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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 130, janvier-février 2020 > La grève de 2019-2020

La grève de 2019-2020

Éducation nationale

Les profs en lien avec les grévistes de la SNCF et de la RATP

Mis en ligne le 21 janvier 2020 Convergences Politique

La lutte contre la réforme des retraites a évidemment été marquée par l’intervention massive des secteurs des transports (SNCF à l’échelle nationale, RATP en Île-de-France), mais l’Éducation nationale est rapidement apparue comme le troisième secteur le plus mobilisé. Bien que jusqu’ici leur grève n’ait pas été autant médiatisée, les enseignants ont pourtant joué un rôle non négligeable par le lien qu’ils ont pu établir avec les autres secteurs et les actions qu’ils ont pu entreprendre… et ils ne sont pas près de s’arrêter.

Décembre : un investissement massif dans le mouvement

Le 5 décembre, la participation à la journée interprofessionnelle du secteur de l’éducation a atteint des taux rarement vu auparavant avec près de 75 % de grévistes d’après les organisations syndicales, un chiffre qui reflète davantage la réalité que les 50 % annoncés par le gouvernement, au regard des nombreuses écoles fermées par l’absence de professeurs et des agents d’entretien et de cantine et des cours annulés en collège ou en lycée.

Si dès le lendemain les chiffres de grévistes ont baissé, il s’agit pourtant bien d’un affrontement sur le long terme que les salariés de l’Éducation nationale ont entrepris de construire. Preuve en est, leur apparition massive lors de toutes les journées de grève et de manifestations interprofessionnelles à travers la constitution de cortèges bien visibles et très enthousiastes dans lesquels on ne comptait plus les banderoles d’établissements (notamment les 5, 10, 12 et 17 décembre). Mais surtout, dans nombre d’établissements, des équipes militantes se sont constituées, prêtes à chercher à entraîner leurs collègues et même à se déporter sur des dépôts de bus RATP ou des assemblées générales cheminotes dans les gares afin de généraliser la grève et de rompre les barrières corporatistes, bien conscients de la nécessité de lutter tous ensemble. Et si les enseignants ne sont pas rentrés massivement en grève reconductible, des minorités non négligeables l’ont fait, dans bien des établissements du primaire jusqu’au lycée. Ils ont su profiter de toutes les journées de grève pour aller soutenir les agents RATP, établissant eux-mêmes des cordons pour empêcher les bus de sortir des dépôts afin que les grévistes, surveillés par les huissiers et menacés de sanctions, puissent s’adresser à leurs collègues non-grévistes pour les convaincre de rentrer dans le mouvement.

Pas de vacances scolaires pour la mobilisation

Comme on pouvait s’y attendre, les vacances scolaires de décembre ont marqué une pause dans la grève enseignante. Mais elles n’ont pas pour autant entériné une trêve pour tous, surtout en région parisienne. Ici ou là, des profs ont fait vivre les assemblées générales interprofessionnelles qui ont maintenu un climat combatif, en organisant aux côtés des cheminots et de la RATP des actions pour étendre la grève : présence visible d’un cortège éducation dans la manifestation parisienne du 28 décembre, rencontre avec les salariés de l’hôpital de Jossigny en Seine-et-Marne, participations aux banquets de « gréveillon »…

Soucieux de rompre le front constitué par les salariés des transports et les enseignants, le gouvernement et le ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer ont bien tenté de désamorcer la colère enseignante pendant les vacances par de vagues promesses de revalorisation salariale dont personne n’a été dupe. Et pour cause, il ne s’agissait en rien d’augmenter les salaires, ni même de lever le gel du point d’indice qui écrase les salaires des enseignants depuis plus d’une décennie (ce qui aurait été le minimum). Cet indice, nous annonce la presse, restera bel et bien gelé au moins jusqu’à 2022… Tout au plus Blanquer a-t-il annoncé un chèque de 50 millions d’euros en 2021, ce qui revient à 40 € par enseignant et par mois, un montant ridicule, à comparer aux 500 à 800 euros de pertes sur les pensions enseignantes que provoquera inéluctablement la réforme des retraites.

En réalité, pour « garantir » une pension minable de 1 000 euros par mois, le gouvernement proposait seulement de concéder quelques primes, mais en échange de la restructuration de l’école publique que l’écrasante majorité des enseignants combat (comme ils l’ont montré par toutes leurs luttes durant les dernières années). Dès le début de la mobilisation, le cumul des postes de Delevoye et ses 140 000 € remboursés en une journée ont suscité des commentaires. Pas besoin d’être prof de maths pour calculer : « 140 000 €, ça fait 500 euros par mois pendant 22 ans… il rembourse en une journée exactement tout ce que je vais perdre avec la réforme des retraites ! »

« Pas de retrait, pas de rentrée »

C’est pourquoi, les profs sont retournés dans la bataille dès le 6 janvier pour les minorités en grève reconductible et plus massivement à partir du 9 janvier. Cette fois encore ils sont apparus dans bien des villes comme les plus gros cortèges de secteur dans les manifestations interprofessionnelles.

Certes en ce début d’année 2020 la mobilisation a baissé dans certaines écoles et collèges très actifs depuis le 5 décembre et pour beaucoup en grève reconduite tous les jours. Toutefois au même moment, des lycées sont apparus dans la lutte comme on a pu le voir à travers l’entrée en grève reconductible de professeurs du prestigieux lycée Louis-le-Grand à Paris à partir du 13 janvier, traditionnellement pourtant peu mobilisé, ou encore Henri IV non moins prestigieux.

Ce passage de relais coïncide aussi avec un autre sujet de colère : la mise en œuvre des premières épreuves de contrôle continu du nouveau bac Macron-Blanquer (ledit « E3C » – voir notre article). Ce nouveau bac était déjà décrié en 2019, il apparaît pour les enseignants des lycées comme le symbole des restructurations et du malaise subits dans toute la profession.

Les raisons de la colère sont toutes liées

Ce nouveau tournant que prend la mobilisation chez les enseignants, à propos de la réforme du bac, ne marque pas pour autant un recentrage corporatiste qui les ferait oublier les enjeux et leurs camarades de lutte du mouvement sur les retraites. Bien au contraire. Cette réforme du bac a surtout cristallisé les nombreuses colères accumulées par des années de blocage des salaires, de diminution des postes d’encadrement (augmentation des effectifs par classe, baisse du nombre de surveillants et d’agents d’entretien), diminution des moyens matériels (dans un collège de Pantin, c’est la fin d’un projet permettant de préparer des petits-déjeuners aux élèves les plus nécessiteux qui a révolté les équipes en ce début d’année). Tout cela sans parler des suppressions de poste d’enseignants qui continuent (440 postes supprimés rien que dans les lycées à la rentrée 2020 pour 22 500 élèves supplémentaires, il en faudrait 1 100 de plus d’après les syndicats)…

Le lien entre la bataille sur les retraites et les conditions de travail des secteurs en lutte est évident pour tous les grévistes, comme l’a montré les premiers rassemblements pour s’opposer à la mise en œuvre des examens. Le 13 janvier à Nîmes, ce sont non seulement des enseignants et des lycéens mais également des cheminots, des agents Enedis et des Gilets jaunes qui se sont rejoints pour tenir le piquet, imposant ainsi le report des épreuves. C’est bien de ce lien dont le gouvernement a peur car dès le lendemain les épreuves ont été repoussées dans certains établissements dès lors qu’il y avait la moindre menace de rassemblement, comme au lycée Honoré de Balzac à Mitry-Mory en Seine-et-Marne (77).

La lutte s’organise, le secteur se structure

Aujourd’hui, Blanquer a beau annoncer qu’il s’agit uniquement d’une « minorité radicale », ce sont pourtant entre 200 et 250 lycées qui risquent d’être perturbés d’après un membre d’un syndicat de chef d’établissement. Et dans certaines académies ce sont près de la moitié des établissements qui se sont prononcés contre la tenue de ces examens.

Les formes que prend la résistance contre le bac Blanquer sont multiples, allant du refus du choix des sujets au refus de notation en passant par le boycott des surveillances. Mais c’est bien la grève qui sera nécessaire pour que les équipes ne restent pas isolées face à leur direction et pour peser sur leurs administrations.

C’est d’ailleurs une bonne occasion pour réunir à nouveau les secteurs mobilisés. Comme le disait en substance un gréviste de la RATP dans la région parisienne : « Les profs sont venus tenir les piquets devant les bus, subissant les gaz lacrymogènes, nous aussi on peut aller les voir dans les établissements ». Partout cette grève s’organise : à partir de tournées dans les établissements, ou à l’aide des différents contacts établis depuis des années, de multiples coordinations fleurissent, rassemblant les lycées, les collèges et même – chose plus rare – les écoles d’un secteur géographique pour décider des dates et des lieux des futurs rassemblements, discutant d’y inviter des cheminots, des agents RATP, des parents… Si elles existaient avant les vacances à l’échelle de quelques villes, on voit qu’elles quadrillent aujourd’hui des départements entiers (à Marseille, dans la banlieue lyonnaise ou en Seine-Saint-Denis), y compris dans des zones rurales. Ces coordinations cherchent elles-mêmes à se coordonner à travers des assemblées générales départementales – comme cela a été le cas le 9 janvier à Rennes où des représentants de 15 des 18 lycées du département se sont rencontrés – voire régionales. Le risque est cependant d’abandonner le terrain de son propre établissement pour se réfugier dans ces coordinations qui regroupent les collègues ayant des perspectives communes. Bien évidemment, se coordonner est une nécessité pour rassembler les forces militantes et les faire agir dans une même direction, mais cela doit se faire au service de l’approfondissement du mouvement et de son extension y compris auprès des collègues les moins convaincus par la lutte et, espérons-le, auprès de la jeunesse lycéenne.

Cela dit, ces coordinations enseignantes, en agrégeant les autres secteurs mobilisés, seront peut-être le meilleur moyen de faire perdurer la mobilisation sur les retraites en encourageant ceux qui ne se battent pas encore d’entrer dans la danse.

À l’heure où nous écrivons, la mobilisation enseignante se propage. Le ministère annonce que sur 400 lycées concernés, une quarantaine ont été perturbés et 10 ont reporté partiellement ou totalement les épreuves. Ces chiffres sont sûrement en dessous de la réalité, car d’ores et déjà, une coordination nationale enseignante recense des dizaines d’établissements perturbés par des rassemblements, piquets et blocages comme à Montauban, Agen ou à la Ferté-sous-Jouarre. Partout où la mobilisation a lieu, les lycéens y participent. La mobilisation enseignante se montre à l’évidence en accord et en lien avec celle des cheminots dans toute la France. De quoi donner un second souffle au mouvement contre les retraites et peut-être, qui sait, contre Macron et son monde.

20 janvier 2020

Adrian Lansalot et Léo Baserli

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