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2011-2021 : Que reste-t-il du Printemps arabe ?

Retour à la case départ, ou prix Nobel de la paix sociale ? En Égypte et en Tunisie, deux faces du maintien de l’ordre

Mis en ligne le 18 janvier 2021 Convergences Monde

Retour à la case départ en Égypte, disent certains ?

Puisqu’après un intermède de partage du pouvoir entre chefs de l’armée et parti des Frères musulmans, avec un président islamiste, Mohamed Morsi, élu en juin 2012 et destitué en juillet 2013, l’armée a repris, par un coup de force, le contrôle sans partage du pouvoir, fait amnistier Moubarak (mort depuis) et fait élire son chef, le maréchal Abdel Fattah Sissi, à la présidence. Les grèves sont interdites. Des militants, et pas seulement les islamistes auxquels Sissi a fait la chasse en renversant Morsi, mais aussi des militants ouvriers et d’extrême gauche, connaissent à nouveau l’arbitraire policier et la prison. Mais la marche de la contre-révolution n’a pas pour autant éteint la flamme de la révolte puisque malgré la dictature du maréchal Sissi, l’Égypte connait aujourd’hui des mouvements sociaux (dont nous parlons dans l’article ci-dessous) qui sont à leur façon l’héritage militant de 2011.

Long et douloureux apprentissage de la démocratie en Tunisie, entend-on aussi ?

C’est la version de bien des commentateurs aujourd’hui. Douloureux sans nul doute. Avec au passage l’assassinat par des islamistes de deux militants de gauche en 2013, les répressions d’émeutes en 2016 et en 2018, dans les mêmes villes pauvres du pays que celles qui avaient été au cœur de l’explosion de janvier 2011. Quant à l’apprentissage de la démocratie, tout dépend de ce que l’on veut dire par là. Dans un article sur les dix ans du Printemps arabe, l’historien spécialiste Jean-Pierre Filiu écrit dans Mediapart  : « La Tunisie est parvenue à échapper à cette régression désastreuse [il compare à l’Égypte], d’abord parce qu’elle est la seule des républiques autoritaires dans le monde arabe à avoir été de nature policière plutôt que militaire. […] La médiation de la société civile, couronnée par le prix Nobel de la paix, a su alors concilier islamistes et nationalistes. »

Effectivement, l’armée n’est pas au pouvoir en Tunisie comme elle l’est en Égypte. Mais c’est la police qui tirait à vue sur les manifestants en janvier 2011, dont les chefs les plus compromis dans les tueries (contre lesquels les parents des victimes ont porté maintes plaintes) n’ont pour la plupart jamais été condamnés, tout juste mutés d’une région où on ne les connaissait que trop à une autre. Et la « nature policière » du régime est toujours là. Même si on est bien loin, évidemment, d’une dictature à la Sissi. Quant au prix Nobel de la paix, c’était un gag ou une imposture : plus exactement celui de la paix sociale, décernée en décembre 2015 au « Quartet » constitué par le syndicat UGTT, l’Union patronale, l’association des avocats et la Ligue des droits de l’homme, pour leurs efforts communs à la réconciliation entre opprimés et oppresseurs, et la relève de l’économie nationale.

Les divers gouvernements que la Tunisie a connus depuis 2011 ont été une succession de savants partages de postes entre deux camps. D’une part il y avait les nouveaux venus, les ultra-réactionnaires du parti islamiste Ennahda, créé par les dirigeants exilés en Angleterre sous le régime de Ben Ali, et que la presse française se plaisait à présenter comme des « islamistes modérés » semblables à l’AKP d’Erdoğan en Turquie (avant qu’on se fâche un peu avec lui), l’équivalent de nos démocrates-chrétiens d’Europe occidentale. D’autre part il y avait le parti Nidaa Tounes (« L’Appel de la Tunisie »), véritable machine à recycler les notables du régime Ben Ali. L’explosion de ce parti sous la pression de ses guerres internes de clans laisse aujourd’hui une situation un peu nouvelle. Et le tout dernier gouvernement, élu en septembre 2020, après que le Premier ministre précédent accusé de « conflits d’intérêts » a dû démissionner, n’est constitué que de ministres dits « indépendants » (sauf des milieux économiques et financiers), mis en place grâce au soutien d’Ennahda qui préside le Parlement. Corruption et combines : le pain quotidien des « démocraties » ! Et parmi les priorités annoncées du nouveau gouvernement : assainir les finances de l’État, relancer la production, notamment dans les mines troublées par des mouvements de grève, retrouver la confiance des investisseurs : la guerre de classe pour faire payer la crise économique aux exploités.

Alors, apprentissage de la démocratie ? Certainement. Ou plus exactement apprentissage de toutes les supercheries de la démocratie bourgeoise, dont une bonne part de la génération des révoltés garde les leçons pour demain. Car c’est au nom de cette prétendue démocratie que l’on a prêché aux révoltés la patience et le renoncement à exiger leur dû, sous prétexte qu’il aurait fallu en passer par une Assemblée constituante, une Constitution (bourgeoise évidemment), des élections… avant de finir ici par un coup d’État, là avec un régime de technocrates au service des riches. Vieille histoire tant que les exploités ne retrouvent pas le chemin d’une politique de classe qui leur soit propre, révolutionnaire jusqu’au bout.

L’ordre impérialiste et son chaos

Mais la partie la plus noire du tableau est sûrement là où les grandes puissances sont intervenues militairement pour tuer dans l’œuf toute extension de la révolte.

Ce fut l’intervention de l’Arabie saoudite, richissime puissance régionale, qui a envoyé ses troupes dans la petite île du Bahreïn (1,5 million d’habitants) pour y sauver la monarchie et réprimer ceux qui se rassemblaient, en février 2011 sur la place de la Perle de la capitale, à l’image de ceux de la place Tahrir du Caire. Une intervention qui se proclamait surtout anti-chiite, même si les manifestants étaient de toutes les religions ou sans religion, et qui préfigurait déjà cette sale guerre que mène aujourd’hui l’Arabie saoudite au Yémen.

Ce fut surtout l’intervention des grandes puissances en Libye. Il s’agissait de prévenir une extension de la révolte au Maghreb, de montrer qu’elles restaient maitresses du monde, de donner un avertissement à tous les peuples arabes qui regardaient vers Tunis et Le Caire. Les USA, la France et l’Angleterre, se faisant donner mandat par l’ONU, sont donc intervenues militairement en Libye, ont pilonné le pays sous les bombes, ont pris l’initiative de renverser Kadhafi, avec l’espoir d’y placer un gouvernement à leur solde. Pour ce faire, ces pays impérialistes se sont appuyés sur les chefs de guerre régionaux et sur des groupes islamistes, en partie armés et entrainés par leur allié qatari. Avec pour conséquence un chaos immense dans le pays, une onde de choc dans tout le Sahel. Aujourd’hui en Libye, deux gouvernements rivalisent : l’officiel à Tripoli, reconnu par l’ONU, le dissident à Benghazi, chacun contrôlant l’une des deux régions pétrolières du pays. Sur fond des rivalités internationales qu’attire l’odeur du fioul : la France soutenant en sous-main le gouvernement dissident, la Turquie venant à la rescousse du gouvernement officiel, avec un contingent de mercenaires recrutés dans les régions de Syrie contrôlées par l’armée d’Erdoğan. Dans quel monde vivons-nous ? Mais pourvu que le pétrole coule, et que le chaos évite la révolution.

La guerre de Syrie est l’autre drame de l’après 2011, drame de la répression féroce du régime d’Assad qui très vite s’est transformée en une guerre civile meurtrière. Assad s’est toujours appuyé sur la communauté musulmane alaouite, à laquelle il appartient, contre la communauté musulmane sunnite, majoritaire dans le pays et dont des milices islamistes se proclamaient défenseures, financées par la Turquie, l’Arabie saoudite et d’autres. Là encore, toutes les puissances militaires opérant dans la région, les grandes (USA, France, Russie) et les régionales (Turquie ou Arabie saoudite), ont jeté de l’huile sur le feu, puis même participé directement à la guerre pour tenter d’y défendre leurs intérêts.

2019-2020, un nouveau souffle

Mais ailleurs dans le monde arabe, les années 2019-2020 ont connu et transmis un nouveau souffle. Les classes populaires d’Algérie avaient peu bougé en 2011, tant elles avaient déjà donné avec la révolte d’octobre 1988 et les dix ans de guerre entre armée et bandes islamistes. Mais n’en pouvant plus du régime croupissant de Bouteflika et des clans qui dirigent et pillent le pays, elles ont surgi sur la scène avec le Hirak. Un mouvement qui a duré des mois avant d’être pour beaucoup étouffé sous les mesures restrictives de la pandémie du Covid. Le Liban a pris le relai, avec une révolte commencée à l’automne 2019 qui a duré toute l’année 2020. La crise économique, la faillite des banques et les mesures d’austérité annoncées (sous tutelle de la Banque centrale européenne et du FMI) pour en faire payer la note à la population, a soulevé toute une jeunesse qui veut en finir avec la corruption, le règne des banquiers et des affairistes. Des jeunes qui rejettent dans une révolte commune ces divisions confessionnelles, chiites, sunnites druzes, maronites qui avaient alimenté la guerre civile des années 1980 et règle toujours le partage du pouvoir entre les grandes familles possédantes du pays.

Malgré les contre-révolutions, rien n’est réglé ni fini : dix ans après il y a comme une suite.

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Numéro 135, janvier 2021