Guadeloupe : Patrons et pouvoir n’admettent pas la défaite, les travailleurs ne baissent pas la garde
Mis en ligne le 30 avril 2009 Convergences Monde
Le gouvernement a finalement décidé d’étendre à toutes les entreprises de l’île l’accord salarial signé le 26 février dernier après 44 jours de grève générale. L’accord, appelé Jacques Bino, du nom du syndicaliste tué lors de tirs dans une cité, après qu’un premier reniement du gouvernement eut tendu la situation, a cependant été amputé d’un article.
Cet article 5 stipulait que les entreprises prendraient elles-mêmes en charge l’augmentation des salaires de 200 euros, au terme des trois ans pendant lesquels l’État s’engage à l’assurer en partie. Le Medef, ayant usé pendant la grève de tous les moyens et ficelles pour ne pas sembler céder devant la détermination des travailleurs et de la population pauvre, a réussi cette pression sur le gouvernement.
Dans un communiqué, le LKP souligne que l’extension de l’accord Bino amputé de son article 5 ne le surprend guère : « C’est une décision de complaisance à l’égard du Medef alors que la quasi-totalité des grandes entreprises et fédérations adhérentes au Medef Guadeloupe ont signé l’accord Bino ‘initial’ prévoyant la prise en charge des augmentations de salaires par les employeurs au-delà des aides des collectivités (12 mois) et de l’État (36 mois) » .
Mais au mépris des écrits, pressions, manœuvres, calculs politiciens et patronaux, la réalité s’écrit d’une tout autre manière. Pour preuve, les luttes bien vivantes qui depuis la fin février marquent la Guadeloupe et la Martinique pour imposer l’accord Bino aux gros patrons békés, descendants des Blancs esclavagistes.
Des dizaines de grèves ont continué pour l’application de l’accord Bino
Parmi les plus importantes et remarquées :
- À La Poste :
Les salariés ont fait grève du 2 au 9 avril pour l’application des accords aux nombreux contrats de droit privé qu’emploie l’entreprise. Laquelle, dans un premier temps, prétendait qu’en tant qu’employeur public, elle n’était pas concernée. La suite démontra que si : le premier jour de grève, il y avait 90 % de grévistes sur les 1 600 salariés qu’emploie l’entreprise, dont 600 de droit privé. La moyenne des grévistes s’est située pendant le conflit entre 60 % et 70 %. Les grévistes réclamaient notamment, outre l’application de l’accord aux salariés de droit privé, la reprise de l’ancienneté des personnels sous contrat à durée déterminée lors de leur titularisation. Il y avait de l’ambiance : grévistes rassemblés tous les matins à l’aéroport avec piquets de grève, manifestations, tambours, etc. La grève s’est vue. Et avec sa victoire, l’enthousiasme est au rendez-vous.
- Dans les plantations de banane :
La lutte continue aussi depuis la mi-mars, dans une bonne partie des plantations. Les grévistes se heurtent à la résistance des planteurs et particulièrement des plus gros d’entre eux. Lesquels, arrosés de subventions par la Région, osent prétendre qu’ils n’ont pas de quoi payer leurs salariés, notamment au terme des 3 ans, et refusent l’article 5 de l’accord. Les grévistes ont bloqué le chantier de construction du nouvel hôpital, sur les terres d’un de ces gros planteurs qui a réalisé de substantiels profits en revendant ce terrain d’anciennes plantations. Une occupation symbolique.
- Sucrerie Gardel :
Dans cette usine, après avoir repris le travail, les salariés se sont de nouveau mis en rogne lorsqu’ils ont constaté des retenues importantes sur leur fiche de paie. Ils demandent une avance conséquente sur salaire et des prélèvements étalés pour la grève. Le patron avait signé l’accord Bino, mais voulait reporter les Négociations annuelles obligatoires de plusieurs années. Pas étonnant qu’il ait été « coincé » dans son bureau.
- Hôtels et grandes surfaces :
Dans la majorité des hôtels de l’île, les grévistes ont obtenu que l’accord soit signé, de même que dans les grandes surfaces dont Carrefour, propriété d’une des plus grandes familles de l’île.
- À la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Guadeloupe :
La grève entamée le 20 janvier continue aussi. Le site présente la particularité d’avoir une présidente, Colette Koury, bien placée au « hit-parade » des patrons honnis des salariés de la CCI comme de nombreux travailleurs. Elle et sa famille sont sur la sellette pour présomption de malversations financières, années d’enrichissement sur le dos des Guadeloupéens, rafles opaques de marchés… Les travailleurs n’ont donc pas craint de dresser une longue liste de revendications concernant les salaires, mais aussi les dysfonctionnements au sein de la Chambre de commerce, liés aux prévarications de sa présidente.
- Les contrats aidés :
Dernier conflit en date, celui des salariés ayant des contrats dits aidés, qui veulent eux aussi bénéficier de l’accord et des 200 euros. Ras-le-bol des bas salaires, mais aussi et surtout de la précarité. Leur principale revendication : un plan d’intégration des précaires. La grève générale et le LKP leur donnent aujourd’hui la force et l’audace de se battre. Ils organisent depuis plusieurs semaines une série de manifestations et d’actions de mobilisation, tiennent réunions et conférences de presse à la mutualité de Pointe-à-Pitre, siège du LKP pendant le mouvement et où se déroulent moult débats et réunions.
- Résultat :
50 000 salariés (sur les 80 000 concernés) ont en cette mi-avril obtenu que leur patron signe l’accord, alors qu’ils n’étaient que 17 000 au moment de la signature ! Et depuis que le mauvais coup du gouvernement est connu (extension de l’accord, mais amputé), les grèves se poursuivent pour que l’accord soit signé en totalité.
De fait, le climat général reste explosif : il y a ceux qui sont en grève, ceux qui viennent de reprendre mais qui sont prêts à repartir, ceux qui pensent que ça peut repartir… Selon un sondage de France Antilles, 80 % des habitants seraient prêts à soutenir un nouveau mouvement (mais 40 % à y participer eux-mêmes). Et le journal de titrer : « Tous LKPISTES ! ».
Moral retrouvé et conservé, politisation accrue
La population a le moral. Elle est reconnaissante aux membres du LKP. Les dirigeants les plus en vue du mouvement, qui passaient souvent à la télévision, sont abordés dans la rue par des gens qui les remercient. Ceux qui ont lutté et gagné se sentent forts, d’autant qu’ils l’ont fait avec un LKP qui n’a pas flanché et continue de négocier ferme sur toutes sortes de sujets : prix du pain, téléphonie, transports, cantines, etc.
Car les prix sont un autre sujet de mécontentement. À la mi-avril, a finalement été signé un accord sur la baisse des prix d’une centaine de produits de première nécessité, avec obligation pour les magasins d’indiquer le prix avant l’accord et le prix après. Pas question que la baisse passe pour une promotion commerciale quelconque ! Cela dit, la colère gronde à nouveau car les grands magasins ont profité du mouvement et de la pénurie des biens pour augmenter les prix des marchandises qui n’étaient pas de première nécessité.
La population s’adresse très fréquemment aux membres du LKP pour tel ou tel autre problème très concret de la vie quotidienne. Un conflit aussi long et profond laisse des traces. En particulier la grande fierté d’avoir dit ce qu’on pensait depuis des années, d’avoir réussi quelque chose de bien et de positif. Certains conservent la nostalgie des grands meetings devant la Mutualité et y reviennent même lorsqu’il n’y a rien, en demandant quand est programmé le prochain.
Vous avez dit « États généraux » ?
Dans ce climat, les États généraux qui devraient se tenir à partir du 22 avril en Guadeloupe et Martinique sont le cadet des soucis. Une idée sortie du chapeau de Sarkozy en mars dernier… comme réponse à la crise dans les DOM ! À cette mascarade organisée et gérée de Paris, pompeusement destinée à aborder les problèmes de l’Outremer, furent conviés associations, élus locaux… Le hic, c’est que le LKP en Guadeloupe, comme le Collectif du 5 février en Martinique, n’en sont pas. Pas invités déjà, seuls certains syndicats et organisations politiques le composant avaient été contactés. Mais surtout pas partants de toute façon ! Dans un communiqué, le LKP a déclaré qu’il « refusait d’être la caution sociale, économique, politique et culturelle de Monsieur Sarkozy et de ses relais en Guadeloupe » (…) « Seule la poursuite des luttes de masse, conduite par la classe des travailleurs conscients et organisés, fondée sur un programme né de ses propres besoins, aspirations et revendications pourra répondre aux espérances du Peuple » . Pendant les États généraux, le LKP organisera une série de meetings dans les communes. Et si Sarkozy vient, comme il l’a promis (quoiqu’il semble aux dernières nouvelles chercher à se défiler !), il sera sans nul doute accueilli chaleureusement par les manifestants… Promis aussi !
20 avril 2009
Laurence VINON
Mots-clés : Guadeloupe