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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 130, janvier-février 2020 > La grève de 2019-2020

Réforme du bac

Ces « E3C » de la colère enseignante : décryptage

21 janvier 2020 Convergences Politique

La réforme Blanquer, puisque chacun doit laisser son nom dans une réforme, n’est ni plus ni moins qu’une remise en cause du sacro-saint baccalauréat actuel. L’objectif bien affiché est « l’individualisation », la « particularisation ». Le bac sera local, en opposition au bac national, taillé sur mesure, en fonction des établissements et du niveau des élèves.

C’est quoi le menu s’il vous plait ?

Les épreuves en classe de Première dites Épreuves Communes de Contrôle continu (E3C) comptent pour 30 %, la moyenne des notes des bulletins trimestriels de Première et de Terminale compte pour 10 % et l’épreuve de fin d’année Terminale (l’équivalent du bac actuel) compte pour 60 % de la note globale.

À la fin de la classe de Seconde, les élèves doivent choisir trois matières principales dénommées matières de « spécialité » (une triplette). À l’issue de la classe de Première, une matière parmi ces trois est abandonnée. Les deux restantes s’ajouteront aux autres matières du tronc commun en Terminale. Toujours dans un souci de liberté, selon Blanquer, il ne sert à rien d’imposer aux élèves trop de matières chronophages en Terminale. Alors le choix cornélien est donc la liberté, toujours la liberté, laissée aux élèves et à leurs familles de choisir et d’abandonner par exemple une matière entre mathématiques et physique-chimie ou sciences de la vie et de la terre.

Selon le ministre, il faut laisser le choix aux élèves. Ce qui donne parfois des choix incongrus comparés aux anciennes filières (S, ES, L) plus homogènes. Par exemple, mathématiques histoire-géographie et langues. De plus, tous les établissements ne proposent pas les mêmes menus et les combinaisons sont pléthoriques. Il est à noter que certains établissements ne proposent pas certaines combinaisons.

Pédagogie de la concurrence

Les matières sont mises à la rude épreuve de la concurrence… entre enseignants. Les professeurs doivent jouer des coudes pour être sûrs d’être attractifs, avoir des élèves d’une année sur l’autre et ainsi faire un service complet dans le même établissement. Sinon ils seront obligés d’effectuer un complément de service ailleurs voire de changer d’établissement !

Pour être sûr de bien remplir sa classe et d’avoir des élèves en Première ou en Terminale, il faut être gentil avec les élèves de Seconde, mettre par exemple de bonnes notes et de bonnes appréciations. Les professeurs doivent vanter les mérites de leur spécialité auprès des classes de Seconde, car ce sont les élèves qui ont le choix du menu. Cette nouvelle pédagogie… concurrentielle est encouragée par les directions des établissements. Les professeurs attractifs qui remplissent les classes seront les meilleurs, une manière indirecte de les évaluer.

Une organisation rocambolesque

L’organisation et la mise en place de cette réforme sont aussi une véritable machine à gaz. Chaque chef d’établissement doit définir les dates des épreuves des E3C. La première salve d’épreuves devrait avoir lieu entre la fin janvier et mi-mars. Quant à la deuxième série d’épreuves elle se tiendrait entre mi-avril et mi-juin. Chaque professeur doit tirer un sujet dans une banque de données nationale. De plus, l’ouverture tardive de la banque nationale des sujets produit un stress supplémentaire chez les professeurs. Sachant que les progressions pédagogiques – c’est-à-dire l’enchaînement des thèmes enseignés par chaque professeur – peuvent ne pas être les mêmes. Deux professeurs d’un même établissement peuvent avoir à choisir des épreuves différentes correspondant à leurs progressions et aux acquis de leurs élèves. Ceci remet en cause le principe d’égalité entre les élèves devant un examen normalement à caractère national !

Comme les épreuves sont censées être celles du bac, les élèves doivent être dans les mêmes conditions. Or, y aura-t-il un élève par table ? Ces tables seront-elles espacées et avec deux surveillants par salle ? Ce ne sera pas le cas lors de ces examens.

La correction des épreuves est dématérialisée. Les professeurs doivent scanner les copies et les corriger sur ordinateur : au lycée ? Chez eux ? Ont-ils tous des connexions internet ? De quel débit ? Ont-ils des ordinateurs adéquats ? Qui fournit le matériel ? Autant de questions auxquelles les professeurs n’ont pas de réponses.

Le plus ubuesque dans cette affaire est que les chefs d’établissements, mis devant le fait accompli, ne savent plus à quel saint se vouer ! C’est le cas de cette proviseure de lycée de l’académie d’Orléans-Tours qui, devant le refus des enseignants de choisir et de transmettre les sujets, écrit aux élèves dans un courriel « Pour faciliter vos révisions, l’inspectrice d’histoire-géographie me demande de vous préciser que l’épreuve d’E3C du lundi 20 portera sur le chapitre 1, thème 1 d’histoire et sur le thème 1 de géographie ». On devine à travers ce conseil avisé, que face au refus des professeurs de choisir les sujets c’est l’inspectrice qui décide. Bonjour le bac à caractère national.

Des questions et pas de réponses

L’organisation de ces épreuves alourdit le travail des professeurs, déjà bien chargé depuis septembre, avec la mise en place des nouveaux programmes pour les Secondes et les Premières. Ceux de la classe de Première doivent faire les frais de cette précipitation et de cette impréparation. Quelle matière sacrifier en fin d’année scolaire ? Quelle est la pertinence de choisir telle ou telle matière dans la perspective de futures études ? Qu’attendent les classes préparatoires et les universités ? Sur quel critère va s’opérer la sélection post-bac ? Là encore, pas de réponses.

Du travail supplémentaire non rémunéré

En novembre dernier, après une réunion de présentation de la réforme aux enseignants, un inspecteur envoie le message suivant « Contrairement à ce que je pensais et à ce que nos échanges d’hier ont laissé entendre, la correction des épreuves E3C ne sera pas rémunérée à la copie car il ne s’agit pas d’une épreuve terminale ». Du coup, la correction est considérée comme faisant partie du salaire normal. Ce à quoi un professeur a répondu :

« Je m’en doutais, cela me paraissait étonnant que notre travail soit rémunéré (!). Comme vous l’avez précisé hier, la réforme diminue le travail au niveau du rectorat mais augmente le nôtre... Comme d’habitude ! ». Mais face à la grogne, le bruit court que la correction serait rémunérée 1,42 € la copie, alors qu’au baccalauréat national chaque copie est indemnisée 5 €. De qui se moque-t-on ?

Une contestation grandissante

Les assemblées générales organisées dans différents établissements ont discuté de chaque point soulevé par la réforme. Leur conclusion est claire. Il faut une réaction collective pour faire face à ce qui apparaît aux yeux de tous comme une attaque qui remet en cause le fondement du baccalauréat national et de la profession (du moins l’idée que s’en font la plupart des enseignants).

Rapidement, dans les AG, les professeurs ont compris qu’il faut raccrocher le wagon de la contestation à la locomotive des cheminots et de la RATP. Dans une lettre adressée aux parents, les professeurs du lycée parisien élitiste Louis le Grand, entrés dans un mouvement de grève reconductible, écrivent : « Nous demandons l’abandon du projet de réforme des retraites et la suppression de la première session des épreuves communes de contrôle continu (les E3C) ». La réponse de l’association de parents exprime sa sympathie aux grévistes : « Je vous assure, en mon nom et au nom du conseil local de la FCPE LLG (Fédération des Conseils des Parents d’Elèves Lycée Louis Le Grand), de notre soutien et du fait que nous comprenons parfaitement les raisons de votre engagement et de ce mouvement. Nous savons aussi qu’il n’est pas facile de prendre ce genre de décision, a fortiori dans notre lycée... Si vous en êtes d’accord, nous nous proposons de relayer votre mail auprès des parents. »

Les problèmes soulevés par la réforme du bac cristallisés à travers les E3C tombent à point nommé avec la reforme des retraites. Conséquence, le nombre de bahuts mobilisés ne cesse de s’allonger.

Noudbal Ibral

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