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DOSSIER : Blanquer contre l’École

Rectorat de Caen : la fusion réchauffe l’ambiance

Mis en ligne le 14 mai 2019 Convergences Politique

Le rectorat, c’est la direction de l’éducation au niveau d’une académie, c’est-à-dire, le plus souvent, d’une région. Des centaines d’agents administratifs, souvent payés au plus bas de la Fonction publique, y gèrent les carrières et les affectations des enseignants, l’organisation des concours et des examens, ou encore l’offre de formation (combien d’écoles ou de lycées ? Quelles options ?).

Lorsque, fin 2015, le nombre de régions métropolitaines est passé de 22 à 13, le ministère de l’Éducation nationale a envisagé un temps de fusionner les rectorats correspondants, avant de renoncer… sauf pour la Normandie. Les rectorats des anciennes régions Basse-Normandie et Haute-Normandie ne doivent plus faire qu’un. Mais où installer ce nouveau siège ? La lutte des places entre les deux capitales régionales a été relancée, attisée par les politiciens locaux. Finalement, le rectorat principal est Rouen, un recteur unique est nommé et a installé ses pénates… à Caen ! À charge pour lui de faire le yoyo entre les deux villes.

Cobayes de laboratoire ?...

Tant que la fusion se limitait à pourrir la vie d’une poignée de cadres, tout le monde s’en fichait un peu. Mais, en septembre dernier, le service de la formation professionnelle pour adultes est entré dans le processus de fusion avant tous les autres. Et, là, c’est la hiérarchie intermédiaire qui a commencé à s’épuiser sur les routes – sans chauffeur, elle… – tandis que la charge de travail augmentait, du fait de la désorganisation totale du service et de quelques suppressions de postes. Voir la vie de ces collègues changée en enfer a commencé à en faire réfléchir plus d’un – et surtout plus d’une, car les salariés du rectorat de Caen sont, pour plus des deux tiers, des femmes.

Rétrospectivement, bien des agents ont acquis la conviction d’être traités depuis le début de cette histoire comme des rats de laboratoire : la fusion de Caen et Rouen pourrait bien être le banc d’essai d’un remodelage en profondeur de tous les rectorats.

...ou Kleenex ?

Ce sont les agents qui ont dénombré un par un les postes menacés : 129 au total, soit un tiers de l’effectif. Celles et ceux qui viennent du privé, et y ont vécu des vagues de licenciements, ont comme une impression de déjà-vu.

Le plan paraît tellement flou, incohérent et changeant qu’on se demande presque s’il existe réellement. Un jour, on laisse entendre à certains qu’ils vont devoir déménager pour suivre leur poste à Rouen. Le lendemain, un autre chef annonce la « bonne » nouvelle : plus de déménagement… c’est quelqu’un de Rouen qui occupera le poste. « Et que devenons-nous ? » « Bah, on ne sait pas. Vous verrez plus tard. » Dans un contexte où les portes sont grandes ouvertes pour aller se faire voir dans le privé ou au chômage, le statut de fonctionnaires n’apparaît à personne – en dehors de quelques chefs stupides de naïveté, ou de totale mauvaise foi – comme une garantie suffisante pour l’avenir. En outre, un nombre non négligeable de collègues sont contractuels : supprimer leur poste, c’est leur offrir un aller-simple à Pôle Emploi.

La direction en dit le moins possible. Cette attitude de sphinx aurait pu endormir, elle a engendré une atmosphère de révolte inédite. À des gens qui ont toujours fait scrupuleusement leur travail, on signifie soudainement que celui-ci n’a plus aucune valeur, puisqu’on peut aussi bien le supprimer ou le maintenir, ou encore le déplacer. On leur signifie qu’ils ne sont rien. Ce mépris tout macronien avec lequel la direction ministérielle traite les agents s’est révélé être une mèche allumée dans un baril de poudre.

La lutte commence

Il y a d’abord eu la guerre des affiches « Non à la fusion » placardées partout dans le bâtiment. Les chefs qui les décollaient les voyaient réapparaître deux fois plus nombreuses le lendemain. À une cadre trop zélée dans son nettoyage, une collègue a rétorqué : « Je m’en moque, je la collerai au plafond s’il le faut ! »... Elle a tenu parole !

Depuis bientôt deux mois, entre 80 et 150 personnes se réunissent sur le temps de pause du midi, une à deux fois par semaine, sous les fenêtres de la direction. Équipées de casseroles, bâtons, sifflets ou cartons d’archives, elles donnent un concert assourdissant, ponctué de slogans contre la fusion. Le 19 mars, renforcés par des profs grévistes, les concertistes ont interrompu une visioconférence entre des cadres et le ministère. Le 21 mars, une grève coordonnée avec les agents du rectorat de Rouen, tout aussi mobilisés contre la fusion, a donné lieu à un piquet massif avec café et banderoles accrochées sur toutes les grilles. Puis, quelques jours plus tard, le recteur et son bras droit, la secrétaire générale, ont été hués pendant la casserolade. Cette dernière a voulu retirer un jour de paie à tous les participants au motif qu’ils avaient cessé leur mouvement après l’heure théorique de reprise du travail. Elle a fait machine arrière quelques jours plus tard, mais la tension reste vive.

Nouvelle tête, vieilles ficelles

Fin mars, le recteur a été « démissionné ». Le ministère l’aurait jugé trop peu motivé par la fusion. Sa remplaçante a commencé par répéter qu’il n’y avait pas de plan B. Mais, devant la reprise des concerts le mardi 23 avril au retour des vacances – une opération « Sonnez les cloches » moins suivie mais tout aussi bruyante –, elle s’est engagée à ne supprimer aucun poste et à maintenir des services « miroirs » à Caen et à Rouen. Les plus mobilisés flairent une arnaque, d’autant que le moratoire d’un an annoncé la semaine précédente est devenu un délai de quatre mois. La fusion est donc fixée au 1er janvier 2020. Mais les agents ont appris à discuter, trouver des solutions et les mettre en œuvre ensemble. Il n’est pas dit que la fusion ne finira pas à la poubelle. 

26 avril 2019, correspondants

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Numéro 126, mai 2019

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