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DOSSIER : G5 Sahel, les interminables guerres de la Françafrique

La Bollorie, une affaire familiale

Mis en ligne le 15 février 2021 Convergences Monde

La Bollorie, cela pourrait être le nom d’un royaume s’étalant sur deux continents, dirigé avec poigne, par Vincent Bolloré. Ce nom vous dit sans doute quelque chose, puisque vous faites partie de la Bollorie lorsque vous prenez de l’eau au robinet ou que vous regardez une chaîne du groupe Canal +. Le roi Bolloré aime se présenter comme un entrepreneur qui prend des risques… mais son CV [1] montre qu’il a surtout hérité. Pas tout à fait le self-made-man qui se hisse à la force du poignet.

Du papier à cigarette aux tapis rouges de l’Élysée

La dynastie Bolloré a émergé en 1861, en Bretagne, en développant des usines de papeterie, bientôt l’un des plus gros producteurs de papier à cigarette. Donc quand Vincent naît en 1952 dans le très populaire 16e arrondissement, il a déjà une cuillère en or dans la bouche. Cursus classique de la bourgeoisie parisienne : études au cours privé Gerson puis au lycée Janson de Sailly. Fréquentation d’un milieu catholique intégriste.

Pour bâtir son royaume, dont l’Afrique est un des principaux théâtres, Bolloré a su se faire entendre des hommes politiques, de droite comme de gauche. Cela remonte loin, puisque le manoir familial a accueilli le socialiste Léon Blum, venu s’y reposer, au grand désespoir des syndicalistes locaux de voir le chef du Front populaire servi comme un roi par le papa de l’actuel Vincent.

Le président Pompidou (1969-1974) voguait sur le voilier du père Bolloré. Mitterrand (président « socialiste »), via la BNP alors nationalisée et la Banque de France, a aidé Vincent Bolloré à se remettre à flot [2]. Vincent est également lié à Édouard Balladur et à Gérard Longuet, son ex-beau-frère (qui a occupé de nombreux postes, de ministre de l’Industrie, des Postes et télécommunications, puis du Commerce extérieur). Enfin il est aussi ami avec Sarkozy qui l’a invité au Fouquet’s le soir de sa victoire à la présidentielle de 2007. Bolloré lui a prêté son yacht et son avion privé pour partir en famille se reposer des fatigues électorales.

Des réseaux de copains

Ces amitiés de Vincent Bolloré sont un ingrédient de sa fortune. Rien de tel que des présidents ou ministres qui vous emmènent à chaque voyage officiel, et signent des contrats mirobolants. Et quand un dictateur rechigne, la visite d’un ministre, ou plutôt d’un « ami de l’Afrique », sert d’argument.

Les affaires sont facilitées par ceux que Bolloré appelle « des ambassadeurs d’ambiance ». Pour l’ambiance ? Un Michel Roussin, ancien numéro deux des services secrets et ex-ministre de la Coopération ou un Ange Mancini, ancien patron du RAID et ancien coordinateur du renseignement national à l’Élysée. Bolloré profite aussi des « bons conseils » d’Antoine Bernheim, bien placé à la banque Lazard et à la compagnie d’assurances Generali.

Inventaire du royaume de Bollorie

Nous allons faire un petit inventaire des possessions et des richesses du roi Bolloré, d’après le tableau qu’en donne l’association « Survie », spécialisée dans la dénonciation de la France Afrique [3] :

  • Activités Industrielles (cigarettes et films plastiques)

Pays : Bénin, Burkina Faso, Congo-Brazzaville, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée-Conakry, Madagascar, Centrafrique, Sénégal, Tchad

  • Transports (terrestre, ferré et maritime ; logistique) de la Mauritanie jusqu’à l’Afrique du Sud

Pays : Afrique du Sud, Algérie, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Congo-Brazzaville, Congo-Kinshasa, Côte-d’Ivoire, Djibouti, Égypte, Gabon, Gambie, Ghana, Guinée-Bissau, Kenya, Liberia, Libye, Madagascar, Mali, Maroc, Mauritanie, Mozambique, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Centrafrique, Sénégal, Sierra Leone, Soudan, Tanzanie, Tchad, Togo, Tunisie, Zimbabwe.

  • Plantations d’hévéa, caoutchouc, cacao, huile de palme, coton, banane, dont les principales sont au Cameroun, au Nigeria et en Côte d’Ivoire.

À quoi s’ajoutent le cinéma et l’activité de l’agence de publicité Havas.

Bolloré et les chefs d’État africains

  • Charles Taylor, dictateur sanguinaire du Liberia de 1997 à 2003, disait à ce propos : « Il n’y a pas de privilège. Il se trouve simplement que les hommes d’affaires français sont venus me voir avant les autres. Ils ont pris des risques. C’est du business as usual. »
  • Au Cameroun, rien ne vaut « l’amitié » de Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, pour conclure les contrats d’affaires. Mais les affaires des riches, c’est l’exploitation des plus pauvres. Les conditions de travail et de vie dans les palmeraies qui appartiennent au groupe Bolloré sont effroyables : « les ouvriers sont logés dans des cabanes en planches de bois, sans eau courante, ni électricité : “comme des chèvres ou des porcs” », dit un ouvrier interviewé.
  • En Côte d’Ivoire, c’est l’ex-président Gbagbo, ami des socialistes français, qui a offert à Bolloré le monopole du port d’Abidjan.

Vincent Bolloré et les médias

En Bollorie, on n’aime pas les critiques de la presse… Chaque fois que des journalistes de presse ou télévision évoquent les affaires de son groupe, Bolloré diligente un huissier, puis convoque au tribunal pour diffamation, accompagnée d’une demande de dommages et intérêts de millions d’euros. Il peut utiliser son agence de publicité Havas, sixième publicitaire mondial : il retire au journal qui le met en cause quelques pages de publicité et attend des excuses… Il a même compris que le meilleur moyen d’éviter d’être critiqué par les médias, c’est de les posséder. En 2014, il met la main définitive sur le groupe Vivendi et les chaînes du groupe Canal+.

Vincent Bolloré est puissant, mais il a cependant de sérieux concurrents (américains, suisses, asiatiques) qui veulent aussi leur part du gâteau africain. Le port de Douala au Cameroun, qu’il détient depuis quinze ans, est en passe de lui être soufflé par un groupe suisse, malgré le voyage du ministre des Affaires étrangères Le Drian pour plaider sa cause…


[1Pour les informations ci-dessous nous avons largement puisé dans le livre Vincent Tout-Puissant (JC Lattès, 2018), l’enquête que Bolloré a voulu empêcher. Les auteurs, Nicolas Vescovacci et Jean-Pierre Canet, sont deux journalistes d’investigation, membres fondateurs du collectif « Informer n’est pas un délit ».

[2L’entreprise familiale allait mal, ses deux produits phare, le papier à cigarette et le papier fin pour missels étant en perte de vitesse. (Bolloré, c’est ainsi que tout a commencé, http://www.bretagne-bretons.fr/boll...)

[3« Bolloré : monopoles services compris. Tentacules africaines », Survie, Les dossiers noirs, no 15 (2000) : https://survie.org/themes/economie/...

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