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La bourse ou la vie !

29 mars 2020 Article Économie

De l’Union européenne au G20, les sommets d’urgence entre chefs d’État se multiplient depuis dix jours. Pour mettre un place une collaboration internationale dans la recherche contre le coronavirus ? Pour échanger des compétences et les moyens pour faire face à l’épidémie ? Pas du tout. Ce qui préoccupe les grands de ce monde, c’est la crise économique et le risque de récession.

Un effondrement des bourses…

À peine le coronavirus débarquait-il en Europe (premier cas identifié le 20 février en Italie) que les capitalistes de la planète commençaient à s’inquiéter pour leurs profits et des risques de faillites. L’exemple de la Chine, qui était confinée depuis un mois, donnait une image peu encourageante de ce qui risquait d’advenir dans le reste du monde. D’autant que la mise à l’arrêt de l’économie chinoise impactait déjà l’économie mondiale et ses chaînes d’approvisionnement.

Après avoir battu des records en janvier, les bourses se sont mises à chuter rapidement fin février. Le 9 mars, début du confinement en Italie, mais aussi jour de la décision de l’Arabie saoudite d’inonder le marché de pétrole, faisant chuter les cours, a vu un premier plongeon brutal des indices boursiers. Un « lundi noir » selon les commentateurs, qui allait vite devenir une « semaine noire » après un nouveau plongeon, plus profond encore, jeudi 12 mars. En une journée, la bourse de Paris perdait 12 %, celle de Francfort 13 %, de Londres 9 %, tandis que le Dow Jones reculait de 10 % à New York, sa pire journée depuis le krach de 1987. En moins d’un mois, les principaux indices boursiers ont perdu plus du tiers de leur valeur.

… dont les grands patrons ont su tirer profit

Avec la chute des cours, les gros actionnaires ont vu leur fortune fondre. Lors de la « semaine noire », Bernard Arnault a perdu 14 milliards de dollars : une fortune volatilisée aussi vite qu’il l’avait gagnée. Nulle crainte, avec les 85 milliards qu’il lui reste, il ne sera pas sur la paille. Et à quelque chose malheur est bon : comme l’a révélé le Canard enchaîné du 18 mars, les patrons du CAC 40 en ont profité pour racheter quelques milliers d’actions à prix bradé. Bernard Arnault a acheté pour 20 millions d’euros d’actions LVMH 25 % moins cher qu’en janvier, pendant que Sébastien Bazin, PDG du groupe Accor, s’offrait un rabais de 40 % sur ses 50 000 nouvelles actions. Quant à la famille Peugeot, qui devait racheter une part du capital de PSA en vue de la fusion avec Fiat, elle y a vu une aubaine, faisant 240 millions d’euros d’économies sur les 40 millions d’actions qu’elle vient d’acquérir.

Ces grands patrons ne vont pas se laisser refroidir par la crise boursière. Leur fortune mesurée au cours du jour à la bourse peut bien faire des yoyos, leur vraie richesse vient de l’exploitation des travailleurs. Leur seule inquiétude serait que d’autres capitalistes profitent comme eux du prix réduit des actions pour lancer des opérations de rachat et leur souffler la direction du groupe.

Ils savent bien que les géants du CAC 40 ne mettront pas la clé sous la porte : l’État renflouera les caisses si besoin. Crise boursière ou pas, les grandes entreprises en sont plutôt à distribuer des dividendes record : 359 milliards d’euros pour les entreprises européennes. Seul hic pour les actionnaires du CAC 40, les 55 milliards de dividendes annoncés passent mal au moment où le Medef réclame l’aide de l’État pour renflouer la trésorerie des entreprises. Bruno Le Maire, qui avait appelé à la modération dans le versement des dividendes, s’est même senti obligé de taper du poing sur la table, lors de sa rencontre avec les « partenaires sociaux » vendredi 27 mars, menaçant de refuser les reports d’échéances fiscales aux entreprises qui verseraient des dividendes en 2020.

Les banques centrales décidées à intervenir auprès des banques

Si certains patrons et gros financiers comme Georges Soros ou Warren Buffet savent bien tirer leur épingle du jeu dans les crises boursières, celles-ci ne sont pas pour autant une bonne nouvelle pour l’économie capitaliste. Elles fragilisent les banques et les institutions financières, à commencer par les fonds de pension. Des milliers de travailleurs dans le monde voient ainsi leur retraite menacée. Le vacillement de la finance s’ajoute aux difficultés de la production et des échanges commerciaux entrainées par la progression du virus et le confinement d’un grand nombre de travailleurs.

Les banques centrales et les États sont alors intervenus avec pour objectif d’éviter des faillites en renflouant les entreprises et les banques. Et peu importe le prix, la facture sera présentée aux travailleurs à coups de suppressions d’emplois, d’austérité et d’une exploitation accrue.

Les moyens conventionnels des banques centrales pour distribuer de l’argent facile sont limités, car elles ne sont jamais parvenues à redresser leurs taux directeurs après la crise de 2008. La banque centrale européenne (BCE) prête déjà aux banques à taux zéro depuis 2016 et la banque centrale américaine, la Réserve fédérale (Fed), s’y est résolue dès le 15 mars, partant d’un niveau déjà réduit. Elles ont alors ouvert des lignes de crédit illimitées aux banques, qui pourront se renflouer tant qu’elles voudront et sans frais… et sont ainsi supposées accorder de nouveaux crédits aux entreprises et aux particuliers (avec l’argent de la BCE et de la Fed).

Des milliards pour débarrasser les capitalistes de leurs titres « pourris »

C’était encore insuffisant pour rassurer les financiers, dont les peurs moutonnières sont l’un des facteurs d’instabilité de l’économie capitaliste. C’est donc avec des centaines de milliards d’euros, de livres sterling ou de dollars que les banquiers centraux vont arroser les marchés financiers par des rachats de titres [1]. Après un premier plan de 120 milliards d’euros annoncé le 12 mars, la BCE a rajouté 750 milliards le 18 mars pour « calmer les marchés ». Avec les 20 milliards d’euros mensuels déjà décidés en novembre 2019, cela fait 1 050 milliards d’euros mis sur la table pour les neuf prochains mois. La Banque d’Angleterre a engagé 200 milliards de livres supplémentaires (220 milliards d’euros). Côté américain, après avoir engagé 700 milliards de dollars (640 milliards d’euros) le 15 mars, la Réserve fédérale a sorti la grosse artillerie : un montant… illimité !

Les banques centrales se sont ainsi engagées à racheter en masse bons du trésor et obligations d’entreprises pour en soutenir le cours. Et, comme si cela ne suffisait pas, la Fed a élargi ses achats à tous les titres possibles : prêts hypothécaires, obligations municipales, emprunts à court terme, crédits à la consommation, tout sauf les actions… pour l’instant. Les banques et institutions financières pourront récupérer du cash auprès de la Fed (banque centrale des USA) et des autres banques centrales en se débarrassant à bon prix des titres « pourris » dont elles ne veulent plus. Aux banques centrales d’essuyer ensuite les pertes en cas de cessation de paiement.

Aux milliards mis à disposition par les banques centrales s’ajoutent ceux apportés par les États eux-mêmes : 345 milliards d’euros en France (quasiment le budget annuel de l’État français), 600 milliards en Allemagne, 300 milliards de livres au Royaume-Uni, 2 000 milliards de dollars aux États-Unis. Pour l’occasion, la Commission européenne a même décidé de faire sauter les verrous budgétaires. Les États membres pourront dépasser les fameux 3 % de déficit… ce qu’ils avaient déjà prévu de faire de toute façon, sans attendre la permission. Ils pourront également voler au secours de leurs entreprises sans se faire rappeler à l’ordre sur les règles européennes de la concurrence non faussée.

À chaque État sa dette

Pour fournir ces aides aux entreprises et aux banques, alors que les recettes fiscales sont en chute libre, les États vont devoir emprunter… aux banques. Et les banquiers les ont vu venir. Depuis le 9 mars, début du confinement en Italie, les taux d’intérêt sur les dettes publiques sont remontés. Même s’ils restent pour le moment relativement bas et sont légèrement retombés après un pic au 18 mars, le spectre de la crise pas si lointaine des dettes souveraines ressurgit. D’autant que l’Espagne et l’Italie, qui payaient déjà des taux plus élevés que la France et l’Allemagne après avoir été durement touchés par la crise de 2008, sont aussi les premiers pays touchés par les conséquences financières du Covid-19. En deux semaines, les écarts de taux d’intérêt se sont à nouveau creusés entre pays européens : pour des titres à 10 ans, cela va, au 28 mars, de – 0,5 % pour l’Allemagne à 1,6 % pour la Grèce en passant par 0,1 % pour la France, 0,5 % pour l’Espagne et 1,3 % pour l’Italie.

Dans cette affaire cependant, la solidarité entre gouvernants (y compris européens), et donc entre leurs mandants, les capitalistes de chaque pays, a ses limites. Lors du sommet d’urgence européen du 17 mars, le président du Conseil italien, Giuseppe Conte, a proposé l’émission de titres de dette européens, des « eurobonds », rebaptisés pour l’occasion « coronabonds ». Ceux-ci permettraient aux États les plus en difficulté de bénéficier de la garantie des États plus forts et donc d’un taux d’intérêt réduit. Contre toute attente, Macron s’y est dit consentant. Après réflexion, Angela Merkel, appuyée par le Premier ministre néerlandais, Mark Rutte, y mettait son véto, proposant au mieux d’activer le Mécanisme européen de stabilité (MES), un fonds de 410 milliards d’euros destiné à venir en aide aux États en difficulté. Les grandes puissances européennes, notamment l’Allemagne mais aussi jusqu’ici la France, ne sont pas favorables à une dette européenne dont les différents États risqueraient de se laver les mains. Une politique d’autant plus facile à tenir quand on paye soi-même les taux les plus bas ! Mais la crise frappe depuis moins d’un mois et les États ont déjà commencé à déployer tout l’arsenal de mesures imaginées après 2008 pour sauver les profits capitalistes. Une dette européenne sera peut-être la prochaine étape. La question est surtout de savoir qui des patrons ou des travailleurs vont la payer : ce sera une question de rapport de forces entre eux et nous.

Maurice Spirz


[1Cette politique monétaire, appelée « quantitative easing », consiste à racheter aux banques et institutions financières des titres financiers, en général des bons du trésor ou obligations d’entreprise. Elle a été largement utilisée par la Fed en 2008. La BCE s’y est refusée jusqu’en 2015, préférant imposer des politiques d’austérité, avant de s’y résoudre face aux difficultés posées par la crise de l’euro. Elle est très prisée de la gauche réformiste, notamment le rachat de titres de dette publique pour réduite les taux d’intérêt. Cependant, cela revient à faire tourner la planche à billets et donc à favoriser une inflation qui pèse in fine sur les salaires.

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