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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 96, novembre-décembre 2014

Suite aux élections tunisiennes du 27 octobre, une lectrice nous écrit

Mis en ligne le 20 novembre 2014 Convergences Monde

Nous publions ce courrier d’une lectrice, étudiante française en Tunisie, à propos des élections législatives du 27 octobre dernier, les premières depuis l’adoption de la nouvelle constitution. La bourgeoisie espère bien qu’elles marqueront la fin du processus révolutionnaire entamé par la chute de Ben Ali en 2011.

Si ces élections ont été polarisées par l’affrontement entre les caciques de l’ancien régime de Nidaa Tounes et les islamistes d’Ennahdha, les listes du « Front populaire », emmenées par Hamma Hammami, dirigeant du Parti des Travailleurs (ex-PCOT), sont arrivées quatrième avec plus de 5 % des voix. La Ligue de la Gauche Ouvrière, petite organisation trotskiste, a participé à ces listes, malgré l’orientation nationaliste de leur direction, et obtenu deux députés.

Espérons qu’ils pourront utiliser ces deux places dans la nouvelle assemblée pour s’adresser à la jeunesse qui n’a pas renoncé à sa révolution et aux ouvriers qui ont été nombreux à découvrir l’organisation syndicale et surtout l’arme de la grève depuis 2011, mais à qui aucune organisation n’a proposé une politique indépendante de classe. Pas même le Parti des travailleurs qui expliquait, dans les quartiers populaires où il est implanté, la nécessité d’un front national avec la bourgeoisie tunisienne.


« Dimanche 27 octobre, les électeurs tunisiens votaient à une majorité relative de 39 % pour le parti Nidaa Tounes de Beji Caïd Essebsi, ministre sous Bourguiba et chef du second gouvernement de transition, qui devance son rival et allié potentiel, le parti islamiste Ennahdha qui n’obtient que 31 % des voix.

Nidaa Tounes, une formation hétéroclite attrape-tout 

Présenté dans les médias tunisiens et occidentaux comme l’alternative « laïque, séculière et progressiste » au projet d’islamisme politique emmené par Ennahdha, Nidaa Tounes est avant tout une formation hétéroclite attrape-tout, brassant des libéraux, de gauche comme de droite, des syndicalistes (son secrétaire général, Taïeb Baccouche, est un ancien secrétaire général de l’Union générale tunisienne du Travail – UGTT), des transfuges renégats des nombreuses formations politiques éphémères apparues dans le sillage de la Révolution, et des anciens caciques du régime de Ben Ali. Ce « pot-pourri » électoraliste a reçu l’assentiment de la nouvelle légalité tunisienne qui, en rejetant la loi dite de « lustration » qui interdisait d’éligibilité les anciennes figures du RCD, a autorisé le retour en politique des forces d’ancien régime.

« Vote de peur », « vote utile » ?

Beaucoup, qui avaient pourtant vu avec crainte et dédain, dans la victoire d’Ennahdha en 2011, l’expression de la « Tunisie profonde », saluent, dans un élan patriotique retrouvé, le « retour à une photographie réelle » de la Tunisie. En fait de « pays réel », c’est l’expression du « pays légal » [1] qui, de Sidi Bou Saïd aux grandes artères de la « République autonome de La Marsa », comme aiment à la qualifier les résidents de cette banlieue huppée de Tunis, a fêté dans un concert de klaxons le score obtenu par Nidaa Tounes. « Vote de peur », « vote utile » se défendent ceux qui ont trempé avec réticence leur index dans l’encre indélébile de l’ancien régime.

Car c’est bien le plat pas tout à fait froid d’une bipolarisation mortifère entre d’un côté des « sécularistes » et, de l’autre, des « islamistes » que nous resservent de concert les classes politique et médiatique, au mépris des réalités sociales tunisiennes, et du grand absent de ces élections : la jeunesse, minée par le chômage, déjà largement abstentionniste en 2011, qui ne place aucun espoir dans une classe politique qui lui a ravi « sa » révolution. Certains d’entre eux ont fait le déplacement jusque dans leur bureau de vote, pour déposer un bulletin « nul » dans l’urne, portant l’inscription manuscrite « Pour la Révolution ». Les craintes d’accaparement du pouvoir et des institutions par le parti islamiste qui avaient, après la victoire d’Ennahdha aux législatives de 2011, suscité la création de Nidaa Tounes, ne l’ont pas convaincue de se résigner au « vote utile », d’autant moins après plusieurs années d’un gouvernement de coalition associant Ennahdha à deux partis du centre-gauche, le Congrès pour la République (CPR) de Moncef Marzouki et Ettakatol de Mustapha Ben Jaafar. Prompte à rassurer les chancelleries et les investisseurs occidentaux, cette coalition n’avait pris fin en janvier 2014 que pour laisser la place à un gouvernement de technocrates asservis aux mêmes intérêts économiques.

Nidaa Tounes, soutenu par les monarchies du Golfe et l’Égypte d’Al-Sissi, ne promet pas autre chose : le parti devra s’allier, pour arriver à une majorité confortable, soit au parti libéral Afek Tounes, soit à l’Union patriotique libre (UPL) de l’homme d’affaires et patron de club de football Slim Riahi, soit à L’Initiative, bastion d’anciens du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD), emmené par Kamel Morjane, lui-même ancien ministre de la Défense puis des Affaires étrangères sous Ben Ali, soit encore aux islamistes d’Ennahdha, avec lesquels il partage une même souscription aux principes de l’économie néolibérale.

Une union sacrée contre les classes populaires tunisiennes

Mais quelle que soit la recette politicienne adoptée par le parti vainqueur, front anti-islamique ou gouvernement d’« union nationale » avec les islamistes, elle sera surtout une « union sacrée » contre les classes populaires tunisiennes, car le débat en Tunisie ne porte pas sur les choix économiques, qui font eux l’objet d’un consensus applaudi dans les palais présidentiels et salué par les bourgeoisies tunisienne et étrangères, et que traduit la relance annoncée du « dialogue national » sous l’égide de l’organisation patronale (Union tunisienne de l’Industrie, du Commerce et de l’Artisanat – UTICA) et de la centrale syndicale UGTT, mais sur un illusoire conflit identitaire entre modernistes et religieux.

L’espoir de la Révolution tunisienne n’est pas à chercher dans la victoire des « laïcs » aux élections législatives, mais bien dans les luttes sociales qui continuent de faire vivre ses mots d’ordre. »

2 novembre 2014, de Tunis  


[1Sous la Monarchie de Juillet 1830-1848 en France, le « pays légal » désignait l’ensemble des personnes suffisamment riches, les « censitaires », ou suffisamment diplômées, les « capacitaires », qui formaient le corps électoral, alors que le « pays réel », c’est-à-dire la grande majorité de la population, n’était lui pas admis au vote.

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