Livre
Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une enquête
Mis en ligne le 9 décembre 2015 Convergences Culture
Histoire des grands-parents que je n’ai pas eus. Une enquête
de Ivan Jablonka
Collection Points, éditions du Seuil, octobre 2013 – 10,80 €
Cet universitaire français, maître de conférences en histoire contemporaine, se fait biographe familial pour rendre compte de la vie de ses grands-parents, morts à Auschwitz.
Il a dit avoir voulu leur rendre une identité, car ils sont morts puisque juifs (et c’est toute la trace qu’il reste d’eux au Mémorial de la Shoah) alors qu’eux-mêmes étaient d’abord ouvriers, communistes, polonais… avant d’être juifs !
La vie d’Idesa et de Matès Jablonka est banale, pour l’époque. Une banalité tragique et leur itinéraire fait écho à celui de milliers d’autres.
Ils sont nés au début du xxe siècle dans un bourg polonais, en grande partie peuplé de juifs, ont travaillé très jeunes (lui était ouvrier du cuir) et se sont engagés dans les Jeunesses communistes puis au Parti communiste. Ils ont été pourchassés comme communistes et ont fait de la prison. C’est pour cette raison qu’ils se sont réfugiés en France en 1937, où étrangers illégaux, sans papiers, ils vivaient sous la menace constante de l’expulsion. Matès fut emprisonné une première fois à la Santé en 1939, puis libéré. Ils ont échappé aux premières rafles puis ont été arrêtés par la police française en février 1943 et déportés de Drancy par le convoi 49 du 2 mars 1943.
À partir d’un travail très rigoureux d’historien ayant consulté des archives administratives (le dossier polonais sur Idesa et Matès compte 729 pages !), recueilli des témoignages, Jablonka nous plonge dans la vie de ces militants qui non seulement ont passé toute leur vie dans la clandestinité mais ont encore été traités en indésirables dans la France de la iiie république dont les décrets-lois de Daladier préparèrent le terrain à la législation de Pétain. Comme le dit Jablonka lui-même, « Il y a un Vichy avant Vichy ».
Comment lire cet ouvrage passionnant et parfois bouleversant (mais sans effet de pathos !) sans penser à tous ces migrants rejetés par l’Europe d’aujourd’hui et traités à leur tour, selon les mots de Koestler dans les années 1930, comme « la lie de la terre » ? À lire absolument donc…
Liliane LEFEVRE