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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 64, juillet-août 2009

Lear — Oise (équipementier automobile, PSA) : un combat de 11 semaines

Mis en ligne le 3 juillet 2009 Convergences Entreprises

Les ouvriers de Lear à Lagny-le-sec, dans l’Oise, en grève depuis le 6 avril, ont cessé le conflit le 18 juin. Onze semaines de grève et, pour finir, un accord qui prévoit, pour les travailleurs qui acceptent d’aller travailler dans l’usine de sièges de Cergy, 18 500 euros de prime et la garantie de leur salaire actuel (ils auraient sinon perdu entre 280 et 400 euros par mois sans la grève), pour ceux qui quittent l’entreprise 23 500 euros de prime en plus des indemnités légales de licenciement. La direction annule 15 licenciements pour faute lourde qu’elle avait décidés pendant la grève. Une centaine de grévistes ont par ailleurs constitué des dossiers en justice pour attaquer cette la direction pour défaut de PSE (plan social).

Cela peut apparaître peu de choses, surtout pour faire face au chômage. Mais c’est quand même plus que ce que les ouvriers auraient eu s’ils s’étaient laissé faire, notamment pour ceux qui seraient partis à Cergy avec une énorme perte sur leur salaire.

PSA en première ligne

Surtout, les 175 grévistes (dont 80 très actifs), organisés en AG souveraines chaque jour et en comité de grève élu, peuvent être fiers d’avoir tenu la dragée haute non seulement à Lear mais au groupe PSA.

Car, derrière Lear, c’est PSA qui est aux manettes. C’est le donneur d’ordres qui décide aujourd’hui d’une vaste restructuration de toute sa filière de production, y compris en dictant la fermeture d’usines chez les sous-traitants, tout en recevant 3,5 milliards d’euros de l’État en échange… de la promesse de ne pas fermer de sites en France !

Plusieurs conflits ont éclaté chez les sous-traitants, menaçant parfois l’approvisionnement et donc la production des usines du groupe. Parfois, PSA a lâché du lest. Ainsi, à Faurecia Auchel (propriété à 71 % de PSA) dans le Nord : après un conflit de presque un mois, avec interventions de policiers et de vigiles, une centaine de postes (sur 500) ont été maintenus et une prime extra-légale de 50 000 euros net accordée. Mais, pour Lear, la direction de PSA a décidé de ne pas céder.

Une intransigeance qui lui a pourtant coûté cher. Jusqu’à 18 000 véhicules ont été produits sans sièges par l’usine d’Aulnay. La direction a dépensé des sommes considérables pour faire venir des sièges de Madrid ou faire monter des sièges hauts de gamme sur ses véhicules bas de gamme, dérogeant ainsi aux normes ISO. Les concessionnaires ont dû faire patienter tous les clients ne voyant toujours pas venir leurs voitures. Aujourd’hui encore, la direction de l’usine d’Aulnay veut entretenir des équipes d’intérimaires pour monter des sièges jusqu’au mois d’août inclus pour rattraper son retard. Au total PSA et Lear ont probablement davantage dépensé pour battre la grève que s’ils avaient accordé les indemnités demandées (40 000 euros).

Face à cette hargne patronale, qui s’est traduite aussi par l’envoi de 25 vigiles à Lagny, les Lear ont tenté tout ce qui était à leur portée. Le problème est que, dans les premières semaines, ils n’ont pas réussi à étendre leur mouvement à l’usine Lear de Cergy. Celle-ci fonctionnait à plein régime, l’équipe syndicale CGT avait d’ailleurs été entièrement licenciée peu avant sous prétexte de faute lourde, et les Lear de Lagny étaient trop peu nombreux pour réussir une manifestation impressionnante devant Cergy, encore moins pour pénétrer à l’intérieur de l’usine. Ils se sont aussi cherché des alliés en allant voir d’autres entreprises soumises comme la leur aux fermetures et licenciements. Mais ils se sont assez vite retrouvés seuls à se battre dans leur secteur géographique, aux côtés bien sûr des salariés de Continental, leurs premiers alliés, Kuhne-Nagel et Sodimatex, ayant repris le travail début mai.

Une combativité exceptionnelle

Mais, loin de se décourager, les grévistes ont fait preuve d’une combativité exceptionnelle.

Ils se sont battus aux côtés des Conti. Le 1er mai, le 26 mai, ils ont manifesté à Compiègne avec eux. Le 18 mai ils sont venus devant la Bourse à Paris, pour aider les Conti à faire pression sur les négociations devant débuter le lendemain à Francfort. Auparavant, 120 Conti avaient donné un coup de main aux Lear en les accompagnant devant la sous-préfecture de Senlis pour réclamer des comptes au sous-préfet Schmidt, qui a envoyé les gendarmes mobiles pour « protéger l’usine » de Lagny et contraindre les piquets à lever le blocage des entrées.

Surtout, les Lear ont cherché à maintenir la pression sur PSA. Le 3 juin, ils se sont rendus en manifestation à l’AG des actionnaires du groupe, rue de la Grande-Armée à Paris, afin de dénoncer la façon dont le groupe supprime partout des emplois pour pouvoir continuer tranquillement d’engraisser ses actionnaires, à commencer par la richissime famille Peugeot. Pendant une heure nos braves rentiers ont dû contourner le bâtiment et s’infiltrer par une petite porte, à l’abri des forces de police, pour aller célébrer leur grand’messe du profit.

Les Lear se sont aussi rendus plusieurs fois devant l’usine d’Aulnay. Le 2 juin, la direction de l’usine, DRH en tête, s’est approchée un peu trop près des manifestants derrière les grilles. Dommage pour leurs costumes. Un jet de 300 œufs bien frais les a accueillis dignement. Autre bon tour pour faire enrager la direction de PSA : les Lear, avec le soutien d’Arlette Laguiller, sont allés au-devant des clients de PSA, aux succursales commerciales de Pantin et de Porte d’Italie, leur expliquer pourquoi leurs voitures n’étaient toujours pas là. Très bon accueil, y compris des garagistes et des commerciaux des succursales.

Deux politiques

Convaincus que seule une conjonction des luttes pourra changer vraiment le rapport de force, ils ne se sont pas fait prier non plus pour se joindre aux Molex de Toulouse, autres sous-traitants de PSA. Sur proposition du secrétaire de la fédération CGT des métaux, Ducret, les Lear et des délégations CGT de PSA Aulnay et Saint Ouen sont venus les accueillir à la gare d’Austerlitz et les ont accompagnés jusqu’à Bercy. Ce jour-là, dans une ambiance fraternelle, les Lear ont pourtant eu l’occasion de mesurer l’écart entre leur politique… et celle de la direction nationale de la CGT. Sous les yeux un peu ébahis des Lear, des militants CGT de PSA, et d’Olivier Besancenot venu soutenir lui-aussi, Ducret a « interpellé » (pour la millionième fois ?) les pouvoirs publics dans sa prise de parole. En substance : le gouvernement français a dit vouloir verser des milliards pour défendre l’emploi français, les investissements français, dans les entreprises françaises, il doit tenir parole et imposer que son argent serve réellement à cela… Un discours assez radicalement… patriotique, demandant au gouvernement de tenir les promesses qu’il foule au pied depuis le début de la crise, alors que le problème de l’heure n’est certes pas de pleurnicher ou d’interpeller le pouvoir, mais de créer un rapport de forces. Ne serait-ce qu’avec les deux millions de travailleurs de la métallurgie que compte le pays !

Le 6 juin, les Lear manifestaient à nouveau à Compiègne, cette fois avec les Conti et les Goodyear d’Amiens, en lutte contre 820 licenciements (sur les 1 400 emplois que compte encore leur usine). Ambiance combative pour cette quatrième manifestation commune des salariés du pneu en quinze jours ! Après un barbecue géant, 250 Continental, 700 Goodyear, une soixantaine de Lear, plus un millier de manifestants venus les soutenir, ont défilé dans les artères bourgeoises du centre-ville après avoir brûlé deux cents pneus sur le pont au-dessus de l’Oise. Entre les Conti et les Goodyear, il y a comme un passage de témoin. Entre des Conti pêchus, car satisfaits d’avoir arraché à leur patron bien plus d’argent que les miettes qui leur étaient données au départ, et des Goodyear pêchus, car très en colère, très déterminés. Après la prise de parole fraternelle de Xavier Mathieu de Continental, un des responsables de la CGT de Goodyear affirme son souhait de suivre l’exemple des Conti, de faire preuve de la même combativité. Il précise aussi : on va essayer non seulement d’arracher du fric comme vous, mais aussi de sauver nos emplois. C’est notre priorité. Et comme on n’y arrivera pas sans le tous ensemble, alors le tous ensemble on va essayer de le faire.

Un clou enfoncé juste après par un des membres du comité de grève des Lear qui, en racontant leurs longues semaines de lutte, a suscité l’émotion de tous les travailleurs présents à la manif. Avec un avertissement : « Si vous restez isolés comme nous, vous n’aurez que des miettes. »

C’est qu’effectivement la lutte actuelle, bien réelle, des équipementiers de l’automobile, pour ne prendre que l’exemple de ce secteur, a quelque chose d’absurde dans son émiettement. Depuis des mois, des conflits ont éclaté chez Visteon (Belfort) et ThyssenKrupp (Orne) sur les salaires, et puis contre les licenciements chez Faurecia Auchel (Nord), Faurecia Mompatelise (Vosges), Molex, Sodimatex, Trèves, Accuments, Fulmen, Sachs, Sonas, Valeo, Inoplast, Rencast, Livbag, Simoldes… Liste non exhaustive ! Unifier toutes ces révoltes, ce sera l’enjeu essentiel des mois à venir. Cela ne pourra être l’œuvre que des travailleurs en lutte eux-mêmes, et des équipes militantes qui sont réellement à leur service.

25 juin 2009

Gilles BOCCARA

Bernard RUDELLI

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