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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 36, novembre-décembre 2004 > DOSSIER : Délocalisations, chômage et démagogie chauvine

DOSSIER : Délocalisations, chômage et démagogie chauvine

Textile : qui tire les fils ?

Mis en ligne le 14 novembre 2004 Convergences Entreprises

Depuis les années 1980, les fermetures d’entreprises et les vagues de licenciements n’ont cessé de se succéder dans le textile et l’habillement, frappant durement les régions dont c’était l’activité traditionnelle : le Nord, l’Est, le Massif Central, les Alpes... Bilan : la filière, qui employait il y a trente ans près d’un million de salariés en France, n’en compte plus aujourd’hui que 198 000 (Le Monde, 23-09-03).

Les patrons ont mis en cause la concurrence mondiale, en particulier celle des pays pauvres, où la main d’œuvre est beaucoup moins chère.

Ne pas confondre délocalisations...

De fait, ils ont rapidement délocalisé une bonne partie de l’habillement vers des pays d’Europe de l’Est comme la Pologne et la Hongrie, et surtout vers la Tunisie et le Maroc. Ces pays ont l’avantage d’être proche du marché français : des tissus fabriqués en France traversent la Méditerranée, puis font le voyage retour une fois transformés en vêtements.

Dans le textile, cependant, la vague des délocalisations a été moins massive. Les filatures de laine ont été les plus touchées, mais dans son ensemble, la filière textile s’est rapidement modernisée au cours des vingt dernières années. Elle s’est spécialisée dans de nouveaux tissus synthétiques et dans ce qu’on appelle les tissus techniques : ils servent dans l’industrie, dans le domaine médical, dans la construction où ils peuvent être insérés à la structure de routes ou de ponts... La France réalise 24 % de la production européenne de tissus techniques, elle est au quatrième rang mondial derrière le Japon, les Etats-Unis et l’Allemagne.

En fait, depuis le « plan textile » de 1982, lancé au nom de la sauvegarde de l’emploi, les entreprises françaises ont profité des multiples réductions de charges sociales, pour investir et restructurer la production. Les aides versées leur ont servi à acheter du matériel ultramoderne et c’est encore l’Etat qui a payé pour les départs en préretraite et les soi-disant plans de reconversion de la main d’œuvre. La productivité ayant considérablement augmenté, actuellement les industries textiles produisent toujours plus avec beaucoup moins de salariés.

... et concentrations

La filière textile-habillement a d’ailleurs connu en réalité un épisode de forte concentration, en France et pour l’ensemble des pays développés : beaucoup de petites entreprises ont disparu, au profit des grosses qui contrôlent la quasi-totalité du marché mondial. L’industrie textile mondiale est aujourd’hui entre les mains de 25 à 30 grandes sociétés.

Comme dans bien d’autres secteurs industriels, les patrons du textile et de l’habillement agitent la menace de la concurrence des « économies émergentes ». Mais loin de concurrencer réellement ces firmes, les pays pauvres subissent leur chantage. Ils sont en concurrence les uns avec les autres à qui sera le plus attractif par ses faibles coûts de main d’œuvre. Et bien souvent, les délocalisations se font d’un pays sous-développé vers un autre. La filière textile-habillement du Maghreb et de la Turquie est concurrencée par la Chine (qui pourrait représenter d’ici peu environ 20 % des exportations mondiales de vêtements) et par les pays de l’Est où les salaires sont aussi faibles, voire inférieurs. Pendant que d’autres pays, pourtant producteurs de coton, comme ceux de l’Afrique de l’Ouest, restent dépourvus de toute industrie textile. Ce sont ces mêmes géants du textile qui choisissent où implanter leurs activités et contrôlent l’organisation du marché mondial.

Ces sociétés tirent ainsi les fils d’une production désormais mondialisée, par l’exploitation des salariés d’ailleurs... et d’ici. Car dans les pays développés, les salaires sont faibles aussi : aux Etats-Unis, l’industrie du textile fait massivement appel à des femmes non syndiquées, des Noirs et des Hispaniques qui reçoivent des salaires bien en deçà de ceux pratiqués dans plusieurs pays d’Europe occidentale et du Japon. Et en France, le taux de salaire moyen dans la filière, proche du Smic, est le plus bas de l’industrie. Sans parler des salaires en vigueur à Paris même, où des travailleurs clandestins, en majorité turcs ou chinois, œuvrent pour des marques bien connues telles que Creeks ou Kookaï. 5 000 entreprises de moins de 50 salariés dans le Sentier réalisent 15 à 20 % des vêtements fabriqués en France (Alternatives Economiques, juin 2002). Une autre façon de délocaliser vers les bas salaires... en restant sur place !

Lydie GRIMAL

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