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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 59, septembre-octobre 2008 > DOSSIER : Le droit à l’avortement de plus en plus menacé

DOSSIER : Le droit à l’avortement de plus en plus menacé

Entretien avec Danielle Gaudry (extraits)

Mis en ligne le 2 octobre 2008 Convergences Société

Danielle Gaudry est gynécologue obstétricienne, membre de la commission avortement du Mouvement français pour le planning familial (MFPF) et ancienne présidente du mouvement.

C. R. : Avec les arrêts de la Cour de cassation, renforcés par les décrets du gouvernement Fillon sur l’acte d’enfant sans vie, on a l’impression d’un renforcement d’un discours anti-IVG qui vise à culpabiliser les femmes sur la pratique de l’avortement ?

Danielle Gaudry : On a un retour très net de l’idée que pour qu’une femme soit femme, il faut qu’elle soit mère, une revalorisation de la maternité. À partir de là, elle va sortir du monde du travail, même si en France les femmes continuent à travailler beaucoup plus par rapport à d’autres pays d’Europe, même en ayant des enfants. Mais d’un autre côté, elle va quand même prendre un congé parental, et ce n’est pas le père qui va le prendre, c’est la mère. Elle va travailler ensuite à temps partiel. Elle va tout faire parce que en tant que mère, idéologiquement, elle est nettement valorisée dans la société dans laquelle nous vivons. À la génération précédente il n’y avait pas cette tendance à penser qu’il n’y a que la mère qui peut s’occuper d’un enfant. Les générations précédentes n’hésitaient pas à confier leur enfant, à partager l’éducation des enfants avec d’autres personnes.

Par là-même, celles qui ne veulent pas être mère sont dévalorisées, sont considérées comme des mauvaises femmes et culpabilisées. Et celles qui font une fausse couche, ça devient tout à coup un drame épouvantable alors que les fausses couches ont toujours existé. Pour les générations qui ont 80 ans actuellement, les fausses couches spontanées, quel que soit le terme, étaient beaucoup plus fréquentes qu’actuellement. Là, la perte d’un projet d’enfant est tout d’un coup mis en extrême lumière et vécue de façon beaucoup plus difficile. Dans une pratique de terrain, je vois bien comment elles vivent ce genre de chose. Comme le retour de l’allaitement de longue durée, sur je ne sais pas combien de mois, depuis, on va dire deux, trois ans et c’est étonnant.

Par là-même, celles qui choisissent de ne pas continuer une grossesse se sentent complètement en décalage par rapport à un discours largement répandu. Cela vient pour une part des vrais opposants à l’IVG et d’autre part d’un changement par rapport à la place de la femme dans la société. Il ne s’agit pas uniquement des opposants radicaux, mais aussi de ceux qui rêvent d’une société plus traditionnelle, même s’ils vous disent que la loi sur l’IVG, c’est une bonne loi.

C. R. : D’ailleurs avec les décrets sur l’acte d’enfant sans vie, ils récusent absolument toute idée de remettre en cause la loi sur l’IVG

D.G. : Oui, alors qu’ils la remettent quelque part quand même en cause puisque, j’en suis intimement persuadée, c’est un premier pas pour la reconnaissance d’un statut du fœtus qui pourra être largement utilisé par les vrais opposants.

C.R . : À cela se conjugue un deuxième aspect : une situation catastrophique sur les moyens pour la santé. On voit des chiffres un peu effarants, en particulier en région parisienne mais pas seulement, sur les délais d’attente liés au manque de place dans les CIVG.. C’est une situation qui vous semble s’aggraver ces dernières années ?

D.G . : Le passage à la tarification à l’activité, la « T2A », fait que si un acte n’est pas rentable, le choix des directions des établissements, qu’ils soient publics ou privés, sera de dire, cet acte-là, on va moins le faire. L’IVG n’est absolument pas rentable, un certain nombre d’études ont montré que le prix payé aux établissements ne représente même pas le prix coûtant. Vous pensez bien que les établissements, quelle que soit leur taille, ne se précipitent pas pour faire des IVG et réduisent donc le temps de médecin prévu pour ça, le temps de personnel, le temps d’occupation du bloc puisque ça ne rapporte rien, au contraire, ça fait perdre des sous.

C.R . : Pensez-vous qu’il y a un risque réel de désengagement des établissements et de disparition de l’acte lié à cette tarification à l’activité ?

D.G . : Tout à fait !

C.R . : Y a-t-il un vrai problème de recrutement des médecins pour pratiquer les avortements ?

D.G . : Même si nous rêvons de former de jeunes médecins à la pratique de l’aspiration et de la méthode médicamenteuse, c’est vrai qu’il n’y a pas foule qui se présente aux formations et même quand ils font la formation, ce n’est pas pour cela qu’ils continuent après. Ce qui est prévu dans la nouvelle loi c’est que les IVG médicamenteuses pourront être pratiquées par les sages-femmes. Moi, je veux bien que des sages-femmes fassent des IVG, ça ne me dérange pas, mais je ne pense pas que ce soit une bonne réponse au fait qu’il y ait moins de médecins. De toute façon, le numerus clausus au niveau des gynécos est complètement stable. Il ne faut pas se plaindre, dans d’autres spécialités, ils ont même diminué les chiffres. Mais ça veut dire que de toute façon, on ne va pas vers une amélioration du nombre de médecins capables de pratiquer les IVG.

C.R . : Entre la place de la contraception et de l’avortement dans les études médicales, le manque de valorisation, le retour d’un certain nombre de tabous, se pose le problème du renouvellement d’une génération de médecins qui ont mis en place l’activité IVG après la loi de 1975. Comment analysez-vous cette situation ?

D.G . : Beaucoup de médecins qui se sont engagés dans l’IVG avaient une base militante, une base idéologique particulière. Le tout-venant des médecins, sont le tout-venant de la société actuelle, donc il y a beaucoup moins d’engagement militant. Par là-même, ils ne vont pas choisir une activité qui va leur prendre du temps, pas leur rapporter grand chose, s’ils n’ont pas la motivation de l’intérêt de la santé des femmes, en ne prenant que l’angle santé publique, ou celui de la place des femmes dans la société. Pourquoi voulez vous qu’ils se cassent les pieds ? Ils ont du travail par dessus la tête. Sans être opposés à l’IVG, même en ayant appris à les faire, ils choisiront quelque chose ou qui les intéresse plus scientifiquement, ou qui leur rapporte plus.

Moi je ne leur jette pas la pierre. Je constate qu’actuellement on est quand même dans un retour en arrière important au niveau idéologique et que le projet de société, il n’est pour le moment pas très enthousiasmant et pas très mobilisant.

C.R . : On a l’impression qu’on en revient à une situation plus dramatique et sans issue pour toute une partie des femmes et en particulier les plus jeunes, dans les milieux les plus défavorisés.

D.G . : On a des situations limites d’avortement clandestin. En particulier un cas récent que j’ai vu d’une jeune mineure qui arrivait de Guyane où elle s’était avalé ses comprimés de Cytotec de façon complètement clandestine. Ça n’avait pas marché, la grossesse avait continué à évoluer. N’empêche qu’elle avait pris le risque d’avaler quelque chose pour faire un avortement sans en parler à personne et donc, pas du tout sécurisé au niveau suivi médical. Là j’en ai vu une, mais je suis sûre qu’elle n’est pas toute seule. C’est-à-dire qu’actuellement les femmes revivent leur avortement comme quelque chose de punissable, de privé uniquement et non pas un problème de société qu’on peut afficher et qu’on peut traiter en toute sécurité.

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