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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 90, novembre-décembre 2013

Les inspecteurs du travail se rebiffent

Mis en ligne le 16 novembre 2013 Convergences Entreprises

En ce mois d’octobre, les inspecteurs du travail ont manifesté à plusieurs reprises contre le projet de réforme que s’efforce de mettre en place le ministre du Travail, Michel Sapin.

« Ici, ça sent le Sapin… », peut-on lire dans les couloirs de l’Inspection du travail. Ces affiches représentant l’enterrement de l’institution sont complétées par celles raillant la novlangue de la hiérarchie qui tente d’imposer une réforme voulue par le ministre du travail : « ne pas déranger, je suis en période d’ajustement dynamique », termes utilisés pour convaincre que la transformation du métier d’inspecteur ne doit pas susciter d’inquiétudes.

Pour l’instant, l’Inspection du travail est organisée par sections comprenant un inspecteur, deux contrôleurs en moyenne et un secrétariat d’un ou deux adjoints. Il y a 790 sections, ce qui fait 800 inspecteurs et 1 400 contrôleurs, soit environ 2 200 agents de contrôle… pour plus de 18 millions de salariés du privé ! Autrement dit, pas de quoi remédier à toutes les situations où le droit du travail n’est pas respecté. Néanmoins, la liberté d’organisation dont disposent les agents de contrôle permet à ceux qui en ont la volonté de mener des actions juridiques pertinentes contre des patrons, souvent en lien avec des militants d’entreprise.

Au-dessus des sections d’inspection, il y a bien une armée de directeurs, toujours à l’écoute des « entreprises ». Mais, jusqu’à récemment, ils ne débordaient pas d’activité et ne s’immiscaient dans les dossiers de l’Inspection qu’avec parcimonie.

En gros, les agents de contrôle n’avaient pas vraiment de chef, ce qui favorisait leur indépendance vis-à-vis des pressions politiques et patronales. Une situation conforme au statut juridique de ces fonctionnaires qui, un peu comme les magistrats, doivent en principe être protégés contre les « influences extérieures », en étant notamment soustraits à l’autorité du préfet.

La mise au pas

Le plan Sapin, baptisé « ministère fort », est l’aboutissement d’un projet visant, depuis plusieurs années, à rendre l’Inspection du travail beaucoup plus malléable par la haute administration, relais des organisations patronales.

En 2006, la création de la Direction générale du travail (DGT) a constitué un premier tournant. Il s’agissait de doter l’Inspection d’un chef suprême et d’affirmer l’existence d’un « système d’inspection du travail » structuré. Dès lors, d’après la hiérarchie, ce n’est plus l’agent de contrôle qui doit être indépendant des pressions mais le « système » pris comme un bloc. Et, à l’intérieur de ce système, une hiérarchie beaucoup plus stricte serait possible à terme.

L’action de contrôle devait s’inscrire dans des programmes et des campagnes, pour être « visible ». Dans le même temps, il fallait multiplier les statistiques pour justifier son activité, avec ce message : « si vous ne démontrez pas que vous êtes utiles, vous allez disparaître ». Depuis, il est devenu de plus en plus clair que ce n’est pas aux salariés qu’il va falloir être utile.

« Au service de la performance durable des entreprises »

Dans ce domaine, la Direction générale du travail a rapidement montré l’exemple. Elle est l’interlocuteur privilégié des patrons et de leurs organisations qui exercent un lobbying contre tel ou tel aspect du droit du travail, voire contre tel agent de contrôle.

Le Directeur général, Jean-Denis Combrexelle [1], affirme à chaque occasion que l’Inspection du travail est désormais « au service de la performance durable des entreprises ». En quelques années, la DGT a multiplié les décrets visant à satisfaire des revendications des employeurs, ainsi que les notes aux organisations patronales les autorisant à déroger à telle ou telle règle, parfois en anticipant une évolution réglementaire à venir, parfois de manière sciemment illégale. Cette pratique n’est pas nouvelle mais elle connaît une nette accélération.

En 2010, l’Inspection a été rattachée aux « Directions des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi », à l’occasion d’une réorganisation des services de l’État dans les régions. Lesdites Direccte, donc, ont été qualifiées de « guichets uniques au service des entreprises ». Par exemple, si la Direccte Île-de-France, d’après son site Internet, « veille au respect des règles du travail », c’est parce que cela doit être « facteur de cohésion sociale et gage d’une compétitivité durable ».

Le terrain a donc été bien préparé (par la droite) pour une mise au pas de l’Inspection du travail (par la gauche).

15 à 20 % de postes supprimés

Début 2013, Sapin a d’abord annoncé la disparition du corps des contrôleurs du travail. Les uns devront passer un examen pour devenir inspecteur (statut cadre), au cours duquel la hiérarchie évaluera la capacité du candidat « à intégrer le système d’inspection », c’est-à-dire à être d’accord avec elle. Les autres constitueront un « stock résiduel » de contrôleurs puisque ce métier est « placé en voie d’extinction », pour reprendre le jargon officiel pour le moins méprisant.

Aux secrétaires, on demande de faire des tâches plus nombreuses et plus complexes, sans aucune revalorisation salariale. Le tout en faisant disparaître en quelques années 15 à 20 % des postes à l’Inspection du travail ! Les inspecteurs deviennent simples soldats, placés sous l’autorité d’un chef, pour enfin mettre en place la « ligne hiérarchique » voulue par le ministère depuis de nombreuses années.

Ces « managers de proximité » seraient chargés de faire appliquer par les inspecteurs les consignes venues des directions régionales, elles-mêmes soumises à la Direction générale du travail, si loin des travailleurs, si proche des patrons. Ces nouveaux chefs seraient pour l’instant appelés Directeur d’Unité de Contrôle, les DUCs, ce qui a le mérite de permettre de beaux slogans de manif.

« Ni Ducs ni trouducs » : les inspecteurs se mobilisent

Face à cette attaque radicale, la mobilisation s’est construite autour d’une intersyndicale [2] depuis février 2013, et le mois d’octobre a été particulièrement chaud.

Le 8 octobre 2013, Sapin réunissait le gratin des directeurs à sa botte pour un séminaire près de Lyon. 250 manifestants se sont pointés, envahissant les salles, et ont empêché les participants de se réunir et même de manger. Ces braves serviteurs de l’État ont dû évacuer les lieux, protégés par un cordon de CRS appelés en renfort. Cette action réussie a réveillé la combativité un peu partout : l’ensemble des réunions de « concertation » prévues dans les régions ont été soit boycottées soit sabotées, avec d’importantes mobilisations locales. Des inspecteurs et contrôleurs sont également allés huer Sapin devant le restaurant trois étoiles où il mangeait avec le Comité Colbert, agence de lobbying des patrons du Luxe. D’autres ont déployé une banderole au siège du PS : « Casse de l’Inspection du travail – Le MEDEF en a rêvé, le PS l’a fait. »

Le 22 octobre, une journée d’action nationale a rassemblé 500 grévistes à Paris, ce qui est beaucoup pour un si petit ministère. Si bien que le projet Sapin a déjà été retardé de plusieurs mois. Mais l’intersyndicale n’a proposé pour l’instant aucune suite… Pourtant, non seulement la mobilisation doit continuer au sein du ministère, mais la question se pose aussi désormais de s’adresser aux « usagers » de l’Inspection, c’est-à-dire aux travailleurs.

28 octobre 2013, Thomas JAUDE


Inspection du travail et mouvement ouvrier

Rappelons que c’est d’abord parce que l’État et le patronat ont eu peur du mouvement ouvrier qu’ils ont créé l’Inspection puis le ministère du Travail. Une partie de la bourgeoisie souhaitant par ailleurs limiter les conséquences néfastes pour elle-même d’une surexploitation effrénée au bénéfice de ses concurrents. La loi contre le travail des enfants, par exemple, répondait au taux élevé de jeunes conscrits réformés pour raisons de santé… Autant préserver quelque peu la jeunesse pour en faire de la chair à canon.

C’est en novembre 1892 qu’est créé le corps des inspecteurs : juste après que Fernand Pelloutier, militant révolutionnaire, fut parvenu à mettre en place la fédération des Bourses du travail, les premières organisations ouvrières non corporatistes. En octobre 1906, la création du ministère du Travail est concomitante de la Charte d’Amiens, adoptée par la CGT montante, qui affirmait que le syndicat vise « l’accroissement du mieux-être des travailleurs par la réalisation d’améliorations immédiates » dans le but de préparer « l’émancipation intégrale, qui ne peut se réaliser que par l’expropriation capitaliste ».

L’État, face à ce mouvement ouvrier de plus en plus organisé et ambitieux, avait tout intérêt à composer avec lui en imposant au patronat quelques règles, souvent obtenues par les luttes, pour éviter les explosions sociales !

L’Inspection et le Code du travail, en tant qu’appareils étatiques, sont des outils visant à réguler l’exploitation pour la faire perdurer. Mais ils peuvent être aussi des points d’appui pour les militants et les travailleurs isolés qui contestent l’arbitraire patronal, permettant de rappeler à l’ordre des patrons qui sortent un peu trop des clous.

Le projet Sapin s’inscrit quant à lui dans l’offensive générale contre le mouvement ouvrier pour réduire les droits du monde du travail. D’un côté, le patronat veut assouplir le code du travail, notamment avec de nouvelles lois facilitant les licenciements (comme celle ayant transposé l’accord national interprofessionnel du 11 janvier 2013, signé avec plusieurs confédérations syndicales...) ou des accords d’entreprise basés sur le chantage à l’emploi (accords dits de « compétitivité »). De l’autre, gouvernement et patronat voudraient bien avoir des inspecteurs du travail à l’échine plus souple. Mais ils viennent de tomber sur un os, avec des inspecteurs et des contrôleurs du travail qui se rebiffent. Ces derniers auraient donc tout intérêt à se tourner vers les autres travailleurs en lutte.


[1Jean-Denis Combrexelle fait partie de ces hauts fonctionnaires qui ont survécu, en restant au même poste, à tous les gouvernements successifs depuis plus de dix ans.

[2L’UNSA et la CFDT soutiennent le ministre. Cette dernière diffuse des tracts pro-Sapin appelant à ne pas faire grève. L’intersyndicale regroupe la CGT, SUD, le SNU (Syndicat national unitaire – pôle emploi) et FO.

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