Aller au contenu de la page

Attention : Votre navigateur web est trop ancien pour afficher correctement ce site internet.

Nous vous recommandons une mise à niveau ou d'utiliser un autre navigateur.

Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 75, avril-mai 2011 > DOSSIER : Le nucléaire en question

DOSSIER : Le nucléaire en question

Prestataires et sous-traitance du nucléaire : une interview de Philippe Billard, militant CGT

Mis en ligne le 22 avril 2011 Convergences Entreprises

Les salariés de la sous-traitance du nucléaire subissent 80 % des expositions aux rayonnements ionisants dans les centrales, un chiffre qu’EDF ne conteste d’ailleurs pas. [1] Les militants syndicaux ne sont pas les bienvenus. Fin 2006, la société Endel [2], employeur de Philippe Billard, militant CGT, engage contre lui une procédure de licenciement. L’inspection du Travail refuse le licenciement. Recours de Endel en 2007 auprès du ministère du Travail qui confirme le refus. Endel engage alors en 2009 une procédure devant le Tribunal administratif pour obtenir l’annulation de la décision de l’inspection du Travail et de la confirmation ministérielle. La société Endel est déboutée mais fait appel du jugement. Elle vient juste, début 2011, de perdre à nouveau devant la Cour administrative d’appel de Versailles. On ignore pour l’instant si elle a engagé un nouveau recours devant le Conseil d’État…

Après plus de quatre ans de procédure, Philippe Billard reste donc salarié de Endel. Mais, en jouant sur l’ambiguïté d’une ordonnance du Conseil de prud’hommes de Rouen, son employeur a obtenu en justice le droit de l’affecter dans une agence n’intervenant pas dans le secteur nucléaire [3]… à la plus grande satisfaction d’EDF ! À ce jour, Philippe est convoqué le 14 juin 2011 à 14 h 45 à l’audience de la cour d’Appel de Rouen pour statuer sur le jugement des prud’hommes du 17 février 2011. Il y attend de nombreux soutiens.


Convergences RévolutionnairesPeux-tu retracer ton parcours dans la sous-traitance du nucléaire ?

Philippe Billard – Je suis entré en sous-traitance à la centrale EDF de Paluel en septembre 1985, pour des travaux de métallurgie. J’ai été licencié économique en 1998, suite à la fermeture de la boîte. Mais je suis retourné à Paluel en 1999, en intérim, avant d’être embauché en juin 2000 par la société qui est devenue Endel, une filiale du groupe GDF-Suez.

Aujourd’hui, je suis toujours chez Endel malgré une procédure de licenciement engagée en 2006, mais j’ai été sorti du secteur nucléaire. Sur demande d’EDF, c’est une chose dont maintenant la boîte ne se cache plus. Elle m’a affecté dans une agence travaillant dans la pétrochimie, mais je garde le contact avec mes collègues du nucléaire.

CRComment ont évolué les conditions de travail dans ce secteur depuis que tu as commencé à y travailler ?

PB – On a vu une dégradation des conditions de travail. EDF cherche à tout prix à raccourcir de plus en plus les arrêts de tranche. Un arrêt coûte à EDF un million d’euros par jour, et il y en a en moyenne une quarantaine par an. À partir de là, on comprend pourquoi il y a autant de pression sur les salariés pour que le travail soit fini en temps et en heure. Mais EDF prescrit du boulot sans donner réellement les moyens de le faire. Il y a forcément une différence entre un travail commandé par écrit et la réalité de ce qu’il y a à faire. Pourtant, même si ce n’est pas fini, il faut que la machine reparte…

CRÀ l’occasion du débat public sur le projet d’EPR à Penly, tu as protesté contre les propos du représentant de EDF qui soutenait que le suivi médical des intervenants dans les centrales nucléaires est le même que celui des agents EDF. Peux-tu expliquer pourquoi ?

PB – Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur une centrale comme Paluel, pour 1 200 agents EDF, il y a trois médecins du travail sur le site, une infirmerie, sept infirmières et une secrétaire médicale.

Pour les sous-traitants, un seul médecin a en charge 500 salariés, à l’extérieur de la centrale et sans pouvoir y entrer pour faire de la prévention. Mais il doit aussi suivre 3 500 salariés d’autres secteurs d’activité. Il y a aussi le problème du dossier médical. Celui d’un agent EDF reste sur le site. Alors que, pour un sous-traitant, le dossier est à l’organisme extérieur qui le suit. Et il n’est pas automatiquement transmis au nouveau médecin du travail en cas de changement d’employeur suite à une perte de marché.

Pour la dosimétrie, le suivi se fait au niveau national, par l’IRSN, mais il est extrêmement difficile pour un salarié de récupérer ces données-là auprès de l’IRSN.

De plus, contrairement aux agents EDF, aucun salarié sous-traitant ne quitte son emploi avec la fiche d’exposition que devrait lui remettre son employeur. C’est pourtant ce qui permettrait de prouver, s’il tombe malade des années plus tard, qu’il a été exposé par son travail à tel produit cancérigène, mutagène, etc.

CRComment les conditions de travail dans la maintenance nucléaire affectent-elles la sécurité des centrales ?

PB – Il y a là-dessus un exemple parlant dans le film «  RAS – Nucléaire, rien à signaler  ». Un salarié explique qu’il découvre une rayure ou une fissure lors d’un contrôle, mais que son employeur va chercher une autre équipe pour certifier que ce n’est rien, qu’on peut continuer comme ça, et surtout sans prendre de retard ! Ça se passe ainsi tous les jours…

CREDF se vante d’une « Charte de progrès et de développement durable » signée en 2004 avec les syndicats patronaux de la sous-traitance et de l’intérim. Quel est ton avis sur ce texte ?

PB – C’est de la m… ! De toute façon, on ne demande pas aux patrons de s’arranger entre eux sur ce qui leur convient ; on leur demande d’appliquer le droit du travail !

Souvent, les employeurs ne respectent même pas les obligations du Code du travail en cas de perte de marché. Ils s’arrangent entre eux pour d’éventuelles propositions de réemploi aux travailleurs de la boîte qui perd le contrat. Même dans les entreprises de nettoyage spécialisées dans le nucléaire, malgré ce que prévoit la convention collective de la propreté.

Mais il est difficile de défendre les droits des salariés. Dans la sous-traitance, le mandat des représentants du personnel peut couvrir tout le territoire français, pas seulement le site sur lequel on travaille. Même pour faire de la prévention, il faut courir dans toute la France. Tu imagines la difficulté ! Il y a bien des élus, mais qui ne peuvent pas faire grand-chose…

CRIl existe sur les centrales EDF des Commissions Inter-Entreprises sur la Sécurité et les Conditions de Travail (CIESCT). Dans le rapport TSN de 2008, le CHSCT de la centrale de Chinon recommande leur remplacement par de véritables CHSCT inter-entreprises intégrant les représentants du personnel sous-traitant. Que penses-tu de cette demande ?

PB – Je suis d’accord, et j’en parle en connaissance de cause comme ancien secrétaire-adjoint de la CIEST de Paluel. Ce qui se discute dans ces commissions n’a aucune valeur juridique, contrairement à ce qui se passe dans un CHSCT. Même sur l’ordre du jour, il n’y a aucune obligation. EDF y met ce qu’elle veut et y fait sa propagande. Les entreprises sous-traitantes sont représentées par les employeurs, avec des membres désignés par les syndicats, mais il n’y a pas de représentants élus par les salariés de la sous-traitance.

Ce serait important d’avoir de véritables CHSCT de site, inter-entreprises, car dans les CIEST, on ne traite jamais des réelles conditions de travail, avec les prérogatives d’un CHSCT.

CRDans certains milieux syndicaux, il est question depuis plusieurs années d’une Convention collective des métiers du nucléaire ? Que penses-tu de cette idée ?

PB – Ce serait une bonne chose. Cela permettrait d’éviter que les boîtes puissent s’appuyer sur les statuts différents des salariés pour créer une concurrence entre eux.

CRPourquoi avoir créé en 2008 l’association « Santé sous-traitance nucléaire-chimie » ?

PB – On avait besoin d’un outil au service de tous les salariés du nucléaire, pour la reconnaissance des maladies professionnelles auxquelles ils sont exposés, un peu à l’image de ce qu’est l’Andeva pour l’amiante. Aujourd’hui une quarantaine de personnes se sont déjà adressées à l’association. Mais ce n’est pas facile car elle n’est pas encore très connue et, surtout, certains salariés malades n’imaginent même pas que ça peut être dû aux expositions subies dans leur travail !

13 avril 2011


« R.A.S. – Nucléaire, rien à signaler »

Alain de Halleux, Crescendo films, 2009.

Ce film documentaire, qui donne la parole aux travailleurs du nucléaire, a été diffusé sur Arte le 25 mars 2011. En vidéo sur le net.


[1Pour en savoir plus : Autorité de sûreté nucléaire (ASN), Rapport sur l’état de la sûreté nucléaire et de la radioprotection en France en 2010, pages 316 & 350.

Voir également le témoignage de Dominique Sanson, soudeur, sur le site Internet de l’association « Santé sous-traitance nucléaire-chimie » (www.sst-nucleaire-chimie.org)

[2Endel est une filiale du groupe GDF-Suez. Par l’intermédiaire d’une autre filiale, Electrabel, GDF-Suez possède et exploite 7 centrales nucléaires en Belgique.

[3Les jugements mentionnés sont consultables sur le site Internet du réseau « Sortir du nucléaire ».

Mots-clés : | |

Imprimer Imprimer cet article

Abonnez-vous à Convergences révolutionnaires !

Numéro 75, avril-mai 2011