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Le chômage : un fléau qui se propage aussi vite que le Covid-19

22 avril 2020 Article Économie

Depuis le début du mois de mars, les chiffres du chômage battent tous les records dans le monde. Certains États ont mis en place ou renforcé des dispositifs de chômage partiel pour éviter aux patrons de débourser les salaires durant le confinement. Il s’agirait de préserver le « tissu productif », c’est-à-dire de permettre le redémarrage de l’exploitation au plus vite sans avoir à réembaucher ou former de nouveaux salariés. Les salariés eux, y perdent du salaire, mais même cela ne suffit pas à endiguer un chômage qui explose littéralement. Sans attendre « l’après », les travailleurs sont déjà en train de payer les conséquences économiques de la crise sanitaire.

Un pic de chômage sans précédent aux États-Unis

L’exemple le plus frappant, largement relayé par la presse, est celui des États-Unis. Un record absolu a été battu avec 20 millions de nouvelles demandes d’inscription à l’allocation chômage en quatre semaines. Un pic dix fois supérieur à celui de 2009. Et ce décompte ne concerne que ceux qui s’inscrivent au chômage, qui, avant l’épidémie, ne représentaient que le tiers du nombre officiel de chômeurs. Le taux de chômage dépasse déjà 10 % et pourrait vite s’élever à 30 % selon le directeur de la Réserve fédérale de Saint-Louis. Ceux qui veulent s’enregistrer se retrouvent face à des services saturés. Certains ont dû appeler plus de 700 fois ou patienter 12 heures en attente avant d’avoir quelqu’un au bout du fil, tandis que le site web plante fréquemment sous la surcharge de requêtes. Tout cela pour une indemnité misérable. Dans ce pays, le plus riche de la planète, les travailleurs licenciés en masse se retrouvent sans ressources du jour au lendemain.

En Europe, chômage et chômage partiel grossissent de jour en jour

La situation n’est pas si différente en Europe. En Norvège, le taux de chômage est passé de 2,3 % à 10,4 % en un mois et, en Suède, 14 000 salariés ont reçu une lettre de licenciement la seule semaine du 16 au 22 mars, selon le journal Le Monde [1]. En Autriche, le taux de chômage a atteint 25 % en quelques semaines, malgré la mesure de chômage partiel payée par l’État.

Au Portugal, la compagnie aérienne TAP, détenue à 50 % par l’État, et sa filiale de services aéroportuaires ont été les premières à licencier, avant que d’autres ne suivent. La TAP a ensuite mis 90 % de son personnel au chômage partiel. Les licenciements se sont aussi multipliés dans l’hôtellerie et la restauration, où travaillent de nombreux précaires. Jusqu’au Sporting Portugal, le club de football lisboète, qui a mis ses salariés au chômage partiel et réduit le salaire des joueurs de 40 % ! Pour rappeler qu’il est « de gauche », le gouvernement portugais a régularisé tous les demandeurs d’asile… jusqu’au 1er juillet. Il s’agit en fait uniquement qu’ils puissent se soigner, afin de ne pas devenir un vecteur du virus. Dans la même veine, la mairie de Lisbonne a suspendu jusqu’en juin les loyers dans les HLM, mais qui devront être payés ensuite.

En Espagne, où le chômage était déjà élevé (13,8 % avant le confinement), 3,9 millions de salariés sont au chômage partiel payé à 70 %, mais avec obligation de rattraper les heures à la sortie. Les licenciements ont été officiellement interdits pendant le confinement, mais 900 000 ont quand même eu lieu en mars, notamment de personnes en CDD. Dans ce pays où le tourisme pèse 12 % du PIB, le FMI prévoit un chômage à 21 % pour « l’après ».

Au Royaume-Uni, les employés au contrat zéro heure (un contrat en CDI qui ne garantit pas le nombre d’heures travaillées… et donc le salaire) subissent de plein fouet l’arrêt de l’activité, n’ayant pas même besoin d’être licenciés. Entre le 16 et le 31 mars, 950 000 personnes ont sollicité le bénéfice de la prestation sociale universelle (qui remplace le chômage depuis 2012). Le taux de chômage, qui était officiellement à 3,7 % avant la crise, devrait atteindre 10 % en avril. Le gouvernement a mis en place un système de chômage partiel un peu particulier : les employeurs peuvent mettre leurs salariés « en congés », mais pour un minimum de trois semaines sans pouvoir faire alterner les salariés. Ceux-ci sont alors payés à 80 % aux frais de l’État… sans garantie de récupérer leur emploi au bout [2] !

Crédit photo : fdecomite / FlickR.

En Allemagne, habituée des mesures de chômage partiel, 470 000 entreprises y avaient déjà fait appel au 31 mars, soit neuf fois plus que durant la crise de 2008. Les géants de l’automobile, BMW, Daimler et Volkswagen, ont mis à eux seuls 200 000 travailleurs au chômage partiel, qui sera payé à 67 % par l’État. Ces aides publiques n’ont pas dissuadé ces trois grands groupes de verser 7,5 milliards d’euros de dividendes aux actionnaires cette année.

En France aussi, le chômage explose

En France, 8,7 millions de travailleurs sont en chômage partiel à la date du 14 avril [3] : pas loin d’un salarié du privé sur deux ! Leur nombre ne cesse de s’envoler, si bien que le gouvernement a dû tripler à 24 milliards d’euros l’enveloppe initialement prévue.

Certains patrons ne se gênent pas pour faire travailler quand même les salariés sur leur chômage partiel. À l’exemple d’une agente commerciale d’une société immobilière, dont le contrat est « suspendu », mais qui continue de recevoir des demandes de rapports de sa hiérarchie, ou d’une salariée dans l’événementiel, dont la direction affirme (par écrit) que le personnel est en chômage partiel à 90 % du temps, mais à qui l’on demande (à l’oral) de travailler à temps plein [4].

Par ailleurs, 1,7 million de salariés sont arrêtés pour garde d’enfant et 400 000 en raison de leur vulnérabilité ou celle de proches. Ces arrêts sont supposés être payés à 90 % : 50 % par la Sécurité sociale et 40 % par l’employeur, mais plusieurs salariées en garde d’enfants ont eu la mauvaise surprise de découvrir en fin de mois que l’employeur n’avait pas payé sa part… au prétexte qu’elles étaient embauchées depuis moins d’un an. Payer 40 % du salaire, c’est encore trop pour les patrons ! Alors, après les congés imposés, le gouvernement a décidé de basculer tous les arrêts en chômage partiel à partir du 1er mai. Les employeurs n’auront ainsi plus à payer leur part.

Ces mesures n’ont pas empêché les licenciements. Nombre de précaires ont perdu leur travail avec l’épidémie : intérimaires, CDD, saisonniers, intermittents, etc. Des étudiants qui vivent habituellement dans la précarité avec des petits boulots payés à l’heure et souvent au noir se retrouvent dans la galère, dépendant de parents qui subissent eux-mêmes des pertes de revenus.

Dans le bâtiment, 80 % à 90 % des chantiers ont été arrêtés après le 16 mars, parfois à la demande du client [5], mais aussi des patrons du BTP, qui ont voulu se dégager de toute responsabilité, se sachant incapables d’assurer des normes sanitaires acceptables [6]. Pour 80 % des salariés, l’activité a été fermée ou réduite de plus de moitié et la quasi-totalité des entreprises du BTP ont eu recours au chômage partiel [7]. Mais, dans ce secteur où la sous-traitance en cascade est la règle, tout comme l’intérim et le travail au noir, un grand nombre de travailleurs se sont simplement retrouvés sans travail.

Autre exemple, au début du confinement, les stations de ski se sont vidées : la Savoie a perdu 38 % de ses résidents et les Hautes-Alpes 26 % [8]. Des skieurs, mais surtout des saisonniers, priés par les employeurs de plier bagage et dont beaucoup, dans la panique, se sont vu imposer une rupture conventionnelle. La semaine du 15 au 21 mars, le nombre de nouvelles inscriptions à Pôle emploi a bondi de 31 % par rapport à la même semaine de 2019. Sur l’ensemble du mois de mars, le surplus est de 14 %.

Pendant ce temps, les patrons préparent « l’après ». Dans le transport aérien et l’aéronautique, qui s’attendent à une forte baisse d’activité pour les trois prochaines années, les suppressions d’emplois sont déjà annoncées et des salariés ont reçu leur lettre de licenciement.

Maurice Spirz


[6Ils ne le sont toujours pas, mais un guide de bonnes pratiques impossibles à tenir a été publié le 3 avril en accord avec le gouvernement qui permet aux patrons du secteur de se dédouaner en cas de maladie, permettant la réouverture de certains chantiers.

[7Dares, « Activité et conditions d’emploi de la main-d’œuvre pendant la crise sanitaire Covid-19 », Synthèse des résultats de l’enquête flash, 17 avril 2020.

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