La grève des postiers dans les Hauts-de-Seine
Mis en ligne le 7 mars 2009 Convergences Entreprises
23 centres courrier sur 33 du département des Hauts-de-Seine (92) sont touchés par la grève reconductible débutée le 12 janvier par les facteurs de Boulogne. Fait particulièrement remarquable, les chiffres de la direction indiquent que le nombre de grévistes était, le 19 février, supérieur à celui du 29 janvier. Les grévistes exigent le gel du projet Facteur d’avenir dans les centres où il n’est pas encore mis en place, le gel de la « sécabilité » (cf. encart) dans ceux où il existe déjà, le grade I-3 pour tous les livreurs/collecteurs, une prime de vie chère de 300 € nets par mois et le 13e mois. Les livreurs/collecteurs (aux entreprises), quant à eux, sont en grève de 59 minutes par jour depuis la fin octobre.
Les raisons de la colère
Comme partout en France, le département des Hauts-de-Seine est touché par les restructurations de la filière courrier ces dernières années. Concernant les centres courrier, Facteur d’avenir se met en place progressivement, centre par centre pour éviter un gros conflit. Cela ne se fait pas sans déclencher des grèves parfois dures comme à Colombes ou Rueil-Malmaison (trois semaines de mobilisation en 2007). Actuellement, 14 centres courrier sur 33 dans le département sont déjà passés à Facteur d’avenir .
Concernant le tri, le processus de restructurations baptisé Cap qualité courrier est déjà bien entamé. La PIC (Plate-forme industrielle courrier) de Villeneuve-la-Garenne doit ouvrir en 2011, pour remplacer les trois anciens centres de tri départementaux. Ainsi, La Défense n’est déjà plus un centre de tri mais une PPDC (Plate-forme de préparation et distribution du courrier). Issy-les-Moulineaux n’aura plus aucune activité en jour à compter du 16 mars 2009 puis, dans les mois qui viennent, l’activité en nuit disparaîtra également. Et le centre de tri de Nanterre fermera lui aussi en 2011. Cette restructuration signifiera concrètement la suppression de 300 à 400 emplois.
Parallèlement, depuis la fin de l’été dernier, les circuits collectes du courrier entreprises du nord du département ont été totalement réorganisés, avec déplacement d’agents vers le centre de tri de Nanterre où, sur 42 tournées initiales, il n’en reste plus que 35.
Depuis le mois d’octobre, le conflit des livreurs/collecteurs
Ce sont justement des livreurs/collecteurs déplacés à Nanterre qui sont partis en grève les premiers. On leur avait promis de ne faire que de la collecte, alors qu’ils sont polyvalents et travaillent sur tous les chantiers du centre (tri manuel, tri sur machines...) ; on leur ajoute un avenant à leur contrat de travail selon lequel ils peuvent se retrouver ultérieurement dans tous les départements limitrophes (et l’on sait que Nanterre fermera dans deux ans) ; on leur avait fait miroiter des facilités de promotion (du grade I-2 au I-3)... Mais, selon le directeur du centre, et comme il a osé leur rétorquer au cours d’une audience ultérieure, « les promesses n’engagent que ceux qui les croient » ...
Ainsi, à l’initiative de Sud-PTT-92, et soutenus par la section locale CGT, une quinzaine des livreurs/collecteurs affectés au centre de tri de Nanterre et une trentaine de ceux de La Défense sont partis en débrayages reconductibles de 59 minutes par jour le 20 octobre, rejoints aussitôt par ceux de Rueil-Malmaison, Neuilly-sur-Seine, Colombes, Levallois-Perret, et Boulogne-Billancourt. Ils exigent la reconnaissance de la polyvalence par l’obtention du grade I-3, le 13e mois et une prime de vie chère (300 € net mensuels).
Dès le début, la cinquantaine de grévistes des différents centres ont tout fait pour se rencontrer régulièrement et unifier le mouvement en exigeant de la direction une négociation départementale. Ils sont allés voir les livreurs/collecteurs des centres pas encore touchés par la grève. C’est ainsi que cette mobilisation, certes sectorielle, a commencé à s’étendre et à durer.
Le western de la direction
La direction départementale a commencé par dénoncer des préavis de grève en attaquant Sud en référé au Tribunal et, du coup, sanctionner les grévistes (avertissements, puis blâmes) pour absence de service fait. Sud-PTT-92 a alors immédiatement fait appel et la Poste s’est fait débouter. Elle va même plus loin en interdisant les prises de paroles et en interdisant l’accès des centres aux permanents de Sud, pourtant membres du CHSCT départemental.
Elle essaie également d’empêcher les grévistes d’aller rencontrer d’autres postiers en fermant les grilles, avec comité d’accueil : staff de direction, vigiles supplémentaires, huissiers, et même police. C’est dans ce contexte qu’a eu lieu la fausse chute du directeur du centre de tri de Nanterre et la convocation au commissariat de quatre militants. Vaines tentatives. Les représailles et l’acharnement disciplinaire n’ont pas entamé la détermination des grévistes.
Janvier 2009, les facteurs entrent en grève reconductible
Le centre courrier de Boulogne-Billancourt devait être restructuré en janvier 2009 mais, le 12 janvier, les facteurs partent en grève contre la mise en place de Facteur d’avenir et la sécabilité, pour les salaires et le pouvoir d’achat, reprenant également les revendications du 13e mois et de la prime de vie chère. La grève est majoritaire, la reconduction quotidienne, mais la direction départementale ne lâche rien.
Les grévistes s’organisent. Objectif : étendre la grève dans le département en allant faire des AG dans les autres centres, tout en maintenant le lien avec le mouvement des livreurs/collecteurs.
D’autres centres rejoignent le mouvement, d’abord Rueil-Malmaison le 26 janvier, puis Courbevoie le 27, Neuilly-sur-Seine, Clamart et Colombes le 28, Bagneux et Bourg-la-Reine le 30, Levallois-Perret le 3 février, Asnières-sur-Seine le 4, La Garenne-Colombes et Bois-Colombes le 6, Malakoff-Vanves le 9, Meudon le 10, Bourg-la-Reine et Sceaux le 11, Antony, Clichy-la-Garenne, Le Plessis-Robinson et Garches le 17, et Châtillon et Fontenay-aux-Roses le 19, Issy-les-Moulineaux le 24... Nous en sommes à 23 centres courrier touchés par la grève sur 33 dans le département.
Assemblées générales, actions militantes et décisions démocratiques
Les grévistes des différents centres se réunissent tous les matins en assemblée générale départementale (110 à 160 grévistes présents). On décide collectivement de la reconduite de la grève et des actions à mener le lendemain : partir s’adresser aux autres centres courrier, mais aussi aux centres de tri, avec prises de parole destinées à informer les autres postiers de l’état de la mobilisation et à entraîner tout le département dans la grève. Des actions plus spectaculaires sont régulièrement organisées : visites du siège de La Poste à Paris, du Conseil général des Hauts-de-Seine à Nanterre ou du ministère de l’Équipement et de l’Aménagement du territoire à La Défense pour exiger d’être reçus en délégation, ou encore une manifestation « de ceux qui se lèvent tôt », à 7 heures du matin, dans un concert de casseroles et d’instruments divers, à Neuilly-sur-Seine.
L’après-midi, le comité de grève départemental se réunit pour rédiger tracts, appels, communiqués de presse et mettre au point les modalités des actions retenues en AG le matin pour le lendemain.
La sourde oreille
La Poste ne lâche toujours rien au fil des audiences et négociations, malgré la persistance et l’élargissement du conflit. Elle accentue les pressions, la désinformation (en interne vis-à-vis du personnel, comme en externe) et la répression, notamment envers les militants.
Outre les habituels circuits parallèles de traitement et distribution du courrier ou le recours à l’intérim, tout comme les menaces, intimidations et autres ruses (détournement du trafic...) pour dissuader de faire grève, ou encore les représailles disciplinaires au boulot envers les grévistes de 59 minutes, elle en rajoute. Présence systématique d’huissiers et assignations au tribunal. Mais les grévistes ont appris à se déjouer des vigiles, de la police et des Renseignements généraux pour tous les matins aller faire des AG dans des centres devenus sous haute surveillance.
La direction multiplie parallèlement les fortes mesures disciplinaires anti-syndicales. Deux militants de Sud (dont un permanent, secrétaire départemental) ont été convoqués à la direction départementale au mois de janvier 2009 pour des entretiens préalables au licenciement, où il ne leur est reproché que des faits de militantisme dans le cadre du conflit.
Récemment elle a même dépassé les limites. Le 25 février, des encadrants du centre courrier de Nanterre ont frappé trois grévistes à coups de poing et de barre de fer, puis la direction a osé prétendre que ce sont ses cadres qui avaient été agressés par des grévistes. Sans surprise, une fois prise la main dans le sac, la direction joue la carte de l’agressivité et ment de façon outrancière en arrosant l’ensemble du territoire national de sa propagande.
Les enjeux
Pour l’heure, le conflit s’est étendu à l’essentiel du département des Hauts de Seine, mais pratiquement pas au-delà, bien que de nombreux bureaux isolés soient en grève, ici et là, au même moment. La Poste ne restructure pas d’un coup l’ensemble des secteurs et les rythmes de la prise de conscience ne sont pas les même partout.
Mais les grévistes ont acquis une sacrée conviction : seule une extension hors du département des Hauts-de-Seine, pourra vraiment faire reculer la direction. C’est pourquoi ils s’attelent à ce que ce mouvement, exceptionnel à bien des égards, soit le fer de lance d’une réaction générale.
28 février 2008
Pierre OLIVIER
Facteur d’avenir... en pleine marche-arrière
Une des principales nouveautés introduites par ce projet est la « sécabilité » (ou le principe d’auto-remplacement) : les facteurs d’un centre sont regroupés par équipes de 5 ou 6 et, quand il y a un absent, ce sont les autres facteurs de l’équipe qui se partagent sa tournée. Cela peut représenter une charge de travail supplémentaire de deux heures ou plus, sans contrepartie financière, puisqu’il ne s’agit pas d’heures supplémentaires, la sécabilité faisant désormais partie du cadre normal d’organisation du travail.
Le management par le stress
Depuis quelques années, les encadrants ne sont plus d’anciens agents ou facteurs, fonctionnaires ayant bénéficié de promotions internes, mais de plus en plus des cadres tout droit sortis du privé, avec les méthodes de management à l’avenant. Pressions individuelles (pour tout accepter, ne pas faire grève, ne pas parler aux militants syndicaux...), menaces et représailles sont devenues monnaie courante. Sans compter la multiplication des sanctions (avertissements et blâmes) dont l’accumulation conduit facilement les contractuels au licenciement.
L’homme qui tombe à pic
10 novembre 2008, les grévistes en sont à leur troisième semaine de grève. Une délégation de livreurs/collecteurs grévistes de Neuilly-sur-Seine accompagnée de militants de Sud (dont Olivier Besancenot) se rend au centre de tri de Nanterre pour rencontrer les grévistes du site. Le directeur du centre fait immédiatement fermer les grilles d’accès au parking, entouré de deux vigiles supplémentaires et d’un huissier. Suivent des échanges verbaux houleux, notamment après les propos à la limite du racisme du directeur envers certains des grévistes, noirs de peau (« Ils ne comprennent rien ces gens-là, je parle pourtant français ! »).
Entre un camion. Une bonne partie de la délégation franchit les grilles. Crise d’hystérie de notre étrange personnage : provocations physiques, hurlements... Un autre camion arrive, une journaliste du Parisien, se faufile à son tour. Le directeur en furie lui fonce dessus en lui hurlant de ressortir. Des grévistes et Olivier Besancenot s’interposent pour la protéger. C’est alors, manifestement à court d’idées, que le directeur feint de façon ridicule d’être bousculé, de tomber et de s’être fait mal (depuis, les gars du centre l’appellent « le footballeur » à son passage dans les ateliers en mimant la scène et il rase les murs !) Il prend quand même neuf jours d’Interruption temporaire de travail (ITT) et porte plainte contre quatre militants de Sud pour violences volontaires aggravées en réunion.
Résultat de cette mascarade : Olivier Besancenot et trois permanents de Sud sont convoqués au commissariat de Nanterre le 20 janvier 2009. Cependant lors de la confrontation avec le directeur du centre qui maintient sa plainte contre eux, ce dernier a bien été obligé de reconnaître qu’il ne pouvait affirmer si l’un des quatre l’avait bousculé ou touché. Sud l’a donc attaqué pour dénonciation calomnieuse et le dossier a été transmis au parquet.
Assignations au Tribunal
Lors d’une de leurs prises de parole quotidiennes pour entraîner d’autres centres courrier, les grévistes décident de se rendre le 30 janvier voir leurs collègues de Nanterre. Ils entrent dans le centre, y effecuent une prise de parole et réussissent à le faire débrayer de façon majoritaire. La Poste assigne illico Sud-PTT-92, quatre permanents syndicaux (trois Sud et un CFTC) et quatre grévistes de Boulogne (dont deux Sud et un CGT) au Tribunal de Grande Instance de Paris le 3 février. Elle invoque l’intrusion dans le centre (alors qu’ils sont tous postiers) et une prétendue entrave à la liberté du travail. Au mépris du droit de grève, elle réclame la levée de tous les préavis de grève déposés par Sud, ainsi que 10 000 € de dommages et intérêts.
Le Juge a débouté La Poste, et a nommé un médiateur, chargé de préparer un protocole de sortie du conflit. Puis La Poste a mis fin à la médiation en prétendant que c’était Sud qui rompait la médiation. Le jugement aura lieu le 5 mars.
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