Inflation : voyons rouge pour ne pas rester dans le rouge !
Mis en ligne le 4 juillet 2022 Convergences Politique
Après un an d’accélération des prix, le gouvernement sort son « paquet pouvoir d’achat ». Il espère désamorcer les grèves qui menacent de se multiplier face à l’emballement du coût de la vie. Avec de telles mesurettes il est bien loin du compte. Un chèque alimentaire de 100 euros (pas même un caddie plein !) ne va pas changer la vie des foyers les plus précaires. Le gouvernement ne prévoit évidemment ni hausse du Smic digne de ce nom, ni hausse généralisée des salaires, pourtant largement nécessaires. Bruno Le Maire peut bien faire les gros yeux au patronat, affirmant qu’il « fera les comptes en fin d’année [pour voir] ce que les grandes entreprises [auront] mis sur la table pour protéger nos compatriotes contre l’inflation ». Son seul engagement concret, ce sont de nouvelles baisses d’impôt sur les entreprises : encore des milliards pour ruisseler sur les dividendes. D’autant que, côté salaires, le gouvernement ne donne pas l’exemple : après quatre mois de promesses électorales, les fonctionnaires n’auront droit qu’à 3,5 % d’augmentation. La presse parle de « dégel », mais le pouvoir d’achat des fonctionnaires dégringole encore plus vite que les années de gel, avec plus de 2 % de pertes (en juin, l’inflation atteint 5,8 % sur un an). Les pensions et prestations sociales n’auront pas beaucoup mieux, avec un rattrapage de 4 %.
Une inflation des profits
Cette inflation n’est pas une fatalité et certains s’y retrouvent très bien. Car si les prix augmentent, c’est d’abord parce que les patrons le décident et qu’ils peuvent se le permettre. La production capitaliste n’est toujours pas entièrement remise de son interruption brutale au plus fort de l’épidémie. Le ronron des chaînes de valeur et du commerce mondiale a été rompu. Et le patronat en a profité pour se remplir les poches. À commencer par les géants du transport maritime, qui ont préservé leurs profits lors des confinements en mettant au rencart une large part de leur flotte, laissant des équipages entiers à l’abandon. Lorsque les échanges sont repartis, les armateurs ne se sont pas pressés pour relancer la machine, créant une pénurie artificielle pour faire monter les prix, ajoutant leur pierre à la désorganisation de la production mondialisée [1].
Même chose du côté des hydrocarbures. La reprise économique a relancé la demande, mais les pays producteurs se sont entendus pour maintenir les vannes serrées, afin de faire grimper les cours et effacer la dégringolade de 2020, avec l’aval des compagnies pétrolières qui en ont largement profité. En 2021, TotalEnergies a réalisé ses plus hauts bénéfices en 15 ans, à 13,6 milliards d’euros. L’envol des prix à la pompe, qui a commencé bien avant la guerre en Ukraine, n’est pas le fait de coûts de production plus élevés, mais bien de la rapacité des producteurs, aggravée par la spéculation.
Les maîtres des forges, eux aussi, n’ont pas hésité à retarder le redémarrage des hauts fourneaux, dont la moitié avait été arrêtée lors du premier confinement, pour faire grimper le prix de l’acier.
La pénurie de semi-conducteurs a d’autres causes, mais le résultat est le même. Celle-ci a commencé après les annulations de commandes pendant les confinements (zéro stock oblige), mais se poursuit en raison du manque de capacités de production pour répondre à une demande en forte hausse. Les fabricants privilégient donc les puces les plus rentables, entrainant une pénurie particulièrement marquée dans le secteur automobile.
Pour autant, la pénurie de composants n’est pas pour déplaire aux constructeurs automobiles. Malgré une production en baisse depuis deux ans (en mars 2022, elle est tombée en France à 69 % de son niveau d’avant crise), les seize principaux constructeurs mondiaux ont cumulé 134 milliards d’euros de bénéfice en 2021, dépassant d’un tiers le précédent record de 2017. Car avec la pénurie, fini les offres promotionnelles pour attirer les clients, les constructeurs se sont concentrés sur le haut de gamme, aux marges plus élevées, tout en faisant payer aux travailleurs et aux comptes publics les fermetures d’usines.
La guerre lancée par Poutine en Ukraine début 2022 n’a évidemment rien arrangé au désordre économique mondial. Le prix du baril a explosé en mars après le début de la guerre. Non pas parce que les livraisons d’hydrocarbures se sont interrompues (elles échappent presque entièrement aux sanctions occidentales), mais parce que les spéculateurs ont fait monter les enchères. Même rapacité du côté des produits agricoles, dont l’Ukraine est exportatrice, les spéculateurs aggravant la pénurie en accaparant les stocks mondiaux pour faire monter les cours, provoquant des risques de famine dans les pays importateurs les plus pauvres.
Salaires, prix ou profits ?
L’inflation, que les économistes annonçaient provisoire, liée aux perturbations de la production, continue d’accélérer et de se propager à tous les secteurs de l’économie. Le patronat répercute sur les prix la hausse des coûts de transport, du carburant et des composants, faisant payer les consommateurs plutôt que les actionnaires. Dans un message aux actionnaires, le PDG de Michelin s’en réjouissait : « Malgré la volatilité des marchés, les perturbations qui ont affecté nos approvisionnements, les pénuries de main-d’œuvre, l’inflation des coûts logistiques, des matières premières et de l’énergie, nous avons renforcé nos positions, amélioré la rentabilité de nos opérations, préservé notre solidité financière. » [2]
Laisser filer les prix est une attaque directe contre le monde du travail. L’inflation est particulièrement violente dans les pays les plus pauvres. Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), elle atteint déjà 24 % en Afrique et au Moyen-Orient, en raison notamment de l’envolée des prix agricoles. Le FMI s’inquiète d’ailleurs d’une reprise de la contestation dans le monde, qui porte principalement sur le coût de la vie [3]. Cela s’est vu en Turquie, où l’inflation atteignait 49 % en janvier, en Argentine, avec une large mobilisation des chômeurs en mai, au Sri Lanka, où la pénurie alimentaire a provoqué des émeutes violemment réprimées. Aux États-Unis, où l’inflation est encore plus forte qu’en France (8,6 % en mai), le revenu réel des salariés a reculé de 3,8 % sur un an, en mars 2022, selon le Bureau statistique du travail, malgré la pression à la hausse des bas salaires exercée par la « grande démission » et les grèves. Grèves qui se sont multipliées là-bas comme ici depuis l’automne. En juin, elles sont encore nombreuses en France, des pompistes de TotalEnergies aux Aéroports de Paris, en passant par les cheminots et les routiers. Ces luttes sont appelées à se multiplier tant les salaires restent à la traine. Et elles sont plus que nécessaires pour ne pas laisser le patronat mener sa lutte de classe par la valse des étiquettes.
Maurice Spirz
[1] Sur le transport maritime, lire Et vogue la galère, publié sur notre site le 23 septembre 2021.
[2] Le Monde, 13 mai 2022.
[3] Philip Barrett, “Social Unrest is Rising, Adding to Risks for Global Economy”, IMFBlog, 20 mai 2022.
Lire aussi :
- Sous couvert des « lois du marché », l’offensive patronale — 4 juillet 2022
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