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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 122, novembre 2018

Brésil : L’extrême droite est au gouvernement, mais le monde du travail n’est pas dupe

Mis en ligne le 13 novembre 2018 Convergences Monde

Après sa victoire à l’élection présidentielle, Jair Bolsonaro a commencé à dévoiler son projet de gouvernement : à la Défense, un général prêt à employer des snipers pour mener une vraie guerre aux favelas ; à l’Éducation, un autre militaire qui souhaite enseigner les bienfaits de la dictature de 1964-1985 ainsi que le créationnisme ; un « super-ministère » de l’Économie et de l’industrie dirigé par un professeur d’économie qui s’est enrichi en spéculant sur les marchés financiers et qui est visé par deux enquêtes pour fraude, de quoi donner du travail à son compère de la Justice censé représenter la lutte anticorruption ! Répression et idées rétrogrades au service du patronat, pas étonnant que la Bourse de Sao Paulo batte des records.

Bolsonaro, a donc remporté le scrutin présidentiel avec 55 % des voix contre 45 % pour le candidat du Parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad. Il doit son ascension électorale fulgurante à la dégradation rapide de la situation économique – inflation de plus en plus insupportable, 13 millions de chômeurs officiels en 2017. Mais aussi au dégoût profond qu’inspirent à la majorité de la population les partis traditionnels de droite comme de gauche, tous impliqués jusqu’au cou dans des affaires de corruption, y compris le Parti des travailleurs de Lula, qui a surtout gouverné pendant 13 ans à coup de mesures d’austérité contre les classes populaires.

Cela a donc valu à Bolsonaro le vote d’une grande partie des classes moyennes mais également d’une partie des travailleurs plus modestes des grandes villes, tous déçus de la politique du PT. Même dans la banlieue industrielle de Sao Paulo, où est né le PT à la faveur des luttes ouvrières, c’est lui qui l’a emporté.

Avec le soutien de l’agrobusiness, des Églises évangélistes, des industriels et des banquiers

Bolsonaro s’est présenté comme un candidat anti-système, avec un discours sécuritaire prônant la libéralisation du port d’armes comme solution à l’augmentation de l’insécurité, se revendiquant ouvertement de la dictature qui a sévit de 1964 à 1985. Chantre des idées les plus rétrogrades, la misogynie, l’homophobie et le racisme qui est en fait une des formes que prend la violence vis-à-vis des pauvres au Brésil, Bolsonaro s’est en l’espace de quelques mois acquis le soutien actif des milieux les plus réactionnaires. Les lobbies de l’agrobusiness représentés à l’Assemblée par une large panoplie de députés « ruralistes » ; des Églises évangéliques qui agitent les valeurs ordre, famille et patrie, ont une influence croissante dans le pays et de gros moyens financiers ; des organisations d’étudiants aisés de Sao Paulo prônant la haine et la chasse aux « rouges » et aux « communistes », agitant le spectre du chavisme et de la misère au Venezuela, tous ont alimenté la vague Bolsonaro.

Face à l’état de délabrement et au discrédit électoral du principal parti de l’establishment bourgeois, le PSDB, dont les représentants ont été pris la main dans le sac de la corruption, investisseurs et banquiers ont eux aussi pour la plupart fait le choix de le soutenir au second tour. Face à la nullité politique que représente Bolsonaro – il s’est défilé de tous les débats politiques télévisés, dit ne rien comprendre à l’économie se réfugiant derrière son futur ministre en la matière, Paulo Guedes, un économiste « libéral » de l’école de Chicago –, ils espèrent bien contrôler les mesures que prendra son gouvernement et s’accommodent de ses déclarations outrancières. Ainsi que du fait que Paulo Guedes ait été un des conseillers de Pinochet au Chili.

Le discrédit du Parti des travailleurs

Alors pourquoi l’électorat de Bolsonaro a-t-il largement dépassé les milieux blancs aisés, dont beaucoup ont hérité leurs valeurs du passé esclavagiste du Brésil ? C’est bien plus à cause des profondes désillusions causées par la politique du Parti des travailleurs que parce que la majorité de la population serait devenue misogyne ou raciste contre les Noirs et les Indiens à l’instar de ces familles bourgeoises qui ne supportent pas que les domestiques de couleur touchent leur nourriture.

Des millions de gens ont voté la rage au ventre en espérant un changement, car le parti sur lequel ils avaient fondé leurs espoirs, le PT, a défendu pendant toutes ces années les intérêts de la grande bourgeoisie industrielle et affairiste en expliquant que c’était dans l’intérêt de tous.

Certes, pendant les années de croissance due à une conjoncture favorable, au prix élevé des matières premières dont le Brésil est un gros pourvoyeur mondial, le président Lula, ex-ouvrier métallo dans lequel se reconnaissent encore aujourd’hui beaucoup de travailleurs brésiliens, a pu donner l’illusion d’une politique en faveur des travailleurs, pour endiguer la faim, l’illettrisme ou le travail forcé parmi les plus pauvres. Mais la prospérité dont a pu bénéficier une partie des travailleurs et de la petite bourgeoisie s’est révélée précaire. Lula, puis celle qui a pris sa relève, Dilma Roussef n’ont cessé de prendre en réalité des mesures d’austérité contre les retraités, les fonctionnaires, pour supprimer des emplois dans les services publics ou en privatiser une partie, jusqu’à réduire les droits des travailleurs et envoyer la police contre les grévistes et les paysans sans-terre. Le PT s’est peu à peu aliéné des militants sincères, puis des secteurs combatifs de la classe ouvrière et enfin aujourd’hui une bonne partie de son électorat. Celui-ci est autant plus dégoûté que le PT a mis le bras tout entier dans le système de corruption qui est une seconde nature pour la classe politique et la bourgeoisie brésiliennes depuis toujours, lui qui avait promis d’y mettre un terme au début des années 2000.

L’actuel président Temer, vice-président de centre-droit de Roussef jusqu’à sa destitution, traînant des casseroles qui devraient le mener droit en prison, a manœuvré avec l’aide de juges conciliants et un large panel de la classe politique, pour faire peser tout le discrédit sur le PT. C’était tâche facile, le PT s’est en réalité discrédité tout seul avec sa politique en faveur des riches dans l’un des pays les plus inégalitaires au monde.

Pas sûr que la classe ouvrière se laisse mettre au pas

L’ancien capitaine Bolsonaro voudrait mettre au pas les travailleurs et les pauvres du Brésil pour en faire un paradis pour les patrons. Pas de doute qu’il voudra continuer et accentuer les réformes en cours, que ce soit le rallongement de l’âge de départ à la retraite ou les privatisations à marche forcée des services publics.

Malgré sa victoire électorale, qui s’inscrit dans les succès de l’extrême droite ces dernières années sur plusieurs continents, rien n’est joué, pourtant. Une bonne partie des classes populaires brésiliennes n’a pas voté Bolsonaro, et est bien consciente du danger qu’il représente. Nombreuses étaient les femmes qui sont descendues dans la rue pour dire « Pas lui ».

La colère et la combativité des milieux populaires s’étaient exprimées dans des manifestations depuis 2013 contre la vie chère et l’austérité, ou dans la grève contre la réforme des retraites de l’année dernière. Elle pourrait bien aussi s’exprimer contre Bolsonaro.

Plus que jamais, les travailleurs auront à défendre leurs propres intérêts et à s’organiser eux-mêmes, et ne pas accorder leur confiance aux promesses des politiciens, même ceux qui se disent de gauche et démocrates et ont entretenu des alliances toutes ces années de gouvernance avec le PT.

5 novembre 2018

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Numéro 122, novembre 2018