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DOSSIER : Mai 1968 dans le monde – II

Mexique

« Les agitateurs sont la faim et la misère, pas nous ! »

Mis en ligne le 14 juin 2018 Convergences Monde

Le Mexique, en 1968, avec la période de croissance économique qu’il avait connue (le « miracle mexicain »), était considéré comme une nation moderne et stable. Il était lancé dans les préparatifs pour devenir la première nation d’Amérique latine à héberger les Jeux olympiques d’été. Le Mexique se présentait donc comme une « nation progressiste », prête à rejoindre la scène mondiale des « grandes démocraties ».

Mais la vie de la majorité des Mexicains était toute différente. La croissance économique avait surtout profité aux possédants. Si, pour certains, il y eut une légère amélioration des conditions d’existence, la majorité continuait de vivre dans des bidonvilles ou des villages miséreux avec un maigre accès aux services sociaux.

Le gouvernement mexicain d’alors était dirigé par le Parti Révolutionnaire Institutionnel (PRI), au pouvoir depuis sa fondation en 1929. Il se targuait de promouvoir la démocratie, tout en infligeant au peuple un règne autoritaire, corrompu et répressif.

La liberté de la presse et la vie publique étaient quasi inexistantes, les médias officiels appartenaient à l’État et toute information critiquant l’action du gouvernement était censurée. Le pouvoir empêchait de même la création de syndicats indépendants et toute manifestation publique était immédiatement réprimée par les granaderos (l’équivalent de nos CRS). Le même sort n’était pas épargné aux politiciens critiques de la dictature du PRI, rapidement poussés à la démission sous peine de conséquences fatales.

Les Jeux olympiques

1968 était une année bien particulière pour le Mexique : le pays avait été sélectionné pour accueillir les Jeux olympiques et le gouvernement ne lésina pas sur les dépenses d’infrastructure et d’hébergement dont le coût total fut de 176 millions de dollars, soit 1,2 milliard de dollars d’aujourd’hui.

Alors qu’accueillir les Jeux était vu comme un succès par les élites, il y eut des critiques virulentes et même une vague d’indignation contre le gouvernement qui dépensait autant d’argent sur les Jeux alors que tant de Mexicains devaient se battre pour survivre. Mais le président Díaz Ordaz et son gouvernement persistaient à affirmer qu’il était vital d’accueillir les Jeux et que rien ne les en empêcherait.

Naissance d’une nouvelle génération

Au début des années 1940, le Mexique avait connu une industrialisation massive, un accroissement de la population urbaine et la création d’une classe ouvrière industrielle. Le gouvernement dut investir dans les services publics, dont l’éducation, et c’est ainsi que, pour la première fois dans l’histoire du pays, des familles n’appartenant pas à l’élite purent envoyer leurs enfants à l’université ce qui donna naissance à une nouvelle génération d’étudiants issus de la classe moyenne.

Mais 1968 approchait : comme dans beaucoup de pays à la même époque, ces étudiants se radicalisèrent. Influencés par leur exposition aux mouvements internationaux contre l’exploitation et l’oppression, ils commencèrent à remettre en question la société dans laquelle ils vivaient. Ils s’éveillèrent toujours davantage à la misère rampante, aux terribles inégalités qui les entouraient et au manque général de liberté et de démocratie. Venant de milieux plutôt privilégiés, le fait que, contrairement à la majorité du peuple, ils vivaient dans de bonnes conditions créa un sentiment de culpabilité et de colère. Certains s’offusquaient que la génération de leurs parents ait accepté de tels niveaux d’inégalité. Par défiance, de nombreux étudiants rompirent avec la culture passée et développèrent leurs propres normes et idées. Influencés par la contre-culture de La Onda (la vague), ils adoptèrent la mode des cheveux longs, des vêtements décontractés et du « rocanrol » (rock’n’roll) – non seulement comme des formes d’expression individuelle, mais aussi comme des moyens de défier le statu quo social. En 1968, un mouvement d’opposition étudiante commença ainsi à émerger.

Juillet 68 : l’étincelle du mouvement étudiant

Le 22 juillet fut le point de départ du mouvement étudiant de 1968 : les CRS de Mexico City réprimèrent violemment une bagarre, chose plutôt commune entre étudiants lorsqu’il y a un match de foot. L’attaque de la police fut si brutale que, dans les jours, qui suivirent, pour protester, les étudiants de nombreuses universités et lycées se lancèrent dans des grèves de la faim et occupèrent de nombreux bâtiments de l’École préparatoire nationale n°1. Des affrontements éclatèrent entre policiers et étudiants. Le 30 juillet, l’armée se joignit à la police pour étouffer le mouvement. De nombreuses personnes furent tuées lorsque l’armée utilisa un bazooka afin de forcer l’entrée des bâtiments occupés et arrêter les étudiants.

Août 68 : une marche de 100 000 personnes, les étudiants s’organisent

La réaction brutale du gouvernement aux manifestations attisa la colère et le mécontentement parmi les étudiants. Après l’attaque au bazooka, les étudiants de l’UNAM, qui n’étaient pas encore mobilisés, se joignirent aux manifestations. Le 1er août eut lieu une marche d’étudiants de l’UNAM qui réunit 100 000 personnes. Quelques jours plus tard, les étudiants de l’Institut polytechnique national (IPN) organisèrent leur propre marche de soutien. Les manifestations et les grèves s’étendirent à d’autres villes et universités du pays.

Afin de structurer leur mouvement naissant, les étudiants formèrent le 2 août un Comité national de grève (CNH). Le CNH était une coalition d’étudiants de l’UNAM et de l’IPN, ainsi que du Collège du Mexique (ColMex), et d’autres universités. Le CNH devint l’organe principal du mouvement.

Les demandes des étudiants, initialement limitées à l’autonomie universitaire et au problème des débouchés professionnels, s’élargirent à d’autres revendications, sociales et politiques et, chose inédite, à la critique ouverte de la présidence.

Le 9 août, le CNH appela à une grève étudiante et annonça la poursuite des actions, dont des manifestations massives et la grève générale jusqu’à ce que le gouvernement réponde favorablement aux revendications : libération des prisonniers politiques, démission du préfet de police de Mexico City, dissolution des granaderos, réparation financière des familles des victimes tuées ou blessées par les forces gouvernementales et suppression des lois liberticides. Mais les étudiants aspiraient à l’égalité sociale, à la responsabilité gouvernementale et à une démocratie plus directe. Ils voulaient que l’État cesse de financer l’élite du Mexique et investisse pour répondre aux besoins de la majorité.

27 août : 500 000 manifestants sur la place Zócalo de Mexico

Sous la direction du CNH, les manifestations étudiantes se généralisèrent, les efforts du gouvernement pour les réprimer s’intensifiant de leur côté. Le CNH organisa des manifestations massives, dont celle du 27 août à la Zócalo (« place de la Constitution »), la place principale de Mexico. Cette manifestation réunit près d’un demi-million de personnes – étudiants, parents, enseignants, infirmiers, travailleurs du rail, chauffeurs de taxi, etc. La place Zócalo étant située à proximité des lieux de pouvoir, le gouvernement y vit une menace directe à son autorité et envoya l’armée ainsi que la police afin de chasser par la force les manifestants qui refusaient de quitter la place.

Tout au long du mouvement, le gouvernement du PRI s’efforça de ternir l’image du mouvement avançant, entre autres, qu’il était dirigé par les communistes et des agitateurs étrangers. Des contre-manifestations furent alors organisées par le PRI pour tenter de gagner le soutien de l’opinion publique. Le plus souvent, ce fut un échec, les participants à ces manifestations allant même jusqu’à applaudir les étudiants ! À rebours de la vague de contestation qui grandissait, le président annonça qu’il n’accepterait aucune des demandes étudiantes et que son gouvernement ne tolérerait plus la contestation sociale, même si cela impliquait l’usage de la force.

Pourtant, les étudiants continuèrent à manifester. Le 13 septembre, ils organisèrent une marche silencieuse pour prouver au public que, contrairement aux allégations gouvernementales, ils n’avaient aucune volonté d’être violents et irresponsables. Alors qu’approchait la date du 12 octobre, début des Jeux olympiques, le président Diaz Ordaz et son gouvernement décidèrent d’envoyer l’armée occuper les campus de l’UNAM et de l’IPN, bastions du mouvement. La population s’indigna de voir la traditionnelle autonomie de l’UNAM violée – autonomie qui interdisait la présence des forces de l’ordre sur le campus. Des affrontements éclatèrent entre les manifestants et les forces de l’ordre et durèrent plusieurs jours. Des centaines d’étudiants et d’enseignants furent battus et arrêtés. Pour dénoncer de telles violences et l’occupation militaire des campus, le CNH appela à un rassemblement suivi d’une manifestation pour le 2 octobre à la Plaza de las Tres Culturas, dans le quartier du Tlatelolco de Mexico City.

2 octobre 68 : le massacre du Tlatelolco

Le 2 octobre, près de 15 000 personnes se rassemblèrent pacifiquement au Tlatelolco pour entendre les orateurs et se préparer à marcher sur le campus du Casco De Santo Tomas de l’IPN. Pendant les discours, des hélicoptères du gouvernement qui survolaient la zone larguèrent sur la foule ce qui semblait être des fumigènes de signal. Juste après, des unités spéciales de l’armée firent irruption sur la place avec des tanks, enfermant les manifestants dans une nasse. Pendant qu’ils s’approchaient, des snipers placés dans des bâtiments voisins ouvrirent aveuglement le feu, abattant étudiants et soldats. La confusion était totale. Des soldats commencèrent à retourner le feu et l’on s’enfuit sans savoir qui tirait sur qui. Simultanément, un groupe d’hommes armés, habillés en civil et la main gauche couverte d’un gant blanc, envahirent le bâtiment pour arrêter les meneurs de la CNH qui prononçaient leurs discours. Lorsqu’enfin la fusillade cessa, on dénombra plus de 300 morts (en réalité sans doute beaucoup plus) : étudiants, militaires, civils. Le gouvernement fit plus tard état de 1 345 arrestations.

Ce massacre était une offensive planifiée par le gouvernement qui l’avait nommée « Opération Galeano ». Les troupes avaient reçu l’ordre d’étouffer une bonne fois pour toutes le mouvement en investissant la place et en arrêtant les meneurs. Les hommes au gant blanc appartenaient au « Bataillon olympique », une unité mise sur pied pour protéger les JO. Par ailleurs, la troupe n’avait pas été informée de la présence d’une unité du Haut commandement présidentiel (EMP) sur les étages supérieurs des bâtiments entourant la place alors que les EMP avaient expressément reçu l’ordre de faire feu sur la foule afin d’induire une réaction de la troupe et de provoquer un massacre dans les deux bords.

Le gouvernement tenta de masquer l’ampleur du désastre dans les jours qui suivirent. Le massacre était présenté par les médias officiels comme une révolte violente des étudiants qui aurait forcé l’armée à intervenir. Le gouvernement annonça qu’il n’y avait eu « que » 43 morts. En réalité, de nombreuses personnes furent portées disparues et l’on sait que des corps ont été lâchés par avion dans le Golfe du Mexique. Il n’y eut aucune enquête de la part du gouvernement sur cette tragédie et beaucoup de temps s’écoula avant que les gens découvrent le sort terrible qui avait été réservé à leurs proches. Certains ne le connurent jamais.

Et le 17 octobre, lors de la remise des médailles du 200 mètres à ces JO de Mexico, comme en écho à la révolte étudiante, les athlètes noirs Tommie Smith et John Carlos, médailles d’or et de bronze du 200 mètres, levèrent leur poing ganté symbole du pouvoir noir, en signe de défi contre le drapeau américain… 

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Numéro 120, juin-juillet-août 2018