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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 138, avril 2021

L’agro-industrie bretonne craint-elle la lumière ?

Mis en ligne le 24 avril 2021 Convergences Politique

Comme dans un polar sur la mafia, des journalistes qui enquêtent sur les dégâts provoqués par de puissantes sociétés agro-industrielles bretonnes sont victimes d’intimidations, intrusions au domicile et menaces. Au point qu’un millier de personnes se sont retrouvées le 6 avril à Rostrenen (Côtes-d’Armor) pour soutenir Morgane Large qui a retrouvé les boulons d’une roue de sa voiture dévissés. Suite à son témoignage dans le documentaire Bretagne, une terre sacrifiée (France 5, novembre 2020), cette journaliste de la radio associative Radio Kreiz Breizh est devenue la cible de ceux qu’elle dérange.

Comme le dit la journaliste Ines Léraud, de fortes pressions s’exercent pour l’empêcher de dénoncer et de « comprendre comment s’est mis en place ce système, cette nouvelle façon d’aliéner les hommes et les bêtes : un univers concentrationnaire pour les animaux, un paysage, un territoire, entièrement remodelé, des travailleurs et des agriculteurs réduits à une nouvelle forme de servage ». Inès Léraud est co-autrice de la BD Algues vertes, l’histoire interdite. La journaliste, elle aussi, a dû affronter des industriels et personnalités complices (le grossiste Chéritel, le groupe Triskalia, Christian Buson [1]) dont elle met à jour les pratiques mafieuses. À lire, son interview du 21 mars 2021 publiée dans L’Anticapitaliste hebdo [2].

La PAC du greenwashing et du dérèglement climatique…

La nouvelle PAC (politique agricole commune) de l’Union européenne, qui se négocie pour la période 2022 à 2027, prétend donner une « tournure plus agro-écologiste ». Impossible d’y voir autre chose que du greenwashing quand on sait qu’elle est le moteur politique d’un modèle agricole étant le principal responsable des dégâts environnementaux, sanitaires et climatiques en Europe. N’oublions pas que, parmi les plus grands bénéficiaires de ses aides, figurent la famille royale d’Angleterre, des oligarques hongrois ou le groupe LVMH avec le cognac Henessy. [3]

Les discussions ont commencé entre les syndicats agricoles et les ministres (Castex, Denormandie et Pompili) pour définir les règles de redistribution des neuf milliards d’euros par an attribués à la France.

La FNSEA [4] a mobilisé ses troupes depuis un mois : blocage des routes autour de Paris par les céréaliers et betteraviers qui craignent de perdre une partie de leur pactole avec l’écorégime [5] (ou verdissement) ; manifestations dans le Massif Central, en Bourgogne-Franche-Comté où les éleveurs demandent des aides accrues pour les « zones intermédiaires » (sols moins fertiles), alors qu’il est question de favoriser les aides aux protéines végétales pour réduire les importations de soja qui nourrissent le bétail. Un faux-semblant car le but n’est pas de remettre en cause l’intensification de l’élevage.

La Coordination rurale dénonce l’excès de réglementations, de normes, désignant les écologistes comme boucs émissaires qui empêchent les paysans de travailler !

La Confédération paysanne essaie de donner une autre perspective au monde agricole. Elle se bat pour une réorientation profonde, « une PAC pour des paysannes et paysans nombreux, pour une transition agroécologique réussie et des campagnes vivantes ».

Le point de vue de la Confédération paysanne

À une manifestation le 17 avril à Limoges, 350 paysannes et paysans de la Confédération paysanne dénonçaient « les oubliés de la PAC » : « 36 % des exploitations ne touchent rien car trop petites et 11 % touchent moins de 1 250 euros par an » témoignait une maraîchère.

« Pas question que des agrobusiness-men continuent à toucher 150 000 euros de PAC par an : il faut plafonner à 50 000 euros par an l’aide reçue par agriculteur et verser une aide aux 52 premiers hectares d’une exploitation. Cela facilite l’installation des jeunes agriculteurs […] Au lieu des fermes-usines, on doit favoriser les petites fermes. Ce sont elles contribuent à une agriculture sociale et respectueuse de l’environnement, et elles sont plus aptes à lutter contre le dérèglement climatique » expliquait un éleveur creusois.

En résumé, chaque agriculteur « défend son bout de PAC ». Le revenu de beaucoup d’entre eux dépend de ces aides : ils sont piégés dans des investissements très lourds et se font broyer par la concurrence d’un marché dominé par les grandes firmes agro-alimentaires. Fuite en avant que la FNSEA et les ministres successifs de l’agriculture organisent par l’intensification et la concentration qui les emprisonnent toujours plus et nous empoisonnent tous !

Vignes et vergers détruits par le gel (ou plutôt victimes d’un mois de février trop chaud qui a fait démarrer la végétation trop tôt), pénuries d’eau récurrentes, pollution de l’air, de la terre et de l’eau, inondations et tempêtes, autant d’alertes locales qui nous rappellent qu’une course contre la montre est engagée. Comme la crise sanitaire mondiale provoquée par la circulation du virus du Covid-19 : on sait que l’apparition et la mutation rapide des virus sont favorisées par les immenses élevages concentrationnaires et la destruction des forêts et de la biodiversité.

Le mode de production des aliments s’est industrialisé à outrance depuis cinquante ans, sur toute la planète. Il y a urgence à arrêter cette fuite en avant mortifère : à préserver la faune et la flore, à empêcher l’accaparement par des groupes capitalistes des terres permettant l’agriculture vivrière partout dans le monde. Urgence à stopper la course au profit qui règne en maître aussi dans le monde agricole !

Élise Moutier


La Bretagne, première région agricole de France, est l’une des principales d’Europe : les 3,3 millions d’habitants cohabitent avec 110 millions d’animaux d’élevage ; 110 000 agriculteurs et ouvriers du secteur agroalimentaire produisent de quoi nourrir 22 millions de personnes. [6] Les élevages et cultures intensives dégradent gravement la vie de la population, la qualité des aliments produits et l’environnement.


Affiche : affichage réalisé par la Confédération paysanne à Limoges lors de la marche pour le climat du 28 mars 2021 : « L’écologie sans lutte des classes, c’est du jardinage » (propos de Chico Mendes, syndicaliste ouvrier brésilien défenseur de la forêt amazonienne).


[1 Christian Buson, fondateur d’un Institut technique et scientifique de l’environnement, pourfendeur de « l’écologisme » et grand défenseur de l’agro-industrie.

[3Pour en savoir plus sur la PAC, sur le lobbying de la FNSEA, et sur les différents syndicats agricoles français (Coordination rurale ; Confédération paysanne ; Modef), se reporter aux articles du 16 mars 2020 :

[4Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, syndicat majoritaire : en 2015 son président Xavier Beulin était président de la société Avril/Sofiprotéol, 8 000 salariés dans 22 pays

[5Ces aides données en fonction des efforts pour se conformer à des critères environnementaux ont entraîné beaucoup de complexités administratives, mais peu d’impact sur l’environnement.

[6Le Monde 17/11/2020 « Agriculture productiviste : la fracture bretonne »

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