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Accueil > Convergences révolutionnaires > Numéro 74, mars-avril 2011

En Côte d’Ivoire déchirée, deux pions de la France-à-fric !

Mis en ligne le 10 mars 2011 Convergences Monde

Cela fait maintenant presque trois mois que deux candidats à l’élection présidentielle de Côte d’Ivoire se sont déclarés vainqueurs.

L’un, Alassane Ouattara, a les faveurs d’un « conseil électoral » et de la « communauté internationale », Obama en tête et, derrière, Sarkozy. L’autre, Laurent Gbagbo, a celles d’un Conseil constitutionnel et probablement du gros de l’appareil d’État ivoirien, notamment de l’armée. Le bras de fer entre les « deux présidents » a fait officiellement plus de 350 morts dans la population. Chacun des deux camps a brandi les tricheries, bourrages d’urnes et coups de force – y compris violents et sanglants. Un Ouattara qui a la bénédiction du monde impérialiste et du gros de ses sous-fifres mais reste néanmoins cloîtré dans l’hôtel du Golf. Un Gbagbo qui se pavane toujours et ignore toutes les pressions !

C’est ubuesque et serait franchement risible si cette concurrence entre deux candidats à la représentation en Côte d’Ivoire des intérêts économiques et politiques des grandes puissances, n’était pas en train de générer des affrontements sanglants. Et les grandes puissances, par la voix de l’ONU, de craindre une « escalade de la violence » et les prémices d’une « guerre civile ». Mais c’est l’impérialisme français qui a la responsabilité la plus lourde dans cette situation dramatique dans laquelle le pays s’enfonce.

Le pré carré de Bolloré, Total, Orange, Bouygues, EDF, la Société Générale et les autres….

De toutes les ex-colonies d’Afrique, c’est la Côte d’Ivoire à laquelle la France tient le plus. Et quand l’impérialisme aime, il le montre : sur les 10 000 soldats français présents de façon permanente en Afrique, 2 400 sont en Côte d’Ivoire, où la France possède encore une base militaire. Pourquoi tant d’affection ?

Il reste plus de 600 entreprises tenues par des Français. 150 sont filiales de grands groupes. Le groupe Bolloré possède le port de commerce d’Abidjan et la ligne de chemin de fer Abidjan-Ouagadougou ; il est également très présent dans l’agro-alimentaire, le coton et le tabac. Total contrôle les 150 stations-service du pays et l’exploitation du pétrole offshore, Orange les télécommunications, EDF une bonne part du réseau électrique, Accor, l’hôtellerie. Depuis la construction pharaonique de la basilique de Yamoussoukro, le groupe Bouygues a obtenu de nouveaux contrats... sans compter la distribution de l’eau. Le secteur bancaire est entièrement sous la coupe des grandes banques françaises – la Société Générale, le Crédit Agricole, la BNP et Le Crédit Lyonnais. De même que la monnaie, puisque le franc CFA est sous le contrôle du Trésor public français.

Une « décolonisation » particulièrement bien soignée

Le gouvernement français n’avait rien trouvé à redire sur le caractère dictatorial du régime d’Houphouët-Boigny ni sur son parti unique. Au cas où, les troupes françaises étaient là pour servir de garde du corps à ce grand ami de la France, ce qu’elles firent à plusieurs reprises. C’est la période dite du « miracle ivoirien », surtout pour les patrons français et les dignitaires du régime. À sa mort, Houphouët-Boigny avait accumulé une fortune personnelle de 60 milliards de francs français (près de 10 milliards d’euros, plus que le PNB ivoirien).

On comprend mieux pourquoi ses trois successeurs concurrents en titre (Bédié et nos deux candidats de la récente élection présidentielle, Gbagbo et Ouattara) se disputent depuis si violemment son héritage (politique).

Ouattara, l’homme du FMI…,

En 1990, du vivant d’Houphouët, c’est justement Alassane Ouattara qui était son Premier ministre. Alors directeur-adjoint du FMI (Fonds monétaire international), il était chargé de mettre en place le Plan d’ajustement structurel (PAS), qui organisait privatisations, libre-échange, et réductions des services publics. Mais, à la mort d’Houphouët en 1993, c’est Henri Bédié qui revendiqua l’intérim présidentiel. Au même moment, le prétendu « miracle ivoirien » commençait à battre de l’aile, le chômage s’étendait, la misère s’accroissait. Dans un pays où l’immigration (notamment du Mali et du Burkina Faso) représente 25 % de la classe ouvrière, la classe politique ivoirienne, Bédié en tête, n’a pas hésité à instrumentaliser la xénophobie en créant de toutes pièces le concept d’« ivoirité » (définition restrictive de l’identité nationale qui impose de prouver ses origines ivoiriennes pour voter et être éligible), ce qui permit d’éloigner Ouattara, originaire du Nord (l’actuel Burkina Faso), de la compétition électorale.

… s’allie au « socialiste » Gbagbo

Ouattara alla alors chercher un allié providentiel dans la personne du socialiste Gbagbo (eh oui !). Ce dernier, « ivoirien de souche », était alors dans l’opposition et avait fondé dans la clandestinité son parti, le FPI (Front populaire ivoirien), en adhérant à l’Internationale socialiste. L’élection présidentielle tant attendue par les deux « alliés » n’a jamais eu lieu. 1999 : putsch du général Gueï, qui se présenta aux présidentielles de 2000 contre le seul adversaire rescapé de l’« ivoirité », Laurent Gbagbo, qui remporta l’élection. Gueï refusa de céder le pouvoir. Gbagbo se proclama vainqueur à la radio et s’imposa, avec l’aide de la France, qui fut la première à reconnaître la victoire du nouveau président soi-disant « socialiste ». Dix ans plus tard, on a une impression de déjà vu, les rôles étant inversés entre Ouattara et Gbagbo.

2002 : la Côte d’Ivoire coupée en deux

La tentative de coup d’État perpétrée en 2002 par les officiers de Ouattara, sur des bases ne relevant pas moins de l’ethnisme que ses rivaux, a définitivement séparé le pays en deux. L’armée française mit en concurrence Gbagbo avec les rebelles, amis de Ouattara, pour le forcer à la docilité. L’État français décida d’organiser une rencontre qui se solda, en janvier 2003, par la signature des accords Marcoussis. Il se posait en « force d’interposition ». En 2004, Gbagbo lança une offensive vers le Nord, avec l’accord tacite de la France. On ne saura peut-être jamais si le bombardement d’une base des forces d’interposition françaises à Bouaké, en novembre 2004, a été un accident, comme l’a prétendu l’état-major ivoirien, ou s’il s’est agi d’une mesure délibérée. Mais ce bombardement offrit en tout cas le prétexte à l’armée française de tenter un coup de force contre le régime de Gbagbo au Sud et de lancer l’opération Licorne. L’armée française en profita pour détruire la flotte ivoirienne, mais se heurta à ce qu’elle appella elle-même une véritable « insurrection » populaire. Une dizaine de milliers de manifestants, sur appel du FPI, le parti de Gbagbo, se mobilisèrent, l’armée française tira sur la foule, sans sommation, à la mitrailleuse et au canon… mais fut contrainte de se retirer.

Les profiteurs

Si les petites entreprises subirent le poids de la tourmente en s’empressant de le reporter sur les travailleurs, par des fermetures, des licenciements et des bas salaires, les événements de 2004 n’ont, par la suite, pas empêché les grandes entreprises de fonctionner et même de se renforcer. Dès 2004, Bolloré récupérait la concession du terminal à conteneur du port d’Abidjan, En 2010, il s’offrait deux belles locos pour son train (Sitarail) et poursuivait des négociations avec Areva pour sortir l’uranium du Niger via le port d’Abidjan. Ses filiales profitèrent de l’économie de guerre et du trafic de cacao, au Nord comme au Sud. Bouygues se vit attribuer la construction du 3e pont d’Abidjan et du barrage hydro-électrique et se lança dans l’exploitation du gaz et du pétrole. Vinci travailla sur le nouveau chantier pharaonique de Yamoussoukro. À l’automne 2010, Total fit son entrée dans le secteur de l’exploitation pétrolière en Côte d’Ivoire et obtint une participation majoritaire dans une société bénéficiant d’un permis d’exploration très prometteur au large d’Abidjan. Le pompon revint à Sagem qui remporta le marché des cartes d’identité et des cartes électorales sécurisées, réclamant le double du prix réel, malgré des irrégularités signalées par le haut-représentant des Nations Unies… pour les élections en Côte d’Ivoire.

La population, quant à elle, bénéficie, depuis bientôt 10 ans, du triste privilège de subir deux bandes armées à la fois. Elle est rackettée des deux côtés. Le chômage s’aggrave. Dans les villages, la misère devient insupportable. Il ne manquait plus finalement que les menaces persistantes de la guerre civile.

Avec ces élections de 2010, la France croyait avoir trouvé un moyen de réunifier le pays au mieux de ses intérêts. Qu’est-ce que ça changera pour les travailleurs que ce soit Gbagbo ou Ouattara qui l’emporte ? Les deux savent trop bien que ce ne sont pas les urnes mais les armes qui assurent le pouvoir. Ils aimeraient entraîner les travailleurs dans une guerre civile ? Quelle que soit l’issue, elle servirait les intérêts français.

En mars 2008, des manifestations contre la cherté de la vie ont éclaté dans plusieurs quartiers d’Abidjan. Presque au même moment, des manifestations de même nature fleurissaient à Dakar, quelques semaines plus tôt, au Burkina Faso, au Cameroun et dans bien d’autres pays africains.

La population tunisienne a montré qu’une dictature, même soutenue par la France, n’est pas immortelle. Espérons que les Ouattara, les Gbagbo et leurs donneurs d’ordres impérialistes le mesureront ces prochains temps.

25 février 2011

Léo BASERLI


« Une aide française très liée »

« Pour le business hexagonal, qui représente un tiers du PIB ivoirien, le meilleur est à venir, au risque de faire sauter le tabou sur l’aide liée ». Ce ne sont pas les rédacteurs gauchistes de Convergences révolutionnaires qui le disent, mais La Lettre du Continent (n°592 du 15 juillet 2010), laquelle se présente comme « la publication de référence des cercles dirigeants et des milieux d’affaires en Afrique de l’Ouest et dans les pays du golfe de Guinée ». Citation :

« Sur les 6 100 milliards F CFA de la dette ivoirienne, la créance de la France atteint 2 700 milliards (5,1 milliards €) ! Un pactole qui passera en 2011 à l’ardoise magique du PPTE (pays pauvres très endettés). Une partie de l’annulation de la dette bilatérale française sera reconvertie en C2D (contrat désendettement-développement) pour des projets d’infrastructures et la relance du business français. De quoi mieux comprendre l’euphorie du ministre ivoirien de l’économie et des finances, Charles Diby Koffi, le 1er juillet à Paris, devant les hommes d’affaires français mobilisés par Ubifrance. Avec la Banque Lazard comme conseiller financier et BNP-Paribas comme chef de file du Club de Londres, Diby était en lévitation au sommet de la Tour Eiffel ! »


Pour en savoir plus :

  • Samuël Foutoyet, Nicolas Sarkozy ou la Françafrique décompléxée, éd. Tribord 2009
  • Raphaël Granvaud, Que fait l’armée française en Afrique ?, éd. Agone 2009 (notamment chap. 15 et 18 consacrés à la Côte d’Ivoire)
  • Vladimir Cagnolari, Côte d’Ivoire, les héritiers maudits de Félix Houphouët-Boigny, Le Monde Diplomatique, janvier 2011
  • Lutte de Classe (série 1993 – ), N° 39, 45, 48, 53, 67, 70, 75, 84, 85, 90, 113 (articles 1998-2008)
  • Sur les intérêts français en Côte d’Ivoire, Cf. les articles de La Lettre du Continent consacrés à la Côte d’Ivoire (numéros 572, 579, 589, 590, 592, 605 et 606).

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