de sécheresses chroniques. En Amérique centrale, l’accent mis sur la violence des trafiquants de drogue éclipse le tableau d’ensemble : beaucoup de gens n’ont rien à manger et déménagent à cause de l’insécurité alimentaire. Si la violence sociale et la pauvreté sont les facteurs les plus fréquemment mis en avant pour traiter de ce que la bourgeoisie appelle le « problème migratoire », les difficultés économiques et politiques qui poussent de nombreuses personnes au départ, temporairement ou définitivement, sont de plus en plus aggravées par le dérèglement climatique et la dégradation des sols.

En 2020, 41 millions de nouveaux déplacements ont été enregistrés dans 149 pays, les trois quarts des départs résultant de catastrophes environnementales. L’année précédente était déjà un record, avec 1 900 catastrophes et 30 millions de déplacements dans 140 pays. 5 millions d’entre elles n’ont pu regagner leur domicile par la suite, selon le rapport de l’Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC). Les réfugiés au sens de l’ONU, quant à eux, sont deux fois moins nombreux. La situation n’ira sans doute pas en s’améliorant, comme l’indiquent les projections à 2050, qui prévoient jusqu’à 143 millions de personnes fuyant les effets du dérèglement climatique (3% de la population d’Afrique subsaharienne, d’Asie du Sud et d’Amérique latine).

À ces données, il faut rajouter la diversité des situations des migrants, qui ne sont pas toutes définitives. Seront définitives les migrations causées par la hausse du niveau des mers sous l’effet de la fonte des glaces, elle-même induite par le réchauffement global des océans. Mais les populations dont les villes ont été sinistrées par des catastrophes météorologiques, comme le passage d’ouragans, pourront au bout d’un certain temps regagner leur domicile. L’inconnue demeure la période sur laquelle s’étalent ces périodes d’exil, variable selon les contextes et le niveau de développement des pays dans lequel ont lieu les catastrophes environnementales, comme les inondations, les incendies et autres tempêtes dévastatrices, qui se font d’ores et déjà de plus en plus fréquents. C’est de tels drames que connaissent les Pakistanais qui subissent ce mois-ci des pluies torrentielles qui ravagent les infrastructures urbaines et qui ont fait à la mi-juillet plus de 150 morts. Si les commandes militaires se multiplient dans le sous-continent indien, les infrastructures pour faire face aux destructions environnementales font défaut. Cela ne constitue pas une exception. Sur les vingt pays considérés comme les plus vulnérables au changement climatique, douze se trouvent en situation de conflit, comme le faisait remarquer le Comité international de la Croix rouge (CICR) en analysant la situation dans le Sud de l’Irak, le Nord du Mali et la République centrafricaine.

Une crise environnementale qui aggrave les inégalités sociales partout sur la planète

Comme toujours, ce sont avant tout les populations les plus démunies qui subissent de plein fouet les conséquences du dérèglement climatique. Le rapport récent de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques montre ainsi que 70% des plus pauvres de la planète dépendent directement des plantes et des animaux sauvages pour se nourrir et se chauffer. La probable extinction d’un million d’espèces accentue de ce fait la précarité de centaines de millions de personnes.

Les images de « migrants environnementaux » sont souvent agitées dans les pays riches comme les États-Unis ou les États de l’Union européenne pour sensibiliser l’opinion aux difficultés humaines engendrées par le réchauffement climatique. Elles sont par ailleurs souvent instrumentalisées par le personnel de la bourgeoisie, en particulier l’extrême droite, pour alimenter discours xénophobes et autres inepties sur le « grand remplacement ». Mais si un grand nombre de personnes sont amenées à partir de chez elles et à se réfugier dans un autre pays, ce pays est souvent frontalier : les migrations des pays du Sud vers les pays du Nord ne concernent qu’une petite partie des flux migratoires à travers le monde. Et bien d’autres personnes sont dans une telle situation de précarité qu’elles n’ont même pas la possibilité de se mettre à l’abri des impacts des destructions environnementales et sont contraintes de rester sur place par manque de moyens. En 2016, l’ouragan Matthew a laissé 13% de la population haïtienne sinistrée, soit 1,5 million de personnes, dont 800 000 ont souffert de pénuries alimentaires pendant des semaines. Seuls quelques dizaines de milliers ont pu accéder à des refuges temporaires pour se mettre en sécurité. La catastrophe climatique a par ailleurs aggravé l’épidémie de choléra. À l’avenir, des pays comme Haïti subiront, toujours aussi démunis, des catastrophes météorologiques qui se feront de plus en plus fréquentes en raison de l’impact du dérèglement climatique sur les vents et les précipitations.

La question des migrations dues aux catastrophes climatiques et aux processus plus lents du dérèglement climatique comme la désertification, avec toutes les inégalités que ces phénomènes accentuent, est une question de classe. Et, pour le moment, c’est la classe capitaliste, qui gère la crise climatique dans le plus grand mépris des vies humaines.

La gestion de la crise environnementale sera internationale et socialiste, ou ne sera pas

Sur la scène internationale, on se vante d’apporter des solutions, comme l’« Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans le cadre de catastrophes et de changements climatiques » adopté par 109 États en octobre 2015, ou le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030. Mais les cadres internationaux sont extrêmement limités et l’autorité en matière de « gestion des flux migratoires » revient aux États. Dès lors, toutes ces résolutions, visant soi-disant à améliorer la préparation et la capacité des États à intervenir dans le cadre des déplacements au-delà des frontières liés aux catastrophes, cachent mal les limites que représentent les frontières et des politiques étatiques visant à les protéger. C’est ce qu’illustre le récent drame de Melilla, où 37 migrants d’origine africaine sont morts lors d’une tentative de près de 2 000 d’entre eux d’entrer dans l’enclave espagnole, située au Nord du Maroc. Ils sont décédés en tentant de franchir les clôtures de fer construites pour les empêcher de rentrer dans l’Union européenne.

Si l’existence de frontières décuple les difficultés des migrants, elles sont plus globalement un frein à la gestion des effets du dérèglement climatique en lui-même. Là où les bourgeoisies ont besoin des États nationaux pour défendre leurs intérêts économiques et politiques et ravagent la planète entière, l’humanité a besoin d’une coordination à l’échelle mondiale pour relever le défi de la préservation de l’environnement, saccagé par des décennies d’exploitation capitaliste des ressources. La nature du problème climatique empêche de résoudre la crise climatique État par État, comme voudraient nous le faire croire les souverainistes, de droite comme de gauche. Dans ce contexte anarchique, toute « résolution internationale » ne peut être que parasitée et rendue inopérante par les intérêts des bourgeoisies nationales, souvent les plus puissantes.

Le capitalisme à son stade impérialiste sème la guerre et la misère partout dans le monde, et son incurie concernant la survie même de l’humanité dans un contexte de crise environnementale de plus en plus grave ne nous laisse pas d’autre choix que de le renverser, pour en finir avec ce système qui pille les richesses humaines et naturelles de la planète. Et nous avons la base matérielle pour nous coordonner à l’échelle mondiale dans cette société mondialisée où les capitaux, les idées et les marchandises circulent librement, mais où la liberté totale de se déplacer est encore à conquérir. Cette absence de liberté de circulation contraint des millions de personnes à continuer à vivre dans leur pays natal ou à risquer leur vie pour s’installer ailleurs. Plus que jamais, elle demeure une priorité du combat des militants révolutionnaires.

Martin Eraud

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