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Éducation nationale

Se coordonner pour gagner ou comment le baccalauréat a pu être bousculé

Mis en ligne le 17 septembre 2019 Convergences Politique

À la fin de l’année scolaire dernière, la mobilisation dans l’Éducation nationale a réussi à transformer l’essai de la grève de la surveillance du bac par une rétention remarquée des notes.

Dès octobre 2018, un patient travail de mise en réseau des enseignants mobilisés du secondaire (c’est-à-dire des collèges et lycées) a été entrepris. Il a abouti à la création d’une liste mail nommée « La Chaîne des bahuts », qui s’est étoffée à chaque fois qu’une assemblée générale de coordination parisienne puis nationale était organisée. Au total, cinq AG de coordination nationale ont eu lieu jusqu’en juin. Mais, au printemps, la mobilisation avait peiné à décoller. Les différentes journées de grève auxquelles ont appelé plusieurs syndicats n’ont pas entraîné assez de profs dans la lutte. En tout cas, de l’avis général, la réponse n’était pas à la hauteur des enjeux.

À partir de fin mars, le premier degré (regroupant les enseignants des écoles maternelles et primaires) s’est de son côté donné les moyens de contraindre le gouvernement à supprimer son projet d’EPSF (Établissements publics de savoirs fondamentaux) dans lequel devaient être regroupés les écoles et les collèges sous la direction des principaux (c’est-à-dire les directeurs) de collèges. Les professeurs des écoles y sont parvenus au moyen de réunions avec les parents, mais surtout d’occupations d’écoles et de grèves qui ont entraîné les fermetures de ces dernières pendant plusieurs jours. Néanmoins, si les assemblées générales locales ont permis de nombreuses actions, elles n’ont pas réussi à se coordonner à plus grande échelle, et mettre en danger la loi Blanquer sur « l’école de la confiance » et dont les EPSF ne constituaient qu’un aspect. En particulier, le SNUIPP [1], syndicat largement majoritaire dans le premier degré aurait pu appeler à un mouvement de grève concerté en s’appuyant sur les départements les plus mobilisés (comme Paris, la Seine-Saint-Denis ou la Loire-Atlantique), mais la volonté politique a manqué.

Comment bloquer Blanquer ?

Les journées de grève de l’Éducation à Paris des 9 et 18 mai – cette dernière ayant rassemblé 10 000 personnes – ont montré un enthousiasme et une détermination remarquables. Mais, après, ne restait dans la tête des enseignants que la perspective du bac pour tenter de créer un rapport de force avec le gouvernement, ce qui excluait de fait le premier degré. Certes, le SNES [2], syndicat majoritaire chez les enseignants du second degré, avait appelé à la grève des surveillances le premier jour du bac. Mais c’est bien la Coordination nationale qui l’a construite pendant tout le mois précédent. Cette coordination n’a certes pas réussi à réunir dans la même salle des profs en lutte de tout le pays, mais elle a quand même associé à une AG Île-de-France très vivante des militants de différentes régions, eux-mêmes en lien avec des collectifs plus ou moins organisés. Surtout, elle a conquis le droit de se proclamer « nationale » en fournissant une aide pratique à tous ceux qui voulaient se mobiliser, en devenant la direction de leur lutte. Il a été décidé d’organiser des piquets de grève pendant ces surveillances pour convaincre les autres profs, discuter avec les élèves et se réunir afin de ne pas être isolés dans les lycées respectifs, décision relayée par « La chaîne des bahuts ».

Quand le ministère a décidé d’embaucher à la journée des étudiants ou des retraités et fait surveiller soixante élèves par une seule personne, les profs ne se sont pas découragés et ont organisé la rétention des notes. Il s’agissait de refuser non pas de corriger les copies, mais de donner les notes attribuées. Cela équivalait à se mettre en grève pour la durée de la rétention. Une grève « cette fois payante », estimaient certains, car engageant un bras-de-fer avec Blanquer. L’idée a émergé de transformer en assemblées générales les réunions tenues dans chaque discipline au moment de la remise des copies. Les résultats ont été centralisés par « La chaîne des bahuts ». Et le vote s’est avéré massif en région parisienne ainsi qu’à Toulouse et dans quelques autres lieux. Ce n’est qu’après coup qu’une partie des syndicats ont soutenu cette rétention, et timidement pour certains d’entre eux. Certes, leur caution a contribué à conforter les profs impliqués. Mais sans la Coordination, la rétention n’aurait sans doute pas été bien loin.

La coordination devient la direction du mouvement

Pour organiser cette rétention, les membres les plus actifs de cette coordination ont mis en relation les correcteurs mobilisés appartenant aux mêmes jurys – les jurys ont pour mission de valider les résultats élève par élève et réunissent des profs de divers lycées qui parfois ne se connaissent pas du tout – afin qu’ils se concertent. Ainsi, les profs participant à la rétention n’étaient plus isolés chacun dans leur coin mais s’apercevaient que, dans leur jury, un ou deux collègues étaient prêts à retenir aussi les notes, et qu’il devenait possible de s’épauler mutuellement face aux pressions de la hiérarchie.

Lorsque la rétention a commencé, la Coordination a organisé des AG quotidiennes permettant de discuter et décider la reconduction, de répondre aux pressions administratives ensemble et d’avoir des comptes-rendus de la France entière. Enfin, les correcteurs de la Coordination ont organisé le vote, dans tous les jurys touchés par le mouvement, d’une motion affirmant le refus de statuer sur les copies retenues. Alors que, pour ces copies, le ministère enjoignait de prendre comme note du bac la moyenne annuelle de l’élève, voire carrément d’inventer une note, cette motion a permis aux non grévistes de se solidariser des grévistes. Certains ont refusé de siéger. D’autres ont même basculé dans la grève en réaction à la désinvolture avec laquelle le ministre traitait le bac. Plus d’un jury sur cinq en France s’est trouvé perturbé avec des départs de collègues ou des notes manquantes. À l’AG parisienne, à la suite des jurys au soir du 4 juillet, nous étions alors 620 personnes, et presque autant de correcteurs, déterminés à contrecarrer la communication gouvernementale et à nous revoir avant la rentrée pour préparer la suite, à commencer par une Université d’été de l’Éducation fin août.

La coordination a fait ses preuves. Même si elle a surtout impliqué des collègues de région parisienne, elle s’est fait le porte-parole de bien des enseignants dans tout le pays, qui se sont sentis vengés par le camouflet infligé au ministre. La grève de la surveillance du bac et la rétention des notes ont par ailleurs constitué une première dans le pays, preuve de l’exaspération d’un grand nombre d’enseignants. En cette rentrée, le feu couve encore. Il faut faire en sorte que la Coordination, qui a si bien su bousculer tout le monde avant l’été, s’élargisse et mette les contre-réformes du ministère en échec, « de la maternelle à l’université » !

4 septembre 2019, Barbara Kazan


[1SNUIPP : Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (professeurs d’enseignement général de collège), affilié à la FSU (Fédération syndicale unitaire - majoritaire chez les enseignants)

[2SNES : Syndicat national des enseignements de second degré

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