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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 72, novembre-décembre 2010 > L’automne chaud de 2010

L’automne chaud de 2010

La grève à la SNCF : un tour de chauffe encourageant

Mis en ligne le 5 décembre 2010 Convergences Entreprises

La SNCF, avec les raffineries, les collectivités territoriales, les ports et les docks, est l’un des quelques secteurs à avoir connu trois semaines de grève au cœur du mouvement contre la réforme des retraites. Une grève que peu de militants auraient prévue quelques mois plus tôt, malgré la réputation combative des cheminots, les journées d’action du printemps 2010 ayant été des semi-échecs.

Mais, dès la fin août, on a senti comme partout que le 7 septembre serait une réussite. Pari gagné avec un peu plus de 50 % de grévistes et une forte participation aux manifestations. Lors de la journée suivante du 23 septembre, Sud-Rail appelait à reconduire. Rien d’inhabituel, ce syndicat utilisant souvent les journées dites « carrées » de la CGT pour cette petite surenchère. Mais cette fois, si Sud n’avait pas davantage les moyens de traduire sa volonté en acte, sa prise de position a correspondu à l’envie de bien des militants : le lendemain, certains secteurs roulants comptaient plus de 40 % de grévistes, au-delà des seuls adhérents Sud.

Réchauffement climatique

Les retraites, c’était le sale coup de trop, exaspérant le mécontentement croissant des cheminots du fait des suppressions de postes, restructurations incessantes, pressions de la hiérarchie rendant le travail de plus en plus dur chaque année. Bien des militants de la CGT, même investis de responsabilités dans l’appareil, voulaient donner un débouché à cette colère dans la lutte. Et en voulaient à leur fédération pour son positionnement dit « réformiste », fait de petits renoncements et quelques grandes trahisons, comme en 2003 et en 2007. Le rejet unanime de la réforme et la volonté d’en découdre, dans un milieu large, ont conforté les militants les plus combatifs. La direction du syndicat a manifestement décidé de leur lâcher du lest, pour ne pas se discréditer alors que les élections professionnelles approchaient. Le 5 octobre, Didier Le Reste, secrétaire de la CGT cheminots, appelait à reconduire après le 12 octobre et, le lendemain, toutes les fédérations cheminotes s’alignaient.

Immédiatement, les tournées syndicales ont montré un réchauffement du climat. Aucun doute, il fallait une grève illimitée pour combattre cette réforme... Et tout le reste ! L’appel franc de la fédération CGT contribua à convaincre bien des hésitants. Mais pas tous. Restait la peur d’être isolé. Symptomatique lors des premiers jours de grève, les cheminots qui auraient pu tirer fierté d’être au premier rang prévenaient : « Nous ne voulons pas être la locomotive ». Ce qui exprimait sans doute le juste constat qu’il fallait que le mouvement dépasse la SNCF, mais aussi un renoncement à se porter de manière volontariste vers d’autres, pour les convaincre de se mettre en grève.

Le 12 octobre, les taux de grévistes furent très bons, comparables au 7 septembre. Dans certaines catégories de roulants, on avoisinait les 100 %, généralement 60 %. Les sédentaires étaient un peu en dessous, surtout dans les petites gares ou certains ateliers, ce qui est traditionnel. Mais, dans les gares parisiennes, ils représentaient une partie importante des assemblées générales (AG). Pendant les 18 jours de grève, les taux de grévistes ne sont pas descendus sous les 20 %, avec une moyenne de 30 % et des pics lors des journées d’action des 19 et 28 octobre. C’étaient les chiffres de 1995.

Pourquoi les trains ont roulé, malgré autant de grévistes qu’en 1995

Pourtant, plus de la moitié des trains ont roulé. En 1995, c’était une décision de la direction d’arrêter les circulations. Une erreur qu’elle ne renouvela pas, bien au contraire. Cette fois, la recette pour maintenir une partie du trafic était rodée : service minimum [1], armée de cadres pour remplacer les grévistes, consignes de sécurité exceptionnellement « allégées » et mise en attente de l’essentiel du transit fret [2]. Ce qui a pesé sur le moral tout au long du mouvement. Les actions qui consistaient à arrêter momentanément les circulations, comme le blocage des voies, ou l’envahissement des postes d’aiguillage ont été très populaires dans les AG. Des initiatives qui ont été utiles pour souder les grévistes… tant qu’elles ne s’opposaient pas à l’extension de la grève – vraie et seule façon de paralyser l’économie.

L’attitude des syndicats

L’intervention des militants CGT allait globalement dans le sens du développement du mouvement. La fédération a lâché la bride, ses communiqués quotidiens appelaient à étendre la grève à la SNCF et à participer à des actions « interpro ». Bien entendu, aucune consigne plus précise n’était donnée, d’où un vaste éventail de situations locales, et toutes les nuances permettant d’apparaître combatif en préservant son pré carré d’appareil.

Vu l’attitude globale de la CGT, Sud-Rail ne s’est pas différencié. Impossible de rivaliser sur les terrains habituels (propositions d’actions dites coup de poing et grève reconductible) puisque c’était le programme de la CGT. Résultat – mais là aussi une infinité de situations locales –, les militants des deux syndicats ont travaillé ensemble dans la grève (avec d’autres de FO voire de l’UNSA), ce qui a considérablement renforcé leur crédit.

Une minorité active participe aux AG

La relative combativité syndicale n’a pas poussé à l’organisation de comités de grève. Deux « bureaux d’organisation », à Saint-Lazare et Gare du Nord dans la région parisienne [3], ont été mis en place par les AG mais n’ont pas eu d’influence conséquente sur le cours du mouvement dans aucune de ces gares, si ce n’est un rôle d’organisation d’actions. Les difficultés sont venues aussi de la faiblesse de la participation aux AG, moins fréquentées que dans d’autres mouvements et parfois moins vivantes : les militants syndicaux y intervenaient quasi exclusivement… Bien que, à la différence de 2007 [4], ils y aient exprimé ce que les grévistes avaient envie d’entendre : tenir et étendre.

Cela n’a pas empêché une participation active de la minorité de grévistes qui assistait aux AG. Les actions vers l’extérieur ont été nombreuses et ont répondu à une volonté profonde de « faire de l’interpro » : façon d’affirmer, au-delà des manifestations nationales, l’appartenance à un mouvement de tous les travailleurs. Cette conscience-là a marqué.

Mais il n’y a eu que très peu de tentatives pour convaincre des secteurs en berne de rejoindre la grève. En région parisienne par exemple, très peu d’initiatives pour se tourner vers la RATP – un secteur où les faibles taux de grévistes ont pesé lourd sur le moral des cheminots.

Dans les secteurs de cheminots en grève, et qui attendaient que d’autres les rejoignent, les décisions de l’intersyndicale du 21 octobre ont été ressenties très diversement, parfois franchement comme un lâchage, sinon comme un tournant. Car, malgré le succès de la journée du 19 octobre, les confédérations n’ont annoncé deux nouvelles journées qu’à des dates éloignées, ou du moins fortement ressenties pour telles par les cheminots (le 28 octobre et surtout le 6 novembre), ce qui ne donnait pas le soutien attendu à ceux qui étaient déjà depuis douze jours en grèves reconductibles. Des cheminots grévistes, de tous syndicats confondus, ont eu et exprimé parfois en AG le sentiment que « les dirigeants syndicaux ne prennent pas leur responsabilité. » Les comptes ont été vite faits et, dès le vendredi 22 octobre, au lendemain de cette intersyndicale, de nombreux grévistes ont annoncé qu’ils reprendraient après la journée du 28 octobre si aucun secteur significatif chez les travailleurs ou dans la jeunesse n’était entré dans la danse.

Si toute reprise du travail est difficile, l’ambiance n’a pas été à la défaite. La grève des cheminots n’a pas fait tâche d’huile ni forcé Sarkozy à remballer son projet. Mais tous ceux qui se sont mobilisés ont affirmé en être fiers : parce qu’ils ont marqué ainsi fermement leur opposition à tous les reculs imposés au nom de la crise ; et, surtout, parce que cette fois-ci, ils ont trouvé des moyens de se joindre à d’autres secteurs en lutte. La force des travailleurs qui se sont mobilisés a permis de changer le climat social… Beaucoup, dans les rangs ouvriers, ont entrevu ce dont serait capable la classe ouvrière mobilisée tout entière.

Raphaël PRESTON


Les retraites… et tout le reste !

Dès l’assemblée générale des grévistes de Paris Saint-Lazare le 12 octobre, du concret est venu sur le tapis – en plus des retraites :

  • un collègue en période d’essai menacé de licenciement
  • des contrats précaires – notamment les contrats d’aide à l’emploi, CAE – qui se multiplient sur le réseau
  • des suppressions de postes, en particulier au service commercial.

Après avoir voté la reconduction de la grève et juste avant de participer au défilé parisien, l’AG s’est manifestée auprès de la direction sur ces questions. Une démonstration de force qui a eu pour effet l’abandon de la procédure de licenciement et une ouverture sur l’embauche au statut des CAE.

Comme quoi la hiérarchie était dans ses petits souliers.


« Tous ensemble »… même dans la gare !

À la Gare d’Austerlitz, la grève aura été l’occasion de mettre au placard la tradition poussiéreuse des AG séparées, par catégories. Enfin une AG interservices ! Subsistaient tout de même, avant la discussion et le vote communs de la grève, des rassemblements entre sédentaires, contrôleurs et conducteurs… Mais il y a eu un progrès certain ! Le fait de se retrouver chaque jour à 140 en rythme de croisière pour décider des suites du mouvement a donné du baume au cœur et nous étions nombreux à participer aux actions et rassemblements de l’après-midi (la matinée étant réservée aux piquets de grève) : manifestation avec les étudiants et lycéens, visites au piquet de grève de l’incinérateur d’Ivry, rassemblement des grévistes de toutes les gares parisiennes, etc.


Rebond

Une semaine après la reprise du travail sur Paris Austerlitz, les cheminots de la manœuvre se sont massivement remis en grève l’après-midi du vendredi 12 novembre. Accompagnés par des militants syndicaux, des agents de la traction, du contrôle, du commercial, du départ, les grévistes ont envahi le bureau du directeur d’établissement en lui remettant un cahier revendicatif. Le licenciement annoncé d’un jeune agent de manœuvre non titularisé a fait déborder un vase déjà bien rempli : travail sur des voies parfois recouvertes d’urine et de déjections, sanctions, pressions, demandes d’explications à répétition, manque d’entretien du local (la lampisterie), mauvais outils de travail, etc. Sous la pression de la grève, la direction a décidé de prolonger le stage d’essai du jeune agent de manœuvre. De plus, et ce n’est pas une mince affaire pour les grévistes, l’attitude de la hiérarchie a changé dans le bon sens et un outil demandé de longue date (écran SPOT) a été mis en service.


[1Cette nouvelle limitation du droit de grève prévoit que les grévistes de certains secteurs stratégiques se signalent 48 heures à l’avance, ce qui permet d’ajuster les commandes du personnel.

[2Seuls 10 % des trains fret ont roulé pendant les trois semaines de la grève.

[3Tentatives de comités de grèves, à l’initiative de camarades de Lutte Ouvrière et de la Fraction l’Etincelle.

[4Voir Convergences Révolutionnaires n°54

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