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DOSSIER : Tous ensemble contre les mille et un visages du chômage et des licenciements

Pôl(ic)e Emploi : toujours plus de flicage des chômeurs

Mis en ligne le 29 mai 2010 Convergences Société

Le 5 janvier 2009, l’ANPE, qui enregistrait les demandeurs d’emploi, et l’Assedic, qui les indemnisait, ont fusionné dans Pôle Emploi (PE). Ou plutôt ont déménagé sous le même toit, car la fusion proprement dite – rendre les agents capables d’exécuter les deux missions simultanément – a été abandonnée. Il est vrai que, avec un à trois jours de formation pour apprendre l’autre métier, ça ne pouvait pas aller bien loin... Au-delà des arguments officiels sur l’amélioration du service public de l’emploi, il s’agissait bien pour l’État de réduire les effectifs. 1 108 postes – PE compte environ 47 500 salariés – et 38 % des agences ont été supprimés en 2009.

Pression accrue sur les salariés...

La fusion a durci les conditions de travail des salariés de PE. Il était prévu que chaque conseiller traite entre 30 et 60 dossiers ; en réalité, la fourchette est de 150 à 200. Le Canard Enchaîné affirmait même en février dernier que le chiffre était monté à 300 dossiers par agent ! Depuis la fusion, les agents n’ont plus de ligne téléphonique personnelle. Impossible donc d’être joints par le chômeur qui a exposé en détail sa situation, avec lequel un vrai suivi s’est ébauché. Le renforcement de la fonction de flicage, au détriment de celle du conseil – qui est pourtant la fonction officielle – passe mal chez les agents. La direction leur recommande ainsi de contrôler les papiers d’identité des chômeurs avec une lampe à UV, au cas où ils seraient faux. Est-ce un hasard si, après Fabienne Brutus en 2006 [1], un autre conseiller vient d’écrire avec la journaliste Aude Rossigneux les Confessions d’une taupe à Pôle Emploi [2] dénonçant ses conditions de travail ? Et, puis après tout, 15 % des conseillers repasseront vraisemblablement de l’autre côté du guichet, puisque leur contrat avec PE est précaire. Certains conseillers ont gardé en mémoire leur passage chez PE en tant qu’usager, telle la « taupe de Pôle Emploi ». Laquelle a écrit son livre sous pseudonyme – paravent utilisé par deux autres agents auteurs du blog la fusion pour les nuls, un hasard également ? – afin d’éviter les sanctions de la hiérarchie. Bonjour l’ambiance...

... et les usagers

La principale motivation de la fusion reste cependant le renforcement des contraintes pesant sur les chômeurs. Celles-ci ont deux objectifs : d’une part, accélérer la machine à radier afin de faire baisser les statistiques officielles du chômage et limiter le nombre des chômeurs indemnisés, d’autre part, accroître la pression sur les demandeurs d’emplois dûment inscrits, afin de les pousser à prendre n’importe quel poste.

Sont inscrits à PE les gens « disponibles immédiatement » pour l’emploi. Ils signent un contrat, appelé Projet Personnalisé d’Accès à l’Emploi (PPAE). Ce n’est pas nouveau, la gauche plurielle avait mis en place ce contrat en 2000, sous le nom de Plan d’Aide au Retour à l’Emploi (PARE). La contractualisation, sous le prétexte hypocrite de coller au plus près du profil du chômeur, sert à l’isoler des autres en individualisant sa démarche et à lui faire accepter un véritable harcèlement. Le PPAE fixe les critères de l’« offre raisonnable d’emploi » : métier(s), zone géographique et niveau de salaire. S’il refuse deux de ces offres « raisonnables », le chômeur encourt une suspension d’indemnités de deux mois, et leur suppression au troisième refus. Au bout de trois mois de recherche, le niveau de salaire « raisonnable » passe à 95 % du salaire antérieur, puis à 85 % au bout de six mois, puis à la hauteur des indemnités de chômage au bout d’un an.

Le chômeur doit de plus fournir des preuves de sa bonne volonté. Chaque mois, il appelle PE pour signifier que sa situation n’a pas changé ; c’est « l’actualisation ». Un oubli, et les indemnités sautent. Chaque mois, il doit envoyer spontanément son CV et une lettre de motivation à un nombre déterminé d’adresses, bien souvent au-dessus de 50. Et gare à celui qui envoie sa candidature à une entreprise qui « n’embauche manifestement pas » dans son métier. Car le refus « d’accomplir des actes positifs et répétés » de recherche d’emploi « réelle et sérieuse », le refus d’un contrat aidé ou d’apprentissage entraîne une réduction de 20 %, puis de 20 à 50 % des indemnités pendant deux à six mois, et la suppression définitive au troisième refus. Entre les convocations chez son conseiller, les formations bidon, les démarches diverses et variées, demandeur d’emploi est devenu, à défaut d’un vrai boulot salarié, une activité à part entière. Une association de chômeurs a même évalué à 417 euros mensuels les frais nécessaires – timbres, enveloppes, transport pour assister aux rendez-vous et entretiens d’embauche, photocopies, forfaits de téléphone portable et internet, etc. – pour l’assumer entièrement !

Le bâton et rien d’autre

En contrepartie du flicage, PE n’offre pas grand-chose. Afin de désengorger les agences, il faut passer par un entretien téléphonique via le 39-49 pour toute prise de rendez-vous – à moins d’être convoqué, mais les délais s’allongent beaucoup en ce moment. La ligne est souvent saturée. Les entretiens sont minutés, obligeant l’agent à raccrocher au bout de six minutes. Et tant pis si les réponses données sont incomplètes, ou erronées. De toute façon, sans confirmation écrite des informations obtenues, il est très difficile de faire valoir que l’on a droit à telle aide – nombreux sont les demandeurs qui apprennent après coup qu’ils avaient droit, par exemple, à une aide pour déménager – ou à l’accès à telle offre d’emploi.

Or, lorsque les offres d’emploi se raréfient, PE s’emploie à faire baisser aussi le nombre de demandeurs d’emploi. Ainsi, en Basse-Normandie, la baisse de 20 % des offres d’emploi en août 2009 par rapport à août 2008 a entraîné... une augmentation de 10 % des radiations sur la même période ! À l’issue de quoi on comptait quand même 81 901 demandeurs pour 1 635 offres, soit un ratio d’une offre pour 50 demandeurs...

Des méthodes généralisées

Pôle Emploi ne gère cependant pas tous les chômeurs, loin de là. Depuis 2004, le département gère le RMI devenu RSA. La Caisse d’Allocations Familiales, organisme versant les allocations, contrôle les bénéficiaires. Par exemple si ces derniers invitent trop souvent un ou une salarié(e) à passer la nuit chez eux, c’est du concubinage masqué, et donc une fraude au RSA. Les conseils généraux déterminent pour leur part la politique d’insertion. Cela a conduit nombre d’entre eux à radier des RMIstes, c’est-à-dire à leur supprimer toute ressource, ou à rivaliser d’idées pour les « remettre au travail ». Ainsi, en 2005, faute de les payer correctement, les viticulteurs du Beaujolais ne trouvaient pas assez de saisonniers pour faire les vendanges. Le conseil général du Rhône a contraint des RMIstes à les remplacer sous peine de radiation. Il faut imaginer des gens de 50 ans sans travail depuis des lustres, sommés d’aller faire un travail physique sur un rythme d’enfer, sous peine de perdre tout revenu...

L’idée se répand qu’il est légitime d’exiger en contrepartie des allocations non seulement la docilité, mais jusqu’à du travail gratuit, un peu sur le modèle des Travaux d’Intérêt Général administrés aux délinquants. On n’est plus très loin des workhouses anglais ou des ateliers nationaux français, ces bagnes du travail du XIXe siècle.

Mathieu PARANT


État des lieux de l’indemnisation

En 2006, seuls 40 % des demandeurs d’emploi (soit 48 % des inscrits ANPE) étaient indemnisés par l’assurance-chômage [3]. Le montant des indemnités n’a pas bougé depuis. Il varie entre 57 % et 75 % du dernier salaire (en intégrant primes et avantages en nature). Le nombre de jours travaillés nécessaires pour s’ouvrir des droits a diminué : il faut désormais 4 mois au lieu de 6. Mais, en contrepartie, la durée de l’indemnisation diminue aussi. En gros, pour un jour travaillé, on s’ouvre le droit à un jour indemnisé. Et la durée maximale reste de 3 ans pour les chômeurs de plus de 50 ans, et 2 ans pour les autres. Sauf les députés, qui touchent leur salaire – 6 952 euros – pendant 5 ans à partir de la fin de mandat, et 20 % de cette somme... à vie. Comme quoi on n’est jamais mieux indemnisé que par soi-même.

M. P.


RSA et CUI, la « rationalisation » des minima sociaux

À côté de l’assurance-chômage gérée par l’Unedic existent différentes allocations formant les minima sociaux, dont le Revenu de solidarité active (RSA). 1 132 000 foyers touchent le RSA-socle, couvrant à la fois l’ancien Revenu minimum d’insertion et l’Allocation parent isolé, financé comme avant par les conseils généraux. La nouveauté, c’est le RSA-« chapeau », versé à 626 000 foyers en complément de leur salaire par la Caisse d’allocations familiales ou la Mutualité sociale agricole pour les agriculteurs. Car la grande misère agricole a rendu éligibles à cette allocation pas moins de 20 000 exploitants et 55 000 salariés agricoles !

Parallèlement, les différents types de contrats aidés ont fusionné au 1er janvier 2010 en un Contrat unique d’insertion (CUI), subdivisé en deux contrats : un pour le secteur marchand, un pour le secteur non marchand. Le premier octroie à l’employeur 47 % du Smic brut. Le second lui octroie 95 % du Smic brut ainsi que diverses exonérations de cotisations et taxes. Le patron est censé en contrepartie former son salarié pour l’aider à trouver du boulot à la fin du CUI, lequel ne peut excéder 24 mois. Il peut l’embaucher en CDI... mais des CDD de 6 à 24 mois sont possibles. On imagine sans peine la préférence du patron...

M. P.


[1Chômage, des secrets bien gardés. La vérité sur l’ANPE, 2006, Livre de Poche.

[2Gaël Guiselin (pseud.) et Aude Rossigneux, Calmann-Lévy, 2010.

[3Profil des demandeurs d’emploi selon leur statut au regard de l’indemnisation, Dares, 19 décembre 2008.

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Numéro 69, mai-juin 2010

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