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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 136, février 2021 > DOSSIER : G5 Sahel, les interminables guerres de la Françafrique

DOSSIER : G5 Sahel, les interminables guerres de la Françafrique

Total au Mozambique : un État dans l’État

Mis en ligne le 15 février 2021 Convergences Monde

La compagnie pétrolière Total est le plus riche des fleurons de la Françafrique. Son fonds de commerce a été (du temps où elle s’appelait Elf) le pétrole africain. On se souvient du scandale de corruption d’Elf au Gabon… qui avait envoyé un temps son PDG de l’époque, Loïk Le Floch-Prigent à la prison de la Santé, et dans lequel Mitterrand avait copieusement trempé. On se souvient moins, parce que c’est plus vieux, de la guerre dite « du Biafra » (un million de morts), région du Nigéria que la France de De Gaulle avait copieusement alimentée en armes et soutiens militaires, dans l’espoir de permettre au pétrolier français de se tailler son fief au Nigéria. Nous parlerons ici du tout dernier haut fait de Total en Afrique.

La guerre fait rage au nord du Mozambique entre des djihadistes et l’État mozambicain peu présent dans cette région du Cabo Delgado, située à 2 500 kilomètres de la capitale. Sur la côte du canal du Mozambique, canal océanique entre l’Afrique continentale et Madagascar.

Les affrontements y ont entrainé plusieurs milliers de morts et plusieurs centaines de milliers de déplacés. Mais c’est surtout l’extrême pauvreté dans cette région (déjà très peu développée) qui impacte une population plus large. Quant aux déplacements, les nouvelles installations pétrolières aussi ont chassé bien des habitants de leurs terres. De quoi fournir des jeunes sans ressources en recrues aux groupes armés. Et peu importe pour Macron : la « sécurité » des installations pétrolières s’appelle « guerre contre Daech ».

L’affaire, y compris la piraterie de ces groupes armés, débute avec la découverte entre 2010 et 2013 d’une des plus grandes réserves de gaz dans les eaux territoriales du Mozambique. C’est à cette même époque que débute le grand rapprochement entre le Frelimo, le parti au pouvoir, et Macron, alors secrétaire à la présidence de Hollande avant de devenir son ministre de l’Économie.

Le scandale du « Thuna Bonds »

Une entreprise publique mozambicaine va ainsi acheter une trentaine de thoniers aux Chantiers mécaniques de Normandie, qui n’est pas connue pour ses bateaux de pêche, mais pour des navires de guerre. La commande est supervisée par le futur président mozambicain, Nyusi, sans validation du parlement, et le marché signé en grande pompe le 30 septembre 2013 par le ministre français du Redressement productif, Arnaud Montebourg, lors d’une visite de Hollande et Nyusi à Cherbourg. Quand le scandale éclate et prend le nom de « Thuna Bonds », la facture pour le Mozambique s’élève à deux milliards d’euros et participe grandement au bond de la dette du pays, passée de 55 % du PIB à 140 % !

Et en guise de bateaux de pêche au thon, les vaisseaux en question sont équipés d’armes lourdes (made in France) destinées à sécuriser et assurer la logistique dans le nord du canal du Mozambique. Là où les réserves naturelles de gaz ont été trouvées et où le projet d’extraction Mozambique LNG est prévu.

Avec de tels soutiens politiques et logistiques, Total devient en 2019 le principal opérateur de ce qui s’avère être le plus gros investissement dans les énergies fossiles du vingt-et-unième siècle avec une première injection de 20 milliards de dollars (60 milliards sur vingt ans). Derrière cet investissement, on trouve quatre principaux financeurs : Natixis, le Crédit agricole, la Société générale et BNP Paribas. Les travaux faramineux sont attribués à Bolloré Logisitcs. Une gigantesque opération menée en famille. L’État français se porte garant des différents emprunts de chacun des acteurs, de façon à ce que personne ne prenne de risque dans ce pays instable. Bien entendu, le Mozambique a largement mis la main à la poche pour développer les infrastructures. Ce sont les Mozambicains qui ont payé les ports que Total va utiliser.

Quand le gaz ruine les populations

L’impact environnemental est gigantesque et la réorganisation du nord du pays se fait au détriment des populations locales, entrainant une résistance et une opposition au projet importantes. Les dirigeants du Mozambique mènent à bout ce projet pour obtenir une entrée d’argent et rembourser la dette faramineuse liée aux Thuna Bonds et aux infrastructures.

Les fonds engagés par ce pays dont le PIB est de 14 milliards de dollars (0,5 % du PIB français) ont fait grimper sa dette de 55 à 140 % du PIB. À titre de comparaison, le chiffre d’affaires annuel de Total est de 200 milliards, et ses bénéfices annuels de 12 milliards. Le budget total du Mozambique est de 5,3 milliards (donc 50 fois moins !) avec un déficit de 1,3 milliard. Total est un géant face au Mozambique qui compte 27 millions de pauvres.

Dans cette région du nord du pays, nommée Cabo Delgado, l’entreprise « Mozambique LGN » (extraction et liquéfaction de gaz naturel) aura un impact écologique désastreux. Les centrales de liquéfaction sont construites entre plusieurs réserves naturelles et ont entrainé le déplacement de populations. La pollution liée au torchage aura un impact direct sur l’agriculture.

Le Mozambique est pourtant un pays pour lequel le réchauffement climatique est une menace très concrète et à court terme. Pays côtier très plat, il connait une très importante montée des eaux qui rend tout une partie du pays inondable. En 2019, le cyclone Idai a entraîné l’inondation d’une grande partie de la région de Sofala. Beira, la deuxième plus grande ville du pays, a été détruite à 90 %.

Bien sûr l’arrivée de Total a entrainé l’enrichissement rapide d’un noyau de privilégiés et a fait exploser la corruption en même temps que les équilibres fragiles au sein des communautés ultra-pauvres de cette région. D’où l’explosion du banditisme. Un terreau pour de petits groupes djihadistes qui recrutent dans une population désœuvrée. En 2018, banditisme et djihadisme se confondaient.

Milices privées et marine française au service de Total

L’armée mozambicaine n’arrivant plus à faire face, Total a fourni les moyens de remplacer l’État : des sociétés militaires privées (PMC) sont en pleine expansion, véritables armées au service des compagnies privées. Notamment une société sud-africaine, DAG, équipée d’hélicoptères français ; une société privée russe, Wagner, régulièrement utilisée pour les interventions que Poutine ne veut pas assumer ouvertement (au Mozambique, Total est soupçonné d’en payer directement les soldes aux soldats) ; ainsi que les hommes de main du fondateur de la société américaine Blackwater de triste mémoire pour ses crimes en Irak.

Quant à l’armée française, elle veille au grain grâce aux bases dont dispose la marine dans ces petites « Îles Éparses » (c’est leur nom) entre le Mozambique et les Comores, qui sont une partie intégrante du territoire français.


Pour plus de détails, lire notamment :

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