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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 136, février 2021 > DOSSIER : G5 Sahel, les interminables guerres de la Françafrique

DOSSIER : G5 Sahel, les interminables guerres de la Françafrique

Les travailleurs face à la Françafrique

Mis en ligne le 15 février 2021 Convergences Monde

Au Mali, le renversement d’Ibrahim Boubacar Keita en août dernier par un putsch militaire avait pu être ressenti par la population comme un soulagement, face à un régime corrompu, à une armée française dont la présence au Mali est de plus en plus impopulaire et à des putschistes qui venaient de renverser le président chouchou de la France. C’est pour ces mêmes raisons qu’ici, parmi les travailleurs immigrés maliens, si nombreux notamment dans le secteur du bâtiment, de la restauration ou de la sécurité, les putschistes ont bénéficié au tout début d’une certaine « aura ».

Au Mali, ceux qui ont renversé IBK n’ont pas fait longtemps illusion

Mais il n’a pas fallu longtemps pour que la population laborieuse du Mali déchante. La junte faisait amende honorable à la présence de l’armée française, le 22 septembre, jour anniversaire de l’indépendance du pays il y a soixante ans. Le chef de la junte, le colonel Goïta, appelait la population à soutenir non seulement l’armée malienne mais aussi « nos forces partenaires telles que la force Barkhane, la Minusma, etc. » Trois jours plus tard, à sa cérémonie d’investiture, Bah Ndaw, ancien chef d’état-major de l’armée nommé président, promettait de veiller au respect des accords internationaux pris par son pays : « La transition qui s’ouvre ne remettra en cause aucun engagement international du Mali ni les accords signés par le gouvernement. » Le dirigeant affirme sa volonté de poursuivre une « guerre sans merci » contre les « forces terroristes et (le) crime organisé » !

C’est que les pressions de la France, notamment économiques, ont vite amené la junte à montrer patte blanche. Et la France le lui rend bien, puisque, même si l’armée a destitué celui sur lequel elle misait, le président IBK, le cabinet ministériel français en charge de ces relations a déclaré que le « coup d’État était un moindre mal » et s’est dit prêt à « accompagner la junte vers un retour à l’ordre démocratique ». Il y a encore eu des manifestations contre la présence française ces derniers jours. La dernière, celle du 20 janvier, a été interdite et dispersée à coups de gaz lacrymogène.

Le président de transition s’en prend aux grévistes

Significatif de l’esprit de ce nouveau pouvoir : le 14 décembre dernier, face à des travailleurs en grève, le président de la transition déclarait : « Avec l’état actuel du Mali, comment quelqu’un qui jouit de toutes ses facultés mentales peut parler de grève, a fortiori, partir en grève. »

Les grèves de décembre dernier, dans les services publics et dans les mines d’or, auxquelles le nouveau régime a eu à faire face, sont la marque d’un mécontentement social croissant depuis des années. De telle sorte que si le putsch était une guéguerre pour le pouvoir, c’était aussi une sorte de contrefeu au mécontentement social qui s’était déjà et notamment exprimé par des grèves l’an dernier et par des manifestations au début du printemps. L’opposition officielle, regroupée dans un front baptisé M5 (regroupement de prétendus opposants à IBK, tous plus ou moins membres des différents gouvernements des dernières décennies), a pour chef de file le très réactionnaire Imam Dicko (qui avait tenté de canaliser le mécontentement).

Si le Mali est riche (troisième producteur d’or du continent), ses travailleurs et paysans sont pauvres et leur colère s’exprime [1]. Un tiers de la population ne mange pas à sa faim, moins d’une personne sur deux a accès à l’eau potable, une personne sur cinq est alphabétisée, un nouveau-né sur dix meurt avant l’âge d’un an et l’espérance de vie est de 52 ans. C’est un pays aux ressources multiples : la culture et l’industrie du coton, le marbre, le granit et la dolérite qui sont exploités par deux entreprises européennes et quelques artisans maliens, et bien d’autres minéraux exploités pour des salaires de misère et dans des conditions de travail déplorables.

Des grèves ont éclaté dans les secteurs publics dès janvier 2020 avec une mobilisation importante des enseignants, mais aussi des agents des impôts. Les revendications concernaient le respect de l’engagement pris par le gouvernement d’augmenter les salaires, mais aussi le paiement de primes et leur homogénéisation. Un mouvement qui ne s’est pas cantonné au secteur public. En novembre et décembre derniers, la centrale syndicale UNTM (Union nationale des travailleurs maliens) a appelé à la grève partout. Après quelques jours de bras de fer, certes, elle n’a pas appelé à des suites. C’est une bureaucratie syndicale…

Mali : l’or et la misère

Dans les mines d’or, le mécontentement n’est pas nouveau non plus puisque déjà en 2018 des grèves ont paralysé deux grandes mines de l’entreprise canadienne Randgold (aujourd’hui Barrick Gold). En novembre et décembre derniers, des salariés se sont joints à la grève de soixante-douze heures appelée en novembre puis sur cinq jours en décembre (à la mine Syama, au sud du pays, 95 % des employés étaient en grève), ils réclament la régularisation des collègues affectés par le Covid. L’extraction de l’or est une activité rentable pour les gros investisseurs étrangers, dont bénéficie dans une moindre mesure l’État malien lui-même.

La plupart des mines sont exploitées par des sociétés sud-africaines, australiennes ou canadiennes qui profitent de ces coûts de production parmi les plus bas d’Afrique et qui bénéficient d’une législation particulièrement favorable : défiscalisation, droit du travail peu contraignant, aucune obligation d’investir.

Les autorités locales tirent elles aussi bénéfice de l’exploitation de l’or. Le Mali compte une quinzaine de mines actives avec plus de 12 000 salariés, dont les conditions de travail sont régulièrement dénoncées par les travailleurs et la population locale : mort ou invalidité provoquées par la respiration de produits toxiques (mercure et cyanure), risques d’éboulement (plusieurs dizaines de morts chaque année), danger de conduite d’engins vétustes. À côté de ces mines industrielles, il existe un orpaillage artisanal (dont les grandes entreprises rachètent souvent la production à bas prix). Il emploierait plus de 200 000 personnes, dont 20 000 à 40 000 enfants [2] qui sont quotidiennement en contact avec le mercure nécessaire à l’extraction, qui creusent des puits, travaillent sous terre, portent des charges lourdes. Ces activités se sont accrues depuis les années 2000, donnant lieu à des regroupements de population dans de nouveaux bidonvilles.

De plus, les travailleurs font face aux menaces des djihadistes dans la région. Ces derniers essaient de recruter les jeunes en leur proposant stabilité et possibilité de se tailler une place sur le marché de l’or. Ils sont présents sur des zones d’orpaillage pour en récupérer les fruits et financer ainsi leurs troupes ; en taxant d’un impôt religieux les populations locales ou en faisant directement la loi dans ces zones d’orpaillage artisanal : distance entre chaque travailleur, ni tabac ni discussions, encore moins avec les femmes. D’où vient le djihadisme, si ce n’est en partie de l’exploitation ? Ils ne sont pas les seuls à profiter de l’orpaillage : les différentes forces de la région sont présentes dans les mines : CMA (coordination de rebelles pro indépendance de la région touarègue) comme les troupes progouvernementales.

Tchad, Mali, Côte d’Ivoire, la classe ouvrière se manifeste

L’actualité est marquée aujourd’hui par le Mali. Mais les contestations sont plus générales. Au Tchad, pays qui a énormément changé depuis la découverte des gisements de pétrole : quartiers tout neufs pour les riches dans la capitale et pauvreté de l’autre côté de la rue. Là aussi, il y a eu des grèves l’an dernier, notamment dans les services publics, en particulier pour les salaires que l’État ne payait plus. Et de nouvelles grèves ces dernières semaines.

En Côte d’Ivoire aussi, en 2020, de nombreuses manifestations et grèves ont eu lieu dans l’enseignement public, mais aussi dans de nombreuses entreprises privées. Plus récemment, des travailleurs d’une entreprise chinoise fabriquant du contreplaqué ont fait grève dans la zone industrielle de PK 27, pour défendre leurs intérêts. Dans cette entreprise, les conditions de travail sont particulièrement dures. Les travailleurs sont en contact avec des fours et autres machines dangereuses, sans protections. Même pas une boite à pharmacie. Une infirmerie, n’en parlons pas. Ils travaillent de 7 heures à 19 heures, soit douze heures par jour pour un salaire journalier d’à peine 2500 francs (soit 3,8 €), le salaire minimum légal du pays. Parmi les travailleurs, nombreux sont ceux qui ont plus de deux ans d’ancienneté mais qui pourtant restent condamnés à la condition de journaliers. La direction a fait intervenir les forces de l’ordre contre eux et en a licencié une trentaine. Ça n’a pas suffi à entamer leur détermination. Ils ont continué leur grève, ont fait venir une télévision de proximité pour crier haut et fort leur ras-le-bol.

Ce sont quelques exemples relevés dans la presse ou dans le bulletin qu’édite le groupe de militants africains de l’UATCI liés à Lutte ouvrière en Côte d’Ivoire [3].

La classe ouvrière africaine est une force en développement, que les États dévoués aux intérêts impérialistes et les multinationales qu’ils servent auront de plus en plus à affronter.


[1Voir notamment le rapport de la ligue des droits de l’homme sur la situation dans ces mines : https://www.fidh.org/IMG/pdf/Mali_m....

[2oir aussi : Les mines artisanales d’or recourent au travail des enfants, de Human Rights Watch : https://www.hrw.org/fr/news/2011/12...

Et l’article de Mediapart : « Au Mali, ces mines d’or qui rendent fou » : https://www.mediapart.fr/journal/in...

[3On peut lire son journal sur le site : http://www.uatci.org/ , PAT n° 170 pour cette grève dans la zone PK 27.

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