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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 135, janvier 2021

Sahel

Opération Barkhane : troupes françaises, hors d’Afrique !

18 janvier 2021 Convergences Monde

Lors de l’hommage national aux soldats morts au Mali début janvier, ceux qui les envoient se faire tuer les ont décorés d’un ruban rouge : « morts pour la France »… autrement dit pour la sale guerre que l’impérialisme français mène au Sahel. Il y a peu, l’état-major de l’armée française se félicitait des prétendus succès militaires de l’opération Barkhane : il avait annoncé en novembre dernier avoir tué le chef militaire de la branche sahélienne d’Al-Qaïda, après avoir annoncé la mort de celui d’Aqmi (Al-Qaida au Maghreb islamique) au mois de juin. Mais le fait que, depuis le début de l’intervention, cinquante militaires français aient été tués commencerait à les faire réfléchir. Bien plus que toutes les victimes civiles tuées par l’armée française ou par ses alliés au cours de leurs opérations, et dont il est impossible d’avoir un quelconque bilan, loi du silence oblige. Alors voilà qu’après ces nouveaux décès de soldats français, une discussion pourrait bien s’ouvrir au sein de l’État et des armées sur un éventuel désengagement de la France, avec un débat en séance publique au Sénat en février, qui n’aura sans doute rien de décisif, comme tout ce qui se passe au Sénat !

Ensablement

L’opération Barkhane a pris en 2014 le relais de l’opération Serval que la France de François Hollande avait lancée en 2013, après la perte par l’État malien du contrôle sur tout le nord du pays, tombé aux mains de groupes armés djihadistes et indépendantistes touaregs. Elle a tourné à l’opération sans fin, dans laquelle l’armée française et ses alliés sont ensablés, traquant divers groupes armés en perpétuelle recomposition, dans des massifs montagneux du Sahara au sein d’une zone qui fait dix fois la superficie de la France. Les comparaisons avec l’Afghanistan commencent à fleurir, pour évoquer une guerre impossible à gagner… du point de vue de l’impérialisme français.

C’est bien évidemment pour préserver sa zone d’influence que la France est présente militairement dans la région, et non pour restaurer la paix dans les pays concernés par l’opération, au premier chef, le Mali. Le chef d’état-major François Lecointre, a d’ailleurs été très clair sur le sujet lors d’une inspection des troupes de Barkhane le 10 décembre dernier, déclarant à propos d’un éventuel retrait de l’armée française : « Il faut le faire intelligemment, pour ne pas, notamment, que les Russes ou les Chinois viennent occuper le vide qu’on aura laissé. »

Pour reprendre la remarque ironique du chercheur Marc-Antoine Pérouse de Montclos dans son ouvrage, Une guerre perdue, la France au Sahel, ce n’est pas pour rien que l’armée française a choisi de nommer « Serval » l’opération militaire qu’elle a déclenchée en 2013 : le serval est un petit félin qui peut uriner trente fois par heure pour marquer son territoire !

Pour garder le contrôle de ses anciennes colonies d’Afrique de l’Ouest, la France déploie 5 100 militaires et met à contribution l’ONU et l’Union européenne pour défendre ses intérêts : 12 500 militaires de la Minusma (Mission des Nations-Unies pour la stabilisation au Mali) sont déployés. Ce sont essentiellement des soldats africains, car concernant les troupes européennes, pour le moment, seulement 40 soldats estoniens des forces spéciales y ont été envoyés, peut-être bientôt rejoints par des Suédois…

La sous-traitance au G5 Sahel

La France sous-traite également sa guerre aux pays de la région sous la forme du G5 Sahel, qui regroupe les armées du Mali, de la Mauritanie, du Niger, du Tchad et du Burkina Faso. Loin de « protéger la population », comme les dirigeants français le prétendent, cette multiplication de dispositifs militaires renforce la violence à l’égard des civils. Ils sont victimes des soldats de l’opération Barkhane (accusés début janvier d’avoir bombardé un mariage, au centre du Mali, dont ils auraient pris les convives pour des terroristes…), des troupes du G5 Sahel, des milices dites d’autodéfense qui ont régulièrement été à l’origine de massacres entre peuples (Peuls, Dogons ou Bambaras) et s’ajoutent aux divers groupes armés, touaregs et djihadistes. Tantôt accusés de soutenir Barkhane, tantôt de complicité avec les rebelles, de nombreux villages sont victimes de règlements de comptes et d’exactions. Voire de massacres.

Les troupes du G5 Sahel s’illustrent par la brutalité de la répression militaire, et sont à l’image des régimes sur lesquels la France s’appuie dans la région : des dictatures corrompues, telles que celle d’Idriss Déby, au pouvoir au Tchad depuis trente ans, à qui l’armée française a encore sauvé la mise en 2019, utilisant au passage le dispositif Barkhane pour mettre hors jeu un mouvement de rébellion.

Au Mali, la France n’a rien pu faire pour Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), qu’elle considérait de plus en plus comme une planche pourrie, lorsqu’il a été renversé par un coup d’État en août dernier. Mais elle a fait pression sur les officiers putschistes et sur le gouvernement de transition, y compris par des sanctions économiques lancées par la Cédéao (Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest). Le nouveau régime a prêté allégeance à une France qui continue dans l’opération Barkhane à s’appuyer sur l’armée malienne, dont les exactions sont régulièrement dénoncées par les civils. Amnesty International a recueilli de nombreux témoignages documentant les exécutions sommaires et les disparitions dont l’armée malienne est responsable lors de ses raids sur des villages. Non seulement la France s’accommode de toutes ces « bavures », mais elle en porte la responsabilité.

Le sentiment de révolte vis-à-vis de l’opération Barkhane, des Bouygues et des Bolloré

De quoi provoquer toujours plus de rejet et de sentiment de révolte vis-à-vis de l’opération Barkhane de la part de la population, qui est pleinement consciente que l’ancien colonisateur défend avant tout son propre règne, ses intérêts et les régimes qui sont à sa botte. La présence militaire de la France lui sert à préserver son ordre, comme lors des manifestations de juillet dernier contre IBK à Bamako, où la Forsat, une force spéciale dite « antiterroriste », formée par les Européens et les Français, a tiré à balles réelles sur la population. Il est possible que la France se désengage peu à peu à l’avenir, pour ne plus exposer ses (chers) soldats suréquipés. Mais ce serait pour mieux continuer à sous-traiter son intervention militaire à des troupes régionales, qu’elle peut, de son point de vue, envoyer faire le sale boulot à moindre risque et à moindre coût. Que l’armée française se retire peu à peu ou non, l’impérialisme français reste l’ennemi des classes populaires et des travailleurs de la région, et un des principaux obstacles pour prendre en main leur propre sort. Qu’ils ne nous fassent pas toute une comédie avec leur débat au Sénat : qu’ils s’en aillent, et pour de vrai, les Bouygues et les Bolloré avec !

15 janvier 2021, Lydie Grimal

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