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Le Jeu de la Dame (Queen’s Gambit)

Netflix – 1 saison – 7 épisodes d’une durée comprise entre 46 et 68 minutes

Mis en ligne le 15 décembre 2020 Culture

Mini-série de Netflix, inspirée du roman éponyme de Walter Tevis publié en 1983, et réalisée par Scott Frank et Allan Scott. Sortie le 23 octobre 2020.

Mini-série vedette de Netflix en France, Le Jeu de la Dame a fait exploser les ventes d’échiquiers, tant aux États-Unis qu’en France ! Car c’est bien d’échecs qu’il s’agit, ce que la traduction française de la série ne laisse pas vraiment à entendre – queen’s gambit, en français le gambit dame, est une ouverture du jeu d’échecs.

La série suit les aventures d’une jeune prodige américaine des échecs, Beth Harmon, orpheline au parcours chaotique, recueillie et ayant grandi dans un orphelinat catholique pour filles où une certaine bienveillance pour les enfants n’empêche pas qu’on les y drogue en leur administrant des sédatifs pour obtenir une discipline rigoureuse et des enfants sages à faire peur... Beth en héritera une dépendance aux drogues et à l’alcool qui lui jouera plus d’un mauvais tour.

C’est pourtant dans cet environnement que la jeune Beth est initiée aux échecs par le gardien de l’orphelinat, Monsieur Shaibel, jeu grâce auquel, petites pilules vertes aidant, elle s’évade mentalement de cet univers étriqué où la seule issue est l’adoption... Après avoir quitté l’orphelinat des années après y être entrée, la jeune Beth prendra son envol dans cet univers quasi-exclusivement masculin des échecs et ira défier les plus grands d’un jeu alors dominé par les grands maîtres soviétiques.

Les experts du jeu d’échec ont validé quasiment toutes les parties apparaissant à l’écran – il faut dire que les producteurs de la mini-série ont pu compter sur l’expertise de Garry Kasparov, ancien champion du monde ayant régné sur les échiquiers de 1985 à 2000 et dont on dit qu’il a été un des plus grands joueurs de l’histoire. Apparemment, tout est juste, jusqu’aux mimiques des joueurs pendant les parties et à leur façon de déplacer les pièces.

Mais pas besoin d’être joueur d’échecs, ni même de savoir y jouer, pour apprécier une série dans laquelle tout sonne juste. À commencer par le contexte des années 1960 toujours marqué par la guerre froide. Détrôner les grands maîtres soviétiques est un objectif que s’assignent des sectes chrétiennes dans leur combat contre les marxistes athées et elles financent généreusement les grands joueurs américains susceptibles d’y parvenir... À l’inverse, vu par les Soviétiques, « Ce jeu, qui mobilise des qualités de stratégie, d’analyse et de maîtrise de soi, était une façon de prouver leur supériorité intellectuelle. La puissance de l’esprit face à la puissance financière des Américains » [1], affirme l’historienne Émilia Robin Hivert, co-autrice d’un livre L’URSS et l’Europe de 1941 à 1957.

Au passage, on mesure ce que la vie des jeunes issus des middle class peut avoir d’étriqué dans une petite ville du Kentucky où l’horizon est à peine plus large qu’à l’orphelinat et où filles et garçons ne rêvent que de fonder un foyer et de reproduire la vie de leurs parents.

Pour en revenir au monde des échecs, les personnages qu’on y rencontre sont plus ou moins marginaux, tous attachants avec leur aptitude à se concentrer instantanément et leurs capacités cérébrales hors du commun... Et un côté déjanté qui les met aussi... hors du commun. Les réactions de ce monde d’hommes à l’ascension fulgurante d’une gamine sont apparemment un peu édulcorées. Un seul des adversaires de Beth Harmon, battu par elle – elle gagne quasiment toujours ! –, se lève en refusant de lui serrer la main – c’était bien plus fréquent, surtout dans les années soixante, si l’on en croit les témoignages de grandes joueuses d’échecs ! La série nous entraîne des États-Unis à Mexico, Paris et Moscou, et l’on retiendra les émouvantes scènes de ferveur pour les échecs en URSS, tant à l’extérieur des bâtiments où se déroulent les tournois que dans les parcs où, malgré le froid, des joueurs de tout âge s’affrontent avec passion. Le joueur et commentateur d’échecs Yannick Gozzoli a pu dire : « Demander si les échecs étaient populaires en URSS, c’est comme demander si le foot est populaire au Brésil » ! [2]

Le personnage, fictif, de Beth Harmon est captivant. Il semble être une synthèse de plusieurs grands maîtres, dont celui qui a fait tomber la domination soviétique sur le jeu en battant en 1972 Boris Spassky, l’Américain Bobby Fischer ! Mais c’est sans doute Judit Polgár, une grand-maître hongroise parvenue dans le « top 10 » de ce monde masculin – elle a battu Kasparov dans une partie forcément entrée dans l’histoire –, qui semble avoir servi de modèle au personnage de Beth Harmon, au moins sur le plan des échecs.

Le jeu des acteurs est superbe – la jeune Anya Taylor-Joy, qui incarne Beth Harmon, crève l’écran et a, à juste titre, été encensée par la critique. Prévoyez de regarder le premier épisode un jour où vous êtes assez libre le lendemain...

Jean-Jacques Franquier


[1Cette citation, comme un certain nombre d’informations reprises ici, est extraite d’un article très documenté de Faustine Mazereeuw paru sur le site de France-Infos, « Parties d’échecs, prouesses, contexte historique... La série phénomène « Le Jeu de la Dame » est-elle réaliste ? »

[2Ibid.

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