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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 123, décembre 2018

Tout augmente… sauf les salaires !

Mis en ligne le 8 décembre 2018 Convergences Politique

Alors que les classes populaires se révoltent contre la vie chère et expriment leur ras-le-bol des fins de mois en négatif et des sacrifices pour boucler leur budget, faire le plein, remplir le caddie, payer le loyer ou le chauffage… voilà que des « experts » et porte-parole du gouvernement défilent à la télévision pour affirmer que tout va bien, que ce n’est que du « ressenti » : ce sont les « chiffres » qui le disent ! Encore faut-il regarder les bons chiffres.

Le logement : un gouffre financier pour les classes populaires

C’est le logement qui pèse le plus dans le budget, et de loin, et il est pourtant largement sous-estimé dans les statistiques sur le pouvoir d’achat (voir encadré). En 20 ans, alors que l’ensemble des prix à la consommation a augmenté de 25 %, les loyers ont grimpé encore plus vite (+ 40 %). Idem pour l’eau (+ 50 %), l’électricité (+ 39 %), le gaz (+ 93 %) ou encore l’assurance habitation (+ 51 %). En 2013, derniers chiffres connus sur les « efforts » de logement, les locataires du secteur privé devaient déjà y consacrer 28 % de leurs revenus, entre le loyer, les charges locatives, l’eau, les énergies, la taxe d’habitation, et ce après déduction des aides au logement. Cela fait 670 euros en moyenne, soit plus d’un demi Smic. Pour les 25 % de familles les plus modestes, c’est même 41 % du revenu qui y passe en moyenne dans le secteur privé, tandis que, en HLM, le taux d’effort est de 24 % en moyenne.

Quant à ceux qui ont pu devenir propriétaires, souvent au prix d’un éloignement vers les zones péri-urbaines, ils ont subi de plein fouet la hausse des prix immobiliers qui a précédé la crise de 2008. Rien qu’entre 2000 et 2008, le prix des logements anciens a été multiplié par 2,2. Les nouveaux accédants ont dû s’endetter sur 20 ans en moyenne et, en 2013, les propriétaires récents consacraient 25 % de leurs revenus au remboursement des crédits (contre 18 % en 2001). Pour les 25 % de ménages les plus modestes, c’est même 46 % des revenus qu’ils y consacrent ! Pour ces derniers, l’achat d’un logement représentait 5 ans de revenus en 2001, ce qui était déjà lourd : en 2013, on en était déjà à 10 ans de revenus !

Les transports consomment vite le salaire

Après le logement, ce sont les transports qui pèsent le plus sur le budget : ils représentent 17 % de la dépense de consommation hors remboursement des crédits. C’est ainsi 7 % du budget qui est consacré en moyenne à l’achat d’un véhicule et 5 % pour le carburant. Et ce sont les familles ouvrières qui consacrent le plus aux transports, les usines étant souvent implantées en périphérie des villes, où les transports en communs sont rares, voire inexistants. Ce sont eux aussi qui doivent s’éloigner des centres-villes pour réduire leur facture de logement : ce qui est gagné d’un côté est ainsi repris de l’autre. Alors, de voir que les taxes représentent 60 % de la facture de carburant, il y a de quoi être en colère : marre d’être taxés pour aller au boulot. Sans parler des commerces et des services publics qui ferment, augmentant les distances à parcourir, en particulier dans les zones rurales et péri-urbaines où la voiture est devenue indispensable.

Des prix qui montent, des prix qui baissent…

Quand les travailleurs en colère mettent en avant les hausses de prix, les « experts » répondent que d’autres prix baissent et que, dans l’ensemble, on s’y retrouve. Mais ce sont les produits de base dont les prix montent le plus ou qui connaissent des flambées régulières, parfois au gré de la spéculation sur les marchés mondiaux des matières premières. Ces hausses atteignent directement les familles au porte-monnaie. En revanche, les produits en baisse concernent surtout l’électronique et ne représentent au final pas grand-chose dans le budget. Certes, il y a tout un ensemble d’appareils qui se sont généralisés dans les foyers. Aujourd’hui, presque tout le monde a chez soi une télévision couleur (voire deux pour 44 % des foyers), un ordinateur, un four à micro-ondes, etc., ce qui était moins souvent le cas il y a trente ou quarante ans. Mais quand le nouveau lave-linge coûte 350 euros au lieu de 500 et qu’on le change tous les dix ans, l’économie réalisée reste tout de même marginale. Ces nouveaux produits ont parfois amélioré la vie, et la baisse de leur prix a permis aux foyers modestes d’y accéder, mais ils n’ont en rien desserré le budget des familles populaires.

Au contraire, de nouveaux produits sont apparus et sont devenus indispensables comme le téléphone mobile ou l’abonnement Internet, augmentant toujours plus la facture à payer à la fin du mois. Aujourd’hui, sans accès Internet, il est de plus en plus difficile d’acheter un billet de train ou de faire une démarche administrative… voire, dans certaines régions, d’acheter certains produits disponibles en ligne mais pour lesquels aucun magasin n’existe avant plusieurs dizaines de kilomètres. Et voilà que des maires parlent maintenant de taxer un euro par colis livré ! Encore une façon de faire payer les classes populaires pour remplacer l’argent qui ne rentre pas dans les caisses publiques après les cadeaux fiscaux aux entreprises.

« Contre la vie chère, augmentez les salaires »

Ce qui pèse sur le budget, ce sont aussi les gels des salaires imposés depuis quarante ans. D’ailleurs, ceux qui balancent les chiffres sur l’augmentation du niveau de vie sur les plateaux télévision oublient qu’il faut souvent deux salaires aujourd’hui pour maintenir ce niveau de vie. En témoigne les difficultés des familles monoparentales, qui tombent bien vite sous le seuil de pauvreté. Plus que le « pouvoir d’achat », ce sont surtout la précarité et les bas salaires qui se sont développés et pèsent sur le budget des familles. Ils pèsent d’autant plus que les fins de mois dans le rouge multiplient des frais bancaires : crédits, agios, etc. Pas étonnant, du coup, de voir de nombreuses femmes prendre en main la mobilisation sur les ronds-points des Gilets jaunes : ce sont elles les plus précaires, les plus mal payées et qui courent toute la journée entre le boulot, l’école des enfants, la maison et le supermarché. La fatigue qui s’accumule entre les conditions de travail qui se dégradent, les services publics et les commerces de plus en plus éloignés renforce le sentiment de ne pas s’en sortir.

Alors oui, comme certains manifestants l’expriment sur les blocages et dans les manifestations, la meilleure solution contre la vie chère, en plus de supprimer les taxes qui pèsent sur les classes populaires, est encore d’augmenter les salaires, pour faire payer les patrons, qui affichent de leur côté des niveaux records de dividendes en 2018. Mais, pour changer la vie, il ne suffira pas de se battre pour le « pouvoir d’achat », mais bien pour le pouvoir des travailleurs, pour se libérer des cadences infernales et de la précarité.

Maurice SPIRZ


« L’impôt saigne le malheureux » (L’Internationale)

La colère des Gilets jaunes contre la vie chère s’est cristallisée autour des taxes et, notamment, de la taxe carbone sur le gasoil. Il faut dire que, pour 1 litre d’essence SP95, actuellement à 1,53 euro, le prix des producteurs est de 0,59 euro pour le baril de pétrole, le raffinage et le transport (sur lesquels les compagnies pétrolières se font déjà de larges bénéfices), tandis que les taxes représentent 0,94 euro (soit 61 % du prix final) : 0,69 euro de TICPE (la taxe carbone), 0,12 euro de TVA… et 0,13 euro de TVA sur la TICPE ! Et le gouvernement veut aligner les taxes sur le diesel, qui étaient jusque-là un peu moins lourdes.

Plus généralement, la politique de ce gouvernement, comme celle des précédents, est de remplacer les impôts payés par les plus riches, ou par les entreprises, par des taxes qui pèsent plus lourdement sur les classes populaires. Il en est ainsi de la CSG, de la taxe carbone ou encore de la TVA en général. Cette dernière représente ainsi la moitié des recettes fiscales de l’État et rapporte deux fois plus que l’impôt sur le revenu. Pourtant, il s’agit de l’impôt le plus injuste, à l’image de la société capitaliste, qui pèse d’autant plus lourd sur le budget des ménages pauvres. Car ceux-ci dépensent tout leur revenu en consommation et la TVA pèse donc pour près de 20 % de leur revenu (un peu moins du fait des taux réduits sur certains produits de base), tandis que les plus riches épargnent une partie de leurs revenus et payent donc moins de TVA par rapport à ces revenus. Même sur la partie consommée, les plus riches peuvent être gagnants, car ils consomment plus de biens et services imposés à 10 %, comme la restauration et les activités touristiques et culturelles.

Le ras-le-bol des taxes ne vient pas de nulle part. Selon une étude de l’OFCE [1], les prélèvements ont augmenté de 21 milliards d’euros en 2016 par rapport à 2008, soit 750 euros annuels par ménage en moyenne. À ce passif, s’ajoutent les mesures de Macron : baisse des allocations logement en 2017, hausse de la CSG en 2018 et, maintenant, hausse des taxes sur le diesel et le tabac. La suppression des cotisations d’assurance maladie et chômage, ainsi que la réduction de la taxe d’habitation (qui n’en est d’ailleurs pas toujours une, car les collectivités locales ont parfois fortement augmenté leurs taux) sont loin du compte pour compenser les pertes. L’augmentation de la taxe carbone – qui, selon l’OFCE, devrait coûter 3,7 milliards d’euros, principalement aux classes populaires qui n’ont pas d’autre choix que de prendre la voiture – est d’autant plus choquante que, dans le même temps, Macron supprime l’ISF (3,2 milliards d’euros de cadeaux aux plus riches), plafonne l’impôt sur les revenus du capital (1,3 milliard de plus pour les riches) et offre 20 milliards d’euros de bonus aux entreprises, qui pourront cumuler en 2019 le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) versé au titre de l’année 2018 et la nouvelle mesure d’allègement des cotisations sociales qui le remplace et entre en vigueur immédiatement.

M.S.


La vérité des prix

Les statistiques officielles qui mesurent l’évolution du niveau de vie présentent de multiples choix « méthodologiques » qui les font s’éloigner de la réalité vécue par la population, et notamment par les classes populaires.

Des revenus augmentés artificiellement

Le pouvoir d’achat vient d’abord du revenu disponible, qui additionne les salaires, pensions, revenus du capital, allocations chômage, RSA et autres prestations sociales, dont sont déduits les impôts directs (cotisations et prélèvements sociaux, impôt sur le revenu, etc.). Mais, pour comparer les niveaux de vie entre, par exemple, propriétaires et locataires, l’Insee ajoute un loyer « fictif » aux propriétaires. Ce choix peut s’entendre : à revenu égal, le propriétaire qui a fini de payer son crédit vivra mieux que le locataire qui paye toujours son loyer. Mais cela ajoute en conséquence au propriétaire un revenu dont il ne voit pas vraiment la couleur. Au final, plus les loyers augmentent, plus cela augmente le niveau de vie des propriétaires… mais seulement dans les statistiques !

Un indice des prix pas très représentatif

Le pouvoir d’achat dépend aussi du niveau des prix. Or, l’indice des prix mesuré par l’Insee a été pensé pour correspondre à des théories macro-économiques bien loin des réalités de la population. Par exemple, le logement est largement sous-estimé, car l’achat de logement est considéré comme un investissement et non comme de la consommation et que le remboursement du crédit est considéré comme de l’épargne et non une dépense. Ainsi, l’argent dépensé par les propriétaires accédants disparaît mystérieusement des comptes (alors que 58 % des ménages sont propriétaires). Seuls les loyers sont pris en compte dans l’indice des prix, mais une fois rapportés à l’ensemble de la population des locataires et propriétaires, cela ne laisse qu’un petit poids pour le logement dans le panier de prix. Si les loyers et les prix de l’immobilier augmentaient à la même allure que le reste des prix, cela ne se verrait pas, mais ce n’est pas le cas : ils augmentent bien plus vite et absorbent une part croissante des revenus, tandis que leur impact sur le niveau de vie mesuré par l’Insee reste limité.

L’effet « qualité » qui fait baisser les prix… sans faire baisser les prix

Autre décalage entre l’indice des prix et la réalité des conditions de vie des familles, c’est la prise en compte des innovations. Si un ordinateur, un lave-linge ou un téléphone mobile est plus performant que la version précédente, il ne s’agit pas du même produit : même s’il est vendu au même prix, l’Insee va considérer que le prix a diminué, car il y a plus dedans. Cela correspond effectivement à une réalité : si le produit d’origine était toujours fabriqué, il reviendrait bien moins cher. Sauf qu’il n’est plus fabriqué et que, si le nouveau produit reste au même prix, plus performant ou pas, il faut toujours sortir le même montant de la carte bleue… voire plus. Par exemple, nous avons aujourd’hui presque tous dans la poche un smartphone dont la puissance de calcul dépasse largement celle des ordinateurs qui ont envoyé des hommes sur la Lune. Aussi, l’Insee a mesuré que le prix du matériel de téléphonie ne représente plus, en 2017, que 5,7 % de celui de l’an 2000. Une baisse de prix astronomique ! Mais quand on compare le prix d’un iPhone actuel, qui vaut un Smic, avec le prix des téléphones de l’époque, on a du mal à le voir. Ici encore, le niveau de vie augmente en statistiques, mais il ne laisse pas plus d’argent à dépenser à la fin du mois.

M.S.


[1Publiée par l’Insee dans France, portrait social, édition 2018, coll. « Insee Références ».

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