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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 57, mai-juin 2008

La « position commune » sur la représentativité : aux convenances du Medef… et des bureaucraties syndicales majoritaires

Mis en ligne le 13 mai 2008 Convergences Politique

« Je veux rendre hommage aux syndicats, qui ont eu une attitude responsable lors des conflits sociaux récents, même s’ils n’étaient pas d’accord, ce qui est leur rôle »,a assuré Sarkozy lors de son dernier entretien télévisé, réitérant l’hommage en question à plusieurs reprises ! Cette déclaration d’amour n’est pas que platonique. C’est Sarkozy lui-même qui avait lancé la discussion entre « partenaires sociaux » sur la « représentativité syndicale », afin de « revivifier la démocratie sociale ». Il s’est d’ailleurs réjoui, dans une tribune du Monde du 18 avril intitulée « Pour des syndicats forts », de la conclusion de la discussion par une « position commune » – en fait un accord – le 11 avril dernier.

Nul doute que «  la démocratie sociale  » soit le cadet de ses soucis, mais que sa préoccupation soit, comme celle du Medef, «  la fluidification des relations sociales  », pour reprendre l’expression de Gautier-Sauvagnac. Ces gens-là sont pour un syndicalisme fort… à condition qu’il leur mange dans la main et soit efficace à amortir les coups venant des travailleurs.

Le gouvernement prévoit donc de légiférer cet été sur la représentativité.

Il se trouve que le paysage syndical a quelque peu changé ces dernières années, de nouveaux syndicats sont apparus et ont parfois acquis du poids dans certains secteurs. Les nouveaux venus sont « Solidaires » (SUD), l’UNSA, la FSU…

Qu’est-ce que Sarkozy et le Medef veulent changer ?

D’abord redéfinir quels syndicats peuvent d’emblée participer aux diverses élections professionnelles, délégués du personnel ou délégués aux comités d’entreprises, et le cas échéant lesquels peuvent mandater des délégués ou représentants syndicaux. Ces derniers, rappelons-le, disposent tous pour exercer leur fonction, d’heures sur le temps de travail ainsi que de relatives protections légales contre les licenciements. Ensuite quels syndicats peuvent participer aux discussions et signer des accords, que ce soit au niveau de l’entreprise, de la branche, ou interprofessionnel. Enfin revoir les règles qui accompagnent la « représentativité » syndicale, avec ses « retombées » notamment en matière de financement de l’État, voire du patronat.

La loi actuelle : Pour qui ? Pour quoi ?

Jusque-là, seuls les syndicats reconnus représentatifs à l’échelle nationale ont le privilège de pouvoir présenter des listes au premier tour dans les élections de délégués du personnel et représentants au comité d’entreprise, ainsi que de nommer des délégués syndicaux ou le cas échéant des représentants syndicaux au CE. Cela quel que soit leur nombre d’adhérents. Tous les autres peuvent voir leur liste refusée par le patron, ou contestée par les autres syndicats. Il ne reste à ceux qui ne disposent pas de la représentativité automatique – dite présomption irréfragable de représentativité – que la possibilité de se présenter à un second tour éventuel. Ce que permet la loi à condition qu’au premier tour le quorum de 50 % de votants ne soit pas atteint. Ou encore d’aller faire la preuve de leur représentativité devant les tribunaux, donc d’être conduits ainsi à dévoiler le nombre de leurs adhérents et autres renseignements, sans aucune garantie de gagner leur procès. Hors la bénédiction d’un syndicat dit représentatif, il est presque impossible pour de simples travailleurs de se présenter aux suffrages de leurs camarades, comme c’était pourtant le cas après Juin 36.

Les textes qui régissent ce monopole de quelques grandes centrales syndicales résultent de l’après-guerre, période à laquelle le PCF, sous De Gaulle, était associé au gouvernement et veillait à ce que la classe ouvrière s’applique à «  produire d’abord, revendiquer ensuite  », selon son slogan du moment. Les comités d’entreprises, organes de collaboration de classes, furent ainsi créés par une loi de février 1945. La loi soumettait l’élection des représentants aux CE, comme ensuite celle des délégués du personnel par la loi d’avril 1946 – qui porte le nom du ministre du Travail PCF du moment, Ambroise Croizat – à la présentation des candidats par un syndicat « représentatif », en créant ce quasi monopole. Le parti de Maurice Thorez et de Jacques Duclos bénéficiait ainsi au travers de la CGT d’un puissant relais syndical au sein des entreprises. Avec la guerre froide, une loi de février 1950 lui fit partager la « représentativité » avec d’autres centrales syndicales : CFTC, FO, et CGC.

La loi a été revue en 1966. Mais essentiellement pour inclure, parmi les bénéficiaires, la CFDT qui venait de se constituer à partir d’une scission de la CFTC.

De l’avantage d’être « représentatif »

Outre le quasi monopole des élus, il y a évidemment aussi celui de la signature d’accords avec les organismes patronaux aux différents étages. Cela s’accompagne d’avantages auxquels les confédérations « représentatives » tiennent beaucoup. Il s’agit de la présence dans les organismes paritaires, comme dans les caisses de l’assurance chômage, à la Sécurité sociale, dans les mutuelles, les caisses de retraites complémentaires, les organismes de formation professionnelle, etc. Mais aussi dans les conseils économiques et sociaux, voire occasionnellement de conseillers dans les ministères. De quoi assurer de nombreux postes à l’appareil syndical. Sans compter les aides ou subventions directes qui existent déjà comme celles concernant la formation syndicale, ou de petites subventions patronales au niveau de l’entreprise découlant des lois Auroux d’août 1982. Ou encore dans certaines entreprises, « le chèque syndical » permettant aux patrons de rémunérer les syndicats en fonction du nombre de leurs adhérents.

Au bonheur de la CGT et de la CFDT

Au lendemain de la discussion sur la représentativité, les organisations patronales, sauf l’UPA (artisans), affichèrent leur satisfaction. La CGT et la CFDT aussi. La commission exécutive confédérale de la CGT a même voté l’approbation à la « position commune » du 11 avril cinq jours plus tard, à l’unanimité. La CDFT a attendu le dernier moment, la veille du 23 avril, pour annoncer qu’elle signerait mais ce ne fut pas un scoop. Des concessions avaient été faites pour faire signer notamment la CGC (que la représentativité soit mesurée dans les seules catégories que les syndicats catégoriels ont vocation à représenter, en l’occurrence les cadres) et la CFTC (le pourcentage minimum pour la représentativité, permettant de discuter et de signer des accords, ramené du seuil de 10 % dans les entreprises à 8 % dans les branches), mais en vain. La CGC comme la CFTC ont finalement annoncé qu’elles ne signeraient pas. FO avait fait connaître dès la fin de la discussion son refus catégorique de signer la « position commune ». Ces syndicats craignent avec les nouveaux seuils de perdre leur rôle d’interlocuteurs patentés dans nombre d’entreprises et dans certaines branches.

La CGT et la CFDT revendiquaient la révision des règles de la représentativité. Elles aussi au nom de « la démocratie sociale ». Au niveau des entreprises, ces syndicats se font souvent « coiffer au poteau » par d’autres concurrents, tout aussi « représentatifs » au niveau de la loi… que peu représentatifs au niveau du personnel, comme la CGC, FO, la CFTC. La CGT et la CFDT voient d’un mauvais œil les patrons se passer ainsi de leurs services pour avaliser des accords, souvent sans doute en « soutenant » par en dessous les appareils concurrents et minoritaires. Voilà ce qui a poussé la CGT et la CFDT à réclamer que la représentativité soit mesurée au nombre des suffrages recueillis aux élections et à demander que les seuls accords valables soient ceux signés par des syndicats majoritaires, quitte à permettre à de nouveaux venus – néanmoins concurrents – de devenir représentatifs à certains niveaux.

Les accords seront désormais valables à partir du 1er janvier 2009, dans un premier temps à condition que les signataires représentent 30 % et que les syndicats majoritaires ne s’y opposent pas. Ces seuils ne gêneront la plupart du temps ni la CGT ni la CFDT, ils serviront surtout à mettre sur la touche leurs concurrents.

Par ailleurs c’est aussi une réponse à la demande des patrons et du gouvernement, pas forcément rassurés quand des accords sont signés par des organisations trop manifestement minoritaires, leurs paraphes pouvant ne pas être une garantie suffisante au maintien de la « paix sociale ».

Les aspirations des syndicats non reconnus

Les nouveaux syndicats souhaitent aussi que les critères de représentativité soient revus. Ils qualifient tous bien sûr la situation actuelle de système antidémocratique. Il faut cependant y regarder de plus près pour comprendre ce qu’ils entendent par là.

Pour Sud par exemple, la démocratie sociale passe par «  la liberté de présentation au premier tour des élections professionnelles pour tout syndicat légalement constitué et indépendant  ». Sud réclame en matière de financement des organisations syndicales, qu’il se fasse «  sur des critères transparents et sur des principes d’égalité de traitement entre les organisations syndicales  ».

Quant à l’Unsa, son dirigeant Alain Olive « … plaide pour un seuil de 5 % qui pourrait augmenter d’une élection à l’autre  » (interview dans Le Monde du 3 avril). À la question du journaliste lui demandant quels avantages son organisation tirerait de devenir représentative, il répond : «  Cela renforcerait la capacité des partenaires sociaux à négocier. Nous serions dans le pôle réformiste, complémentaires à la CFDT, la CFTC, et la CFE-CGC.  »

La « démocratie sociale » pour ces exclus de la loi actuelle, c’est donc d’abord de leur permettre de monter dans la barque avec les autres organisations reconnues : donner la parole à leur syndicat mais pas directement aux travailleurs, accéder à tous les financements de l’État et du patronat mais pas se battre pour l’indépendance des organisations ouvrières à leur égard.

Le monopole syndical n’a rien à voir avec les intérêts des travailleurs

Le monopole syndical existe actuellement à deux niveaux. Le premier concerne l’élection des délégués. Il n’est pour nous pas acceptable que de simples travailleurs ne puissent se présenter aux suffrages de leurs camarades, comme c’était le cas après Juin 36, et que les appareils bureaucratiques reconnus « représentatifs » par l’État et les patrons aient un droit de veto sur les candidatures. Le second niveau c’est la signature des accords. Lorsque les travailleurs sont en lutte, ce privilège syndical donne ainsi des moyens pour en faire échapper l’issue au contrôle de la base ; et en l’absence de luttes, ces accords consistent en général à des remises en cause d’avantages acquis ou servent à donner des garanties de « maintien de la paix sociale » sur des bases favorables au patronat. Nous sommes en conséquence non seulement contre le monopole de la signature, mais aussi contre le principe de ces accords.

Même si des délégués sans le contrôle d’appareils syndicaux pourraient dans certains cas faire pareil ou pire que ces derniers, ce n’est pas une raison pour patenter les professionnels de la collaboration de classes, voire de la trahison, et leur accorder, ne serait-ce que moralement, un quelconque monopole de la représentation des travailleurs. Car ne l’oublions pas, pour le moment, ce sont les syndicats reconnus, souvent CGT et CFDT en tête, qui signent des accords, soit en retrait sur les droits existants, soit dans les luttes en dessous de ce que le rapport de forces et la combativité des travailleurs permettraient d’obtenir.

Que des militants ouvriers dans les entreprises puissent bénéficier de moyens et de protection, ce qui a d’ailleurs été conquis de haute lutte notamment en Juin 36, c’est bien normal. Mais le financement des organisations ouvrières par l’État et/ou par le patronat, c’est encore autre chose. Nous ne réclamons rien en ce domaine, car c’est un pas supplémentaire dans l’intégration des appareils syndicaux à l’État et à l’ordre social existant. Ce n’est pas gratuitement que Sarkozy propose de revoir le financement des syndicats. C’est pour qu’ils acceptent de jouer le rôle de « partenaires » qu’on leur assigne et non celui de combattants résolus du système d’exploitation capitaliste.

Louis GUILBERT

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